Ma Boyong : une nouvelle vision de la littérature chinoise à travers le roman historique

1735816237000 China News Li Peng, Fan Yubin
Entretien avec l’écrivain chinois Ma Boyong, où il partage sa vision de la littérature historique et culturelle, entre respect du passé et regard sur le présent. Explorant des récits à la fois ancrés dans la tradition et inspirés par la Chine moderne, il explique comment ses œuvres touchent les lecteurs internationaux en créant des liens universels et en valorisant l’authenticité de la culture chinoise sans la simplifier.

Des romans historiques chinois tels que Les Douze Heures de Chang'an, La Dynastie Ming sous le microscope ou Les Quinze Jours des deux capitales, de l’écrivain chinois Ma Boyong, connaissent un succès croissant à l’étranger. Ils permettent en outre d’ouvrir une fenêtre sur la culture chinoise et de mieux comprendre ce pays. Mais pourquoi le roman historique touche-t-il autant les lecteurs d’aujourd’hui ? De grandes différences culturelles peuvent-elles constituer un obstacle à la lecture ? Pour Ma Boyong, lauréat de nombreux prix chinois tels que le prix de littérature du Peuple, le prix de l’essai Zhu Ziqing, ou encore le prix Mao Dun des nouveaux talents, la recette est là : chercher à explorer les zones d'ombre de l'histoire chinoise pour y révéler des récits intemporels qui résonnent avec le lecteur contemporain.                                                   


Dans vos œuvres, comme Le Litchi de Chang'an ou votre nouveau roman Les Épicuriens du Sud, vous utilisez les aliments pour faire le lien avec la grande histoire. Les thèmes et sujets culinaires jouent-ils un rôle plus important dans la littérature chinoise que dans la littérature occidentale ?                                                    

La gastronomie, en tant que sujet unique, constitue le plus grand dénominateur commun de l’humanité. La quête de la gastronomie unit tous les peuples. On peut dire que la gastronomie est un « langage universel », et que raconter des histoires à travers elle suscite la résonance. Dans le roman Les Épicuriens du Sud, qui se déroule dans le royaume de Nanyue sous la dynastie Han (206-220 av. J.-C.), le personnage principal, Tang Meng, vit une aventure liée à la gastronomie. Un récit où la gastronomie redessine les frontières d’un pays a éveillé mon intérêt pour l’écriture.

En Thaïlande, le « club des lecteurs de littérature chinoise » a récemment organisé à Bangkok un échange autour de votre ouvrage La Dynastie Ming sous le microscope. Vos œuvres racontent des événements et des personnages de la Chine ancienne. Pourquoi le roman historique attire-t-il les lecteurs d’aujourd’hui ?

Ces dernières années, les romans chinois ont suscité l’intérêt des lecteurs étrangers, et mes œuvres ont été traduites en anglais, russe, espagnol, portugais, thaïlandais, vietnamien et japonais, entre autres. Si elle attire l’attention des lecteurs étrangers, c’est parce que la culture chinoise rayonne et influence le monde. Par exemple, les pays d’Asie du Sud-Est sont profondément marqués par la culture chinoise : il y a des décennies, ils appréciaient les séries chinoises comme Aspiration, les romans de Jin Yong ; aujourd’hui, ce sont les animés chinois, les séries sentimentales, et les romans de fantasy chinoise qui gagnent en popularité. Les lecteurs étrangers ne connaissent peut-être pas l’histoire chinoise, mais ils comprennent l’humanité présente dans les récits, une humanité universelle et intemporelle, qui suscite cette résonance entre lecteurs de divers horizons culturels. L’écrivain français Voltaire a adapté L’Orphelin de la famille Zhao en L’Orphelin de la Chine, introduisant ainsi cette œuvre en France. Bien que les Français n’aient pas eu connaissance de la véritable histoire chinoise, la puissance humaine contenue dans ce récit a su toucher leur cœur. Ce type d’exemple est innombrable : l’écrivain néerlandais Robert van Gulik a écrit Les Enquêtes du juge Ti, faisant du personnage historique Di Renjie une figure de la littérature policière en Occident ; l’écrivain japonais Shiba Ryotaro a écrit une série de romans historiques sur la période des Printemps et Automnes (771-481 av. J.-C.)...                     

        

L’historien italien Croce a énoncé l’idée que « toute histoire est une histoire contemporaine ». Comment parvenez-vous à concilier le respect du fait historique et la contemporanéité dans vos œuvres ?                                           

Il y a « l’histoire d’archives » et la « vraie histoire ». « L’histoire d’archives » se réfère aux faits historiques objectifs, tandis que la « vraie histoire » est celle qui, en raison de son impact sur le présent, est réellement perçue et ressentie par les gens. Croce soutenait que l’histoire doit être ancrée dans la réalité présente pour être discutée et reconstruite. Bien que les œuvres littéraires racontent des anecdotes du passé, elles expriment la réflexion de l’auteur sur le présent, et ainsi, les lecteurs de la même époque que l’auteur ressentent naturellement une forme de résonance. Le thème principal du roman Les Douze Heures de Chang’an repose sur une mission : protéger Chang’an. Le protagoniste Zhang Xiaojing défend la ville qu’il aime et veille sur ses habitants, dépassant ainsi les normes rigides et hiérarchiques de la société féodale. Les lecteurs, en lisant, pensent instinctivement aux policiers, aux soignants, aux pompiers et autres personnes qui, aujourd’hui, protègent silencieusement le quotidien de chacun. Ce sentiment d’identification et d’émotion se transfère sur Zhang Xiaojing, et, avec l’auteur, le lecteur participe ainsi à la construction du personnage. Il existe un principe d'écriture dit de la « théorie du sandwich » pour la création de romans historiques. La couche supérieure représente les grands événements historiques qui ne peuvent être modifiés : il faut respecter l’Histoire. Si un événement majeur est altéré, l'œuvre ne peut plus être considérée comme un roman historique mais plutôt comme un roman fantastique ou d'uchronie. Par exemple, en écrivant sur Qin Shi Huang, on ne peut pas le dépeindre sans l’unification de la Chine, car cela serait contraire aux faits.   


La couche inférieure concerne les détails historiques. Pour les coutumes, objets d’art et autres aspects de la vie quotidienne, il est essentiel de s’appuyer sur des recherches approfondies. Par exemple, avant l’introduction du maïs en Chine durant la dynastie Ming (1368 à 1644), les Chinois ne connaissaient pas cette céréale ; de tels détails doivent être précis pour éviter de sortir le lecteur de l’histoire. La couche intermédiaire est celle des « possibilités historiques » : des événements qui, sans s'être nécessairement produits, auraient pu se produire. Sous les conditions historiques de l’époque, de tels événements sont logiquement possibles. Mon objectif est de trouver ces zones d'ombre dans les archives officielles et de les remplir, créant ainsi une chaîne logique, fictive mais cohérente, qui s’articule en arrière-plan de l’Histoire officielle.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photos : Ma Boyong DR.


Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.