
Georges Pompidou : « Les grottes de Yungang sont un trésor artistique cosmopolite et unique à l’échelle nationale »
Cette année marque le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. En 1973, lorsque le président français Georges Pompidou s’est rendu en Chine, il a choisi de faire sa première escale après Pékin dans les grottes de Yungang à Datong, dans la province du Shanxi. Là-bas, il n’a pas tari d’éloges sur ces magnifiques statues.
Parmi tous les monuments anciens que compte la Chine, pourquoi Georges Pompidou a-t-il choisi de visiter les grottes de Yungang ? Combien d’éléments issus des cultures orientale et occidentale contiennent ces grottes ? Hang Kan, président de l’Institut de recherche de Yungang, a récemment accordé une interview exclusive à China News pour répondre à ces questions.
Il y a 51 ans, le président français Georges Pompidou a visité les grottes de Yungang. Parmi tous les monuments anciens que compte la Chine, pourquoi a-t-il jeté son dévolu sur les grottes de Yungang ?
En octobre 1907, le sinologue français Édouard Chavannes est allé dans les grottes de Yungang pour recenser et photographier les grottes principales. 78 de ses précieux clichés ont été publiés dans Mission archéologique dans la Chine septentrionale.
Le célèbre architecte chinois Liang Sicheng a étudié aux États-Unis et s’est rendu en Europe pour découvrir l’architecture ancienne du continent. Après son retour en Chine, il a enseigné l’histoire de la sculpture chinoise à l’Université du Nord-Est et a mentionné dans ses notes de cours : « Aujourd’hui, nous allons aborder l’étude de la sculpture chinoise ancienne, qui est un sujet très accessible. Par chance, à moins que ce soit de la malchance, les principaux musées d’art étrangers possèdent une collection complète et très bien organisée de sculptures chinoises. Voilà qui va faciliter nos recherches. De célèbres chercheurs comme les Japonais Seigai Omura, Daijo Tokiwa ou Tadashi Sekino, les Français Paul Pelliot ou Édouard Chavannes, mais aussi le Suédois Osvald Sirén ont tous écrit sur le sujet et guideront nos recherches. »
Quand Liang Sicheng fait référence à Édouard Chavannes, il pense évidemment à son ouvrage Mission archéologique dans la Chine septentrionale.
Le président français Georges Pompidou aimait l’art. Il a même déclaré : « L’art est l’épée de l’ange suprême, capable de transpercer nos cœurs ».
Dans le livre Lettres, notes et portraits, les deux visages de Pompidou 1928-1974, le fils de Georges Pompidou, Alain Pompidou, rappelle que son père et le romancier français André Malraux discutaient souvent de création artistique et d’histoire de l’art. André Malraux a un jour offert l’une de ses œuvres à Georges Pompidou, sur laquelle il avait écrit la dédicace suivante : « Les sculpteurs oubliés sont aussi invulnérables à la succession des empires que l’accent de l’amour maternel ».
C’est dans cette atmosphère artistique que Georges Pompidou a visité les grottes de Yungang le 15 septembre 1973. Plus tard, son épouse Claude Pompidou expliquera : « Dans l’esprit de mon époux, les grottes de Yungang sont un trésor artistique très cosmopolite et unique à l’échelle nationale ».
Les grottes de Yungang mettent en lumière la quintessence des cultures chinoise et occidentale. En quoi ces grottes sont-elles l’expression la plus profonde de la culture occidentale ? Quel rôle ont-elles joué dans les échanges culturels entre la Chine et l’Occident ?
Après l’an 439 de notre ère, l’empereur Taiwu de la dynastie des Wei du Nord Tuoba Tuo a unifié le nord de la Chine et rouvert la route de la soie. Le point de départ oriental de la route de la soie était alors Pingcheng (l’actuelle Datong), capitale de la dynastie des Wei du Nord. Ces dernières années, nous avons découvert des reliques de pays étrangers dans la région de Datong, preuves matérielles directes des échanges entre l’Orient et l’Occident de cette époque. En effet, les grottes de Yungang ont été creusées et sculptées dans un contexte d’échanges fréquents entre la Chine et l’étranger, mais aussi dans le cadre d’une profonde intégration ethnique.
Ainsi lit-on dans le Livre des Wei – Traité du bouddhisme et du taoïsme : « Au début de l’ère Tai’An, cinq barbares shramanes du Pays du lion, dont Yesheyitu et Fotunanti Simhala, sont arrivés dans la capitale avec trois statues de Bouddha. Ils ont dit avoir traversé tous les pays des Régions de l’Ouest, suivis des ombres de Bouddha et de son chignon. Les uns après les autres, les rois des terres étrangères ont envoyé des artisans pour reproduire son portrait, sans égaler le talent de Fotunanti. » On y lit aussi : « Le shramane barbare de Shale est venu dans la capitale pour offrir un bol à aumône et des statues de Bouddha ».
Le Pays du lion est l’ancien nom d’un pays insulaire de l’Asie du Sud actuelle, le Sri Lanka. D’après les données historiques, au début de la dynastie des Wei du Nord, pendant l’ère Tai’an (455-459), des moines du Pays du lion ont effectivement voyagé dans toutes les Régions de l’Ouest avec des statues de Bouddha, jusqu’à Pincheng.
Les travaux des grottes de Yungang ont commencé la première année de l’ère Heping (en 460), à l’initiative de l’empereur Wencheng. Leur construction s’est poursuivie pendant plus de soixante ans. Les nombreux échanges culturels entre la Chine et l’étranger, ainsi que l’intégration ethnique au cours de cette période ont fait des grottes de Yungang un classique de l’art mondial.
En 1933, Liang Sicheng, Liu Dunzhen et Lin Huiyin, entre autres membres de la Société pour l’étude de l’architecture chinoise, ont mené des recherches sur les grottes de Yungang. Dans leur publication Architecture de la dynastie des Wei du Nord dans les grottes de Yungang, ils ont rapporté que « les colonnes des grottes de Yungang manifestent une influence étrangère incontestable que l’on peut retrouver sur l’ensemble du site. Les colonnes ioniques gréco-romaines cohabitent avec des colonnes persanes à double tête d’animal, mais aussi des colonnes indiennes de style Yuanbao.
Les motifs ornementaux de la Chine ont subi d’énormes changements au cours de la dynastie des Wei du Nord. On lit dans Architecture de la dynastie des Wei du Nord dans les grottes de Yungang : « Les sculptures en pierre des grottes de Yungang présentent des motifs ornementaux d’une diversité des plus étonnantes. Neuf sur dix représentent des formes d’expression ou des motifs étrangers. Tous sont d’origine grecque et ont été importés via la Perse ou le Gandhara. C’est particulièrement le cas des motifs végétaux enroulés que l’on retrouve beaucoup dans l’art architectural occidental, mais qui étaient absents de l’architecture des dynasties Zhou ou Han. Ce motif s’est développé à partir de la dynastie des Wei du Nord, pour devenir un motif chinois des plus courants. Bien qu’il ait évolué avec le temps, ce motif végétal se ramifie et s’enroule toujours de gauche à droite. »
En tant que chercheurs spécialisés dans l’histoire de l’architecture, Liang Sicheng et ses pairs ont surtout étudié les grottes de Yungang d’un point de vue architectural et ornemental, via le prisme des échanges culturels entre la Chine et l’étranger. Du point de vue des arts plastiques, on constate également des échanges culturels approfondis entre la Chine et l’étranger. Ainsi, la statue du disciple située sur le côté est du Bouddha principal de la grotte 18 présente des caractéristiques typiquement européennes. Même si elle se place parmi les statues de groupe réalisées par des maîtres de l’art de la Renaissance, elle a été sculptée avec force précision et habileté et n’en est pas moins impressionnante.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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