
Micro-séries mobiles : l'essor d'un nouveau format vidéo made in China
Les micro-séries mobiles, ou duanju, vidéos adaptées aux écrans de smartphones, révolutionnent l'industrie audiovisuelle. Nées en Chine, ces productions à petit budget captivent un public de plus en plus international grâce à leur format innovant et leur accessibilité.
Automne 2024. À Pékin, la comédienne Anaïs Clément vient de recevoir sa confirmation de tournage. Dans moins de 24 heures, une voiture viendra la chercher pour l’emmener sur son lieu de tournage. Cette Parisienne va jouer le rôle d’une riche grand-mère vivant aux États-Unis. Le résultat final sera entièrement tourné en anglais dans un format vidéo « vertical » de 2 minutes et entièrement adapté aux écrans de smartphones.
Les pratiques du grand public sur Internet évoluent. En 2010, YouTube pouvait se targuer d’attirer plus de 500 millions d’internautes. Alors que les tentatives de créer des applications concurrentes échouèrent, il a fallu attendre 2016 et le lancement de vidéos en format vertical, dit « 9:16 », sur Snapchat, pour observer de premiers changements dans l’écosystème des vidéos en ligne. Parallèlement, en Chine, l'entreprise ByteDance lançait son application Douyin, entièrement dédiée aux vidéos courtes sur mobile. En 2017, elle a créé TikTok, sa version internationale, qui compte à ce jour plus d’un milliard d’utilisateurs mensuels.
L’innovation de Douyin a été un choc dans l’empire du Milieu et plusieurs entreprises ont copié son concept. Grâce aux smartphones, de nombreux Chinois pouvaient s’improviser réalisateurs, commençant à filmer des vidéos de danse, de chatons et à montrer leur quotidien dans des séquences de moins de 2 minutes. À l’approche des années 2020, certains de ces créateurs se sont lancés dans la fiction en filmant des histoires. Souvent centrées sur des récits d’amour, ces séries semi-professionnelles, appelées duanju (micro-séries), ont commencé à rencontrer leur public.
Cette nouveauté a émergé dans une industrie audiovisuelle chinoise alors en pleine mutation : « C’est vers cette époque que les budgets ont commencé à diminuer. Alors que le début des années 2010 était une période faste, la fin de la décennie a été plus difficile. Les géants du Net chinois, tels ByteDance ou Kuaishou, ont alors cherché à proposer de nouvelles formes de divertissement. Plusieurs sociétés de production se sont donc réorientées vers la création de micro-séries. L’ironie de l’histoire est qu’elles comptent souvent entre 80 et 100 épisodes, eux-mêmes durant 1 à 2 minutes, ce qui en fait la longueur d’un long-métrage. Pourtant, elles sont produites pour un coût infinitésimal par rapport à un film », explique Aladin Farré, producteur français ayant travaillé sur plusieurs projets audiovisuels en Chine.
Les règles d’écriture doivent être adaptées pour capter l’attention du public. Ivy Yu, réalisatrice, se souvient des attentes d’une plateforme vidéo pour sa première micro-série en 2021 : « Comme les internautes regardent les vidéos à toute vitesse, la plateforme nous demandait, lors de l’écriture du scénario, de trouver un retournement de situation dès la sixième seconde ! J’ai dû réapprendre mon métier : en école de cinéma, on apprenait que les premières secondes restaient dévolues à l’introduction, or les investisseurs nous demandaient de copier les créateurs de Douyin qui parvenaient à accrocher leur public en moins de 5 secondes. »
À mesure que le succès vient, des investisseurs chinois décident d'adopter ce format en intégrant des acteurs occidentaux parlant anglais et vivant en Chine. Leur but : toucher les internautes du monde anglophone. C’est là qu’Anaïs Clément arrive. Son tournage se tient dans une villa légèrement décrépite de la banlieue nord de Pékin. Le rythme est éprouvant. « Même avec un petit rôle, les journées peuvent être difficiles sur un plateau en Chine. On se lève à 7h du matin pour travailler jusqu’à minuit. Toutes les scènes et l’ensemble du scénario sont conçus pour être tournés en intérieur, dans un but de rentabilité. Lors de courtes nuits de sommeil, je recevais encore des messages de l’équipe technique à 4h du matin, expliquant le planning de la journée suivante » décrit la comédienne.
Mais comment ce format narratif, tourné en anglais, avec un budget microscopique, peut-il rivaliser en dehors de Chine avec ce qu’on peut trouver sur YouTube ou Netflix ? La réponse réside dans le public cible. Depuis Pékin et sous anonymat, un responsable d’une plateforme distribuant ce type de vidéo explique comment il perçoit son métier : « Nous sommes simplement le fast-food du divertissement et nous remettons au goût du jour le format des télénovelas. La plupart de nos utilisateurs sont des femmes au foyer entre 35 et 55 ans. Quant à notre modèle économique, il est assez simple : nous offrons les premiers épisodes gratuitement sur YouTube ou TikTok. Puis, pour débloquer la suite de l’histoire, il faut télécharger notre application et regarder des publicités ou payer. » Son application de vidéo, comme celles de ses concurrents, ReelShort, DramaBox ou Serial+, a été téléchargée par des millions d’internautes à travers le monde. L’objectif : viser des consommatrices intéressées par ce type de contenu, particulièrement celles au pouvoir d'achat élevé, et prêtes à dépenser beaucoup pour visionner ces duanju, un peu comme sur le modèle économique des jeux vidéo gratuits.
Utilisateurs numériques, petit budget, public féminin... Un cocktail qui rend les histoires assez similaires, regrette Anaïs Clément : « Les personnages peuvent varier entre différents projets, avec des mafieux, des familles d’aristocrates ou des vampires. Mais la formule reste toujours la même : le personnage principal est une jeune femme qui se marie avec un homme très riche cachant son identité. Lorsqu’il y a des personnages, par exemple de loups-garous, le manque de moyens interdit de les voir se transformer à l’écran ! De plus, les histoires sont censées se passer dans des villas de milliardaires, or nos lieux de tournage en Chine peinent à convaincre. »
Pour résoudre ce problème, certains vont jusqu’aux États-Unis, pour constituer leurs équipes. En août 2024, sur la chaîne « Guagualuodi », sur l’application RedNote (l’Instagram chinois), un producteur chinois explique sous le soleil californien : « De plus en plus de professionnels se lancent dans ce genre de projets. Nos budgets varient entre 150 000 et 300 000 dollars. Les tournages et la post-production doivent être terminés en moins de 3 semaines, un processus similaire à ce qui se fait en Chine. Nous arrivons à réaliser un profit de 3 à 5 % sur ces montants. » Aladin Farré explique toutefois comment le business model de ces projets peut devenir une véritable boîte noire : « La plupart du temps, les plateformes de distribution investissent dans une partie du budget, puis c’est au producteur de trouver les financements privés pour le reste. Lorsque la série est mise en ligne, un partage des recettes est mis en place. Mais comme plusieurs séries sont en concurrence sur les mêmes plateformes, le risque est que le producteur se retrouve à dépenser davantage en marketing pour promouvoir sa série. Ce n’est pas habituel dans le reste de l’industrie. »
Selon notre distributeur pékinois interrogé plus haut, ce n’est que le début d’une aventure : « Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur la Chine, avant de nous attaquer au marché international avec l’anglais. Maintenant, nous entamons une nouvelle phase, en commençant à produire des séries pour des marchés secondaires comme le Moyen- Orient, le Japon. Nous considérons sérieusement le marché francophone. » Un enthousiasme partagé par Anaïs Clément, qui avoue ses craintes : « Pour toucher un public plus large, il va falloir écrire de meilleurs scénarios et trouver de meilleurs acteurs... Ça coûtera forcément plus cher. »
William Wang est photographe de mode et producteur basé à Paris. Il est impliqué dans de nombreux projets entre la France et la Chine.
Photo : capture d'écran de la micro-série Found A Homeless Billionaire Husband for Christmas de l'appli ReelShort, via Youtube.
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