« Ne Zha 2 » : l’animation chinoise s’illustre dans le top 5 mondial

1744016187872 Le 9 Henri Moulin

En quelques semaines, le film d’animation chinois Ne Zha 2 a réalisé un box-office dépassant les 2 milliards de dollars. Le film est, à l’heure où ces lignes sont écrites, à la 5e place mondiale des meilleures ventes pour un long-métrage de l’histoire du cinéma. Une véritable surprise pour cette franchise, qui raconte l’histoire d’un des plus célèbres héros de la mythologie chinoise.

Pendant les vacances du Nouvel An chinois, dans le centre- ville vallonné de Chongqing, Zheng Shu ressort avec son époux et son fils de 11 ans d’une séance de cinéma. « Nous vivons à Pékin, mais pour nous détendre pendant les festivités du printemps passées auprès de la famille, nous sommes allés voir le film Ne Zha 2, qui était particulièrement attendu depuis des années », explique la mère de famille. Ne Zha 2 est la suite du film Ne Zha, sorti en 2019. Si le premier volet avait obtenu un box-office remarquable avec près de 750 millions de dollars pour un petit budget de 20 millions seulement, le deuxième opus aura plus que doublé son chiffre d’affaires pour dépasser désormais les 2 milliards de dollars, juste devant Star Wars : le réveil de la force. Aucun autre film chinois n’avait jamais connu auparavant une telle réussite. Le suivant sur la liste, La Bataille du lac Changjin (2021), qui se déroule pendant la guerre de Corée, n’avait atteint que 913 millions de dollars. Si le succès de Ne Zha 2 était prévisible, la performance actuelle demeure complètement inattendue. Mais l’est-elle ? Trois facteurs peuvent expliquer ce résultat.

Un héros national maintes fois revisité

Avant d’être un personnage de film, le personnage de Nezha (orthographié « Ne Zha » dans la version anglaise, à l’encontre des règles de transcription habituelle) est avant tout une figure religieuse pluriséculaire. Les premières mentions écrites de Nezha nous proviennent du bouddhisme, après que cette religion a pénétré la Chine via l’Inde au premier siècle après Jésus-Christ. Dans le poème épique Buddha-Charita consacré à la vie de Bouddha est mentionné le personnage Nalakuvara (那 罗鸠婆), fils du roi Vaishravana. Au fil du temps, celui-ci est devenu Na Zha (那吒) puis Nezha (哪吒). Alors que le bouddhisme prospère sous les dynasties Tang (618-907) et Song (960-1279), la figure de Nezha s’installe durablement dans le panthéon des divinités chinoises, où il devient ainsi le patron des voyageurs. Il sort même de la sphère bouddhiste pour devenir une divinité au sein du taoïsme et des traditions populaires chinoises.

Contrairement à son alter ego catholique Saint-Christophe, Nezha a même fini par sortir de la sphère du religieux pour devenir aussi un héros de fiction : la plupart des films d’animation où il apparaît tirent principalement leur inspiration du personnage issu du livre L'Investiture des dieux (封神演義), écrit vers 1600 et attribué à Xu Zhonglin. Dans ce recueil de légendes populaires, Nezha, enfant aux pouvoirs surnaturels, est l’une des figures emblématiques du récit. Zheng Shu le reconnaît : « Nezha est tout simplement l'un des personnages les plus connus de la littérature populaire chinoise. Son statut est similaire à celui du singe Sun Wukong ». Au cours du XXe siècle, fort de ce statut, Nezha a été porté une trentaine de fois sur le petit et le grand écran. Un film d’animation, Le Prince Nezha triomphe du Roi Dragon, a même eu l’honneur d’être projeté lors du festival de Cannes en 1980.

La série Ne Zha prend toutefois certaines libertés créatives avec le livre d’origine, même si les deux volets en suivent les grands principes. Par exemple, certains personnages deviennent des amis de Nezha, alors que dans la version originale, ils sont antagonistes. De plus, certains monstres ont été créés de toutes pièces. Dans la trame narrative originale, un concours de circonstances malheureux fait que Nezha, enfant de deux parents humains, se retrouve doté de pouvoirs démoniaques. Ostracisé et craint par les gens de sa ville en raison de sa force surhumaine, il devient un petit garçon espiègle qui ne respecte personne. Dans la série, en rencontrant divers personnages mythiques et grâce à l’amour de ses parents, il apprend à maîtriser ses pouvoirs. Dans une logique qui peut sembler toute hollywoodienne, il fait face à ses doutes, bat ses ennemis et décide de protéger les habitants de sa ville natale qui, pourtant, le haïssent. Maniant avec dextérité le volet épique et l’humour, elle n’est pas sans rappeler la série Kung Fu Panda du studio américain DreamWorks, ayant d’ailleurs aussi reçu les louanges des internautes et de la critique. Ne Zha 1 figure aujourd’hui dans le top 250 des meilleurs films de l’histoire du cinéma selon le classement du respecté site Douban, réputé en Chine pour ses classements objectifs. Une gloire à la lumière de laquelle seuls 18 films de la République populaire de Chine ont pu se hisser à ce jour. Une prochaine mise à jour devrait y inclure notre 2e opus.

Une production ambitieuse et patiente

Le deuxième facteur est d’ordre stratégique et technique. Contrairement à certains projets cinématographiques chinois qui, après un premier succès, relancent un deuxième opus immédiatement après, le réalisateur, Jiaozi (Yang Yu de son vrai nom), a pris le chemin inverse. « Au début, je pensais que nous pouvions sortir Ne Zha 2 en 2021, mais comme je le dis toujours à mes équipes : nous devons créer chacune de nos œuvres comme si c’était la dernière. La chance que nous donne le public en regardant nos films ne peut pas être traitée à la légère, et nous devons faire de notre mieux pour leur offrir la meilleure histoire », explique-t-il dans une interview pour CCTV 4 lors de la promotion du nouvel opus. C’est la raison pour laquelle ce perfectionniste a préféré attendre 5 ans et demi avant de sortir la suite des aventures de l’enfant-démon. « Le film était d’ailleurs quasiment prêt pour l’été 2024 », explique la consultante Lena Li, qui travaille dans le secteur des films d’animation à Pékin. « Mais Jiaozi n’était pas particulièrement satisfait de quelques scènes produites par un des prestataires. Il a donc demandé un report de 6 mois afin de pouvoir s’assurer que le résultat final était en adéquation avec sa vision. » Un trait de caractère assez fort pour ce réalisateur sichuanais, qui ne vient pas du sérail de la production audiovisuelle chinoise. Fils de médecin et simplement diplômé d’une licence en pharmacie, il n’avait, avant Ne Zha (2019), réalisé que deux courts-métrages d’animation. Un parcours professionnel rare dans cette industrie ultra-concurrentielle.

Des étudiants étrangers en Chine apprennent l’art traditionnel du papier découpé sur des motifs inspirés de Nezha. © Chen Sihan/Xinhua

Cette patience pour créer la meilleure histoire possible a fortement bénéficié à Ne Zha 2. Offrant un spectacle haut en couleur, les chiffres donnent le vertige : plus de 4 000 personnes provenant de 140 sociétés ont travaillé sur sa production, tandis qu’une utilisation de l’IA a permis de créer des images de synthèse 60 % plus vite qu’avec les outils utilisés lors du premier volet. « Une scène en particulier a été une première mondiale : lors de l’attaque des méchants contre la ville natale de Nezha, les démons passent par un trou dans l’espace-temps mais restent attachés par des chaînes en acier qui les retiennent en enfer. Cette prouesse technique était très dure à réaliser, car chaque chaînon est un élément indépendant qui bouge suivant les mouvements du démon. La puissance de calcul nécessaire pour l’ajouter à l’écran était impossible il y a quelques années », explique Lena Li.

Lors du climax, plus de 200 millions de soldats et de démons s’affrontent, donnant le tournis au spectateur. Malgré ces prouesses, la famille Zheng concède : « Si les visuels sont incroyablement réussis et que le public passe du rire aux larmes, nous trouvons le scénario peut-être un peu plus simpliste que pour Ne Zha 1. Le premier volet était plus intéressant en termes d’écriture. Mais en cette période de l’année, c’était clairement le seul bon film qui pouvait réunir toute la famille ».

Une sortie stratégique

Mme Zheng touche un point essentiel. Le calendrier de la sortie en salle a été important dans cette réussite. En Chine, certaines périodes sont plus propices que d’autres et les plus grands succès du box-office ont souvent lieu pendant une semaine de congé national cruciale : celui du Nouvel An chinois. Au-delà du temps de loisir supplémentaire évident, d’autres évoquent des raisons plus profondes : « La période du Nouvel An chinois est la meilleure fenêtre de tir pour l’industrie culturelle chinoise. Si, pendant cette semaine de vacances, les premiers jours sont propices aux retrouvailles, pour certains, les tensions familiales peuvent remonter rapidement à la surface. Pour les éviter, beaucoup s’échappent dans les musées ou les salles obscures », explique la productrice Cheng Rui dans un épisode du podcast Middle Earth – China’s Cultural Industry consacré à ce sujet. À ce jour, sur le top 10 du box-office du pays, la moitié de ces films sont sortis durant le Nouvel An chinois.

À l’heure de ces lignes, Ne Zha 2 n’est sorti à l’international qu’en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Contrairement aux films hollywoodiens qui ont besoin du box-office mondial pour être rentables, les blockbusters chinois possèdent une marge de sécurité exceptionnelle grâce à leur immense marché national. Une marge d’autant plus appréciable quand on sait que beaucoup des références culturelles nécessaires à la compréhension d’un film – a fortiori celui inspiré de mythologie – peuvent manquer au public international, rendant une sortie hors des frontières hasardeuse. C’est pourquoi la distribution internationale de films chinois n’est généralement pensée que pour la diaspora sinophone. Ne Zha 2 reste dans cette tendance : à ce jour, le film n’a réalisé que 20 millions de dollars de recettes en dehors de Chine continentale, soit 1 % de son box-office total. Une proportion que l’on retrouve sur toutes les grosses productions chinoises comme Wandering Earth ou Detective Chinatown.

Mais sa réussite a suscité l’intérêt de distributeurs à travers le monde. Les aventures de l’enfant-démon pourraient être disponibles dans plusieurs pays asiatiques (Japon, Singapour, Malaisie, Indonésie) ainsi que dans certains pays d’Europe. Cédric Behrel, directeur de la société Trinity CineAsia, a déjà annoncé prendre le pari de distribuer le film en France et en Europe, dans une interview au média Deadline.

Il ne fait aucun doute qu’un Ne Zha 3 est en préparation, comme le laissent entendre les scènes d’après-générique et le succès phénoménal du film. Reste à savoir si cette suite parviendra à répondre aux attentes des fans et à maintenir la dynamique de la franchise. Rappelons que pour prétendre à la première place du podium du box-office mondial, il faudra battre Avatar (2009) de James Cameron et son géantissime record de 2,9 milliards de dollars. Un défi de taille pour notre garçon, issu d’un folklore qui demande encore à se faire connaître outre-mer.

Jiaozi : l’outsider de l’animation chinoise

DR.

Jiaozi (« ravioli »), de son vrai nom Yang Yu, né en 1980 à Luzhou, dans le Sichuan, est une figure atypique dans le monde de l’animation chinoise. Loin d’être issu d’une famille d’artistes ou d’avoir suivi une formation classique en cinéma ou en animation, il est diplômé de la prestigieuse faculté de pharmacie de l’université du Sichuan – une des meilleures écoles de médecine de Chine. Durant ses années universitaires, il découvre par hasard un logiciel de création animée, ce qui allume en lui une passion dévorante. Après un bref passage dans la publicité, il emprunte une voie improbable : s’enfermer chez lui pendant trois ans et demi, soutenu par la modeste pension mensuelle de sa mère, afin de réaliser seul son premier court-métrage See through (打,打个大 西瓜). Sorti en 2008, ce film de 16 minutes, porté par une créativité débordante et une technique impressionnante, remporte une pluie de prix, dont une mention spéciale du jury au festival international du court-métrage de Berlin, marquant ses premiers pas remarqués dans le milieu.

En 2015, Jiaozi fonde le studio Cocoa Bean et commence à explorer les possibilités de longs-métrages animés. En 2015, Light Chaser Animation le repère et lui confie la réalisation de Ne Zha : Naissance d’un démon (2019). Ce projet, qui lui prend cinq ans et 66 versions du scénario, est une œuvre obsessionnelle : Jiaozi y joue tous les rôles, de scénariste à réalisateur, en passant par doubleur, superviseur des animations et même designer d’affiches. À sa sortie, le film pulvérise les records au box-office chinois, propulsant Jiaozi sous les projecteurs.

Henri Moulin est consultant spécialisé dans les projets culturels basé à Pékin.

Photo du haut : le 11 février 2025, première à Sydney, en Australie. © Ma Ping/Xinhua

 

  

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