Le lavis : la peinture traditionnelle toute en nuances

1741772052350 Chine News Cheng Jing

L’artiste peintre chinois contemporain Yang Jinmin s’est engagé à combiner les « langages » des peintures orientale et occidentale, à explorer les innovations du lavis et à ouvrir de nouveaux horizons dans le domaine de l’art contemporain du lavis. Il a ainsi obtenu des résultats exceptionnels en faisant fusionner la couleur avec le lavis. Sa pratique picturale tente également d’ouvrir une nouvelle voie à l’art contemporain chinois dans le contexte de la mondialisation. 

Yang Jinmin a récemment accordé une interview exclusive à China News pour nous expliquer sa vision de la renaissance interculturelle du lavis.


Le lavis est considéré comme une peinture traditionnelle chinoise. D’un point de vue historique, comment ce style consistant à « mélanger de l’eau et de l’encre pour obtenir différentes nuances » s’est-il développé ?

Avant que la peinture des lettrés ne devienne le courant dominant, les peintures chinoises étaient colorées et le terme « peinture » (丹青, danqing, litt. « rouge et vert ») faisait autrefois spécifiquement référence à la couleur. Avant la dynastie Tang, la peinture chinoise n’était pas monochrome. Sous la dynastie Song, les peintures des artistes peintres coexistent avec celles des lettrés. Les peintures décoratives de la cour impériale étaient des peintures typiques réalisées par des artistes peintres. On peut alors parler de peintures professionnelles. Voyageurs au milieu des montagnes et des ruisseaux de Fan Kuan et La Fête de Qingming au bord de la rivière de Zhang Zeduan représentent les normes de la peinture professionnelle de l’époque.

Les peintres lettrés, principalement des érudits, admiraient le style contemplatif bouddhique et le concept taoïste du non-agir. Dès lors, ils considéraient les couleurs vives héritées des Tang comme vulgaires. Les dignitaires et les lettrés ne recevaient généralement aucune formation professionnelle en peinture, mais ils étaient doués pour manier le pinceau et l’encre. En outre, comme ils avaient un certain statut politique, leurs intérêts étaient défendus. C’est ainsi que leurs peintures, figuratives ou non, se sont progressivement imposées.

Par la suite, guidés par le concept de « supériorité de l’encre », les peintres ont peu à peu abandonné la couleur au profit d’un style d’expression qui consiste à diluer l’encre pour obtenir différentes nuances. Dès lors, les peintures que les lettrés et les dignitaires exécutaient pour se divertir sont devenues la « tradition » de la peinture chinoise, tandis que les peintures orthodoxes de la cour impériale ont commencé à être apparentées à un style et à un artisanat médiocres.

Tout au long de l’histoire de la peinture chinoise, le lavis n’a cessé de prospérer. Il s’est ainsi épanoui durant les dynasties Song et Yuan, jusqu’aux dynasties Ming et Qing, mais il est encore très en vogue aujourd’hui. Les peintres lettrés avaient une obsession du noir et blanc, se détournant complètement de la couleur.

La prédominance de la peinture des lettrés signifie-t-elle que la peinture chinoise a complètement abandonné la couleur ? En réalité, non. Au cours de la dynastie Qing, des peintres tels que Yun Nantian, Ren Bonian et Wu Changshuo se sont attachés à ranimer l’utilisation de la couleur. Au XXe siècle, Lin Fengmian, Xu Beihong, Zhang Daqian, Liu Haisu et Wu Guanzhong ont exploré sans relâche l’utilisation de l’encre et de la couleur. À l’époque contemporaine, une nouvelle génération de peintres tels que Tian Liming et Lu Yushun s’est lancée dans de nouvelles entreprises artistiques. 

La couleur est le fondement de toute peinture. Elle n’est pas propre à la peinture occidentale et se retrouve aussi en Orient. Les peintres contemporains devraient avoir pour mission de restaurer les couleurs de la peinture chinoise, plutôt que de se contenter d’utiliser les nuances d’encre pour exprimer les variations de couleur.


Qu’est-ce qui motive votre volonté d’innover dans le lavis ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans cette entreprise ?

Pendant longtemps, la peinture des lettrés a accordé une attention particulière à la peinture à grands traits, aux dépens des caractéristiques picturales, donnant l’illusion que la peinture chinoise et le lavis ne sont qu’une affaire de grandes lignes. Confinée dans un monde en noir et blanc, la peinture chinoise a de plus en plus de mal à trouver un écho auprès de nos contemporains, notamment auprès des jeunes.

Dans le processus de modernisation, la peinture chinoise est restée dans un état d’attente et, sous la pression de la mondialisation et de la numérisation, elle a manifesté une « anxiété identitaire ». Conséquemment aux changements sociaux, le groupe traditionnel des lettrés et des dignitaires s’est effacé au profit des centres culturels, des académies de peinture, des universités, ainsi que des institutions de création et des groupes principalement composés d’artistes professionnels. De ce fait, la situation dans laquelle la peinture de lettrés a remplacé la peinture professionnelle au cours des mille dernières années devrait suivre l’air du temps.

En réalité, des maîtres de l’art tels que Xu Beihong, Lin Fengmian, Wu Guanzhong et Liu Huaisu n’ont pas ménagé leurs efforts pour moderniser la peinture chinoise. Cependant, comparée à la technologie, à la culture et à d’autres formes d’art, la transformation de la peinture chinoise reste manifestement à la traîne. La raison la plus directe est que de nombreux acteurs du monde de l’art perpétuent le préjugé selon lequel le papier Xuan n’autorise pas la couleur. En d’autres termes, cela signifie que l’on ne peut pas utiliser de couleurs sur du papier de riz ou qu’elles ne rendent pas bien. C’est devenu un « problème séculaire ». Cette idée restreint l’imagination des gens qui créent sur du papier Xuan et limite l’innovation.

J’espère qu’à travers ma propre exploration, le lavis pourra se diffuser plus largement dans le monde et avoir un plus grand impact.

Pendant de nombreuses années, le monde de la peinture n’a pas exploré en profondeur les qualités sculpturales et picturales que devraient revêtir la peinture chinoise et le papier de riz. Au cours des dernières décennies, j’ai essayé de mieux représenter la couleur sur papier de riz. Ma conclusion est la suivante : le papier de riz est tout aussi capable de produire de merveilleuses couleurs. Comment le lavis peut-il renaître ? La clé réside dans un changement du concept d’utilisation de la couleur. Grâce à mes efforts incessants, j’espère pouvoir faire passer la peinture chinoise millénaire d’un « dialecte » à un « espéranto ».


Pourquoi le monde de la peinture propose-t-il de « revenir à la tradition » ? Que pensez-vous d’un tel « retour à la tradition » ?

Le soi-disant « retour à la tradition » dépend de la perspective sous laquelle on l’envisage. En réalité, il est impossible de revenir dans le passé. Nous ne pouvons créer que l’avenir.

Dans le passé, nos ancêtres ont déjà créé une culture et un art remarquables. En ce qui concerne le lavis, en tant qu’artistes chinois, nous devrions diffuser les éléments de la peinture chinoise dans un plus grand nombre de pays afin d’enrichir le monde de l’art. Parallèlement, nous devrions permettre aux concepts et aux techniques artistiques modernes de nourrir l’évolution du lavis, afin de produire des échanges et une intégration culturels à multiples facettes. Les chefs-d’œuvres des peintres chinois contemporains doivent non seulement démontrer la valeur esthétique de l’art traditionnel chinois, mais aussi explorer et exprimer, à travers une perspective interculturelle, des préoccupations communes à l’humanité dans un contexte de mondialisation.

Le passage de l’encre à la couleur dans la peinture chinoise est en effet un problème épineux que les peintres chinois ont dû résoudre dans leur pratique au cours des cent dernières années. Lin Fengmian a justement réussi à atteindre l’harmonie grâce au mélange de l’encre épaisse et des couleurs foncées. La voie qu’il a ouverte est encore en cours de développement et de maturation, l’exploration se poursuit. À l’heure actuelle, dans le monde de la peinture chinoise, le style coloré est devenu une orientation créative importante et je pense qu’il deviendra à l’avenir le courant dominant de la peinture chinoise.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.


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