
Cosmologie chinoise : comment la Carte céleste de Dunhuang révèle-t-elle le concept oriental d’exploration de l’univers ?
Observer les étoiles est une aspiration et une exploration communes à l’humanité depuis l’Antiquité. En effet, plusieurs des principales civilisations anciennes du monde observent les étoiles depuis des millénaires. La Carte céleste de Dunhuang, découverte parmi les manuscrits des grottes Mogao de Dunhuang, est l’une des plus anciennes cartes célestes qui nous soient parvenues avec un nombre si impressionnant d’étoiles. Il s’agit d’un document époustouflant dans l’histoire de l’astronomie, compilant une série de cartes du ciel sur lesquelles sont reproduites la plupart des étoiles et constellations visibles à l’œil nu dans l’hémisphère nord.
Quels sont les aspects les moins connus de la Carte céleste de Dunhuang ? Que nous apprend-elle sur la cosmologie de la civilisation chinoise ? Quelles sont les différences entre l’Orient et l’Occident dans la compréhension et l’exploration du ciel ? Zhao Xiaoxing, directeur et bibliothécaire de l’Institut de documentation de l’Académie de recherche de Dunhuang, a récemment accordé une interview exclusive à China News pour nous apporter son éclairage.
Quels sont les aspects les moins connus de la Carte céleste de Dunhuang ? Quelles sont ses valeurs historiques et culturelles ?
Une multitude d’informations astronomiques ont été conservées parmi les manuscrits des grottes Mogao de Dunhuang. Parmi elles, les plus remarquables sont les deux fantastiques cartes célestes de la dynastie Tang, à savoir la Carte céleste complète, aujourd’hui conservée à la British Library de Londres et l’Astérisme Ziwei (litt. « Palais pourpre interdit »), conservé au musée de Dunhuang, dont l’ensemble constitue la Carte céleste ou l’Atlas céleste de Dunhuang. La première recense plus de 1 300 étoiles, ce qui en fait la plus ancienne carte céleste de l’humanité avec un aussi grand nombre d’étoiles recensées.
Qu’est-ce qu’une carte céleste ? En termes simples, il s’agit d’une carte sur laquelle on a reproduit les étoiles observées. C’est un outil important en astronomie pour identifier les étoiles et indiquer leurs positions. Il s’agit d’une collection de dessins représentant les caractéristiques les plus stables et durables du ciel nocturne avec ses étoiles, ses constellations, ses galaxies, ses amas d’étoiles…
Le premier rouleau, la Carte céleste complète, mesure 3,3 mètres de long. Nous n’avons pas retrouvé le titre du rouleau, mais la première moitié du document qui nous est parvenu est une Divination des nuées et la seconde est une Carte céleste complète à proprement parler. Le rouleau s’achève avec une représentation du dieu de l’Éclair et l’inscription « Rouleau d’interprétation des rêves et canon des éclairs ».
La Carte céleste représente l’ensemble du ciel étoilé d’une manière très avancée. Les douze premiers panneaux reproduisent les douze tranches horaires d’après une méthode qui rappelle la projection cylindrique. L’Astérisme Ziwei représente la carte céleste circumpolaire d’après une méthode qui rappelle la projection azimutale. La carte commence au douzième mois et est divisée en douze panneaux réalisés le long de la ceinture équatoriale en fonction de la position mensuelle du soleil. Les étoiles situées au sud de l’Astérisme Ziwei sont représentées à l’aide d’une méthode de projection cylindrique rappelant celle de Gerard Mercator (mathématicien et géographe néerlandais). Cette méthode consistant à dessiner l’Astérisme Ziwei sur un plan circulaire autour du pôle Nord est très avancée pour l’époque.
Sur une longueur de près de 3 mètres, la Carte céleste de l’Astérisme Ziwei représente un total de 138 étoiles, peintes en deux cercles concentriques d’un diamètre de 13 et 26 centimètres. Puisque cette carte contient les mentions Ouest, Régions de l’Ouest, Régions de l’Est…, nous pouvons en déduire que l’ouest est à gauche, l’est à droite, le sud en haut et le nord en bas. Cela correspondait à la position de ceux qui ont observé les étoiles.
Les étoiles sont reproduites en rouge et en noir, ce qui signifie qu’elles n’appartiennent pas à l’Astérisme. En effet, certaines étoiles relevant de l’Astérisme Ziwei n’apparaissent pas alors qu’elles sont proches du pôle Nord, tandis que d’autres sont représentées alors qu'elles en sont plus éloignées. Les anciens pensaient que cet Astérisme Ziwei était l’endroit où vivait l’empereur du Ciel et qu’il fallait donc observer cette région du ciel pour prédire les affaires familiales de l’empereur terrestre.
D’après les recherches en cours sur la Carte céleste de Dunhuang, quelles sont les différences entre les concepts orientaux et occidentaux d’exploration de l’univers ?
Dans la Chine ancienne, le système céleste ressemblait davantage à un système de connaissances astronomiques en miroir avec le sol. C’était comme créer dans le ciel un monde semblable au monde terrestre, en fonction de la disposition des étoiles. Même si la Chine a aussi des étoiles comme Altaïr et Véga basées sur des mythes, les gens préféraient faire correspondre le monde céleste à l’ordre terrestre et transposer la vie sociale terrestre dans les étoiles.
C’est bien différent de la Grèce antique, où les noms des constellations étaient principalement inspirés des mythes et où l’on utilisait des histoires ou des personnages mythologiques pour nommer les constellations, qui de ce fait avaient une forte signification symbolique. On constate que la Carte céleste chinoise d’il y a plus de mille ans est intuitive et facile à comprendre, reflétant le concept chinois d’unité qui relie la nature à l’homme.
La seule carte céleste réalisée avant le 14e siècle pouvant être qualifiée d’astronomique est la Carte céleste de Dunhuang retrouvée en Chine. Elle revêt une grande importance pour l’étude du développement de l’astronomie ancienne. De ce fait, la Carte céleste de Dunhuang est reconnue comme étant la plus ancienne carte céleste de l’humanité avec un nombre aussi important d’étoiles. Elle a été réalisée six à sept cents ans plus tôt que les cartes célestes découvertes en Europe.
On ignore encore comment les anciens astronomes chinois sont parvenus à observer autant d’étoiles dans les conditions de l’époque, mais l’astronomie était manifestement bien développée sous la dynastie Tang. La méthode de conception de la Carte céleste de Dunhuang, qui précède de plus de 800 ans la méthode de projection cylindrique de Mercator, était non seulement très avancée pour l’époque, mais elle a également eu une influence considérable sur les générations suivantes.
S’appuyant sur l’importance de la Carte céleste de Dunhuang dans l’histoire de l’astronomie mondiale, le célèbre historien britannique des sciences et technologies chinoises Joseph Needham a déclaré : « Avant la Renaissance, il y a très peu de choses en Europe, voire rien du tout, qui puisse être comparé à la tradition chinoise de la cartographie céleste ».
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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