
[Culture Factory] Quand le crime paie
En Chine, un genre se taille une place : celui du « true crime », qui retrace des histoires criminelles réelles. Un engouement curieux, dans un pays où le crime est rare.
En Chine, le « true crime », cette manière de replonger dans des histoires criminelles via des documentaires ou des podcasts, ou de créer des histoires en liant fiction et faits réels, semble trouver un succès croissant. L’illustrent des succès comme We Are Criminal Police, une série policière diffusée fin 2024 sur iQiyi, pour laquelle la plateforme revendique plusieurs millions de vues. Le public a suivi la traque d’un braqueur en série, inspiré de la figure du gangster Zhou Kehua (1970-2012), surnommé dans les années 90 « l’homme le plus dangereux de Chine ». Idem pour Lonely Warrior (2023), série adaptée d’un témoignage d’ancien policier, ou encore les box-office probants de films comme No more Bets (2023) ou Lost in the Stars (2023) chacun approchant les 500 millions d’euros, le premier inspiré d’une affaire d’arnaque en ligne, et l’autre, d’un meurtre conjugal. Mais l’intérêt pour les histoires criminelles en Chine est historique. Il y a des siècles, les juges Di Renjie (630-700) et Bao Qingtian (1057-1058) inspiraient des pièces d’opéra, formant un genre littéraire appelé gong’an (« affaire publique »).
Comme ailleurs dans le monde, les consommateurs de true crime en Chine sont majoritairement des consommatrices, qui cherchent frissons et leçons de vie. « Près de 80 % de mes abonnés sont des femmes, analyse Wapi, l’auteure derrière le compte WeChat Moyao Huayuan, une référence dans le genre. Les histoires qui résonnent le plus sont des récits de femmes perdant la vie suite à une mauvaise rencontre. Je pense que mon public a besoin de connaître les signes avant-coureurs d’une relation qui peut mal tourner ». Un paradoxe amusant quand on sait que la criminalité en Chine est relativement faible. Un sujet de conversation courant quand on prend le taxi. En effet, les homicides comptent 0,5 cas pour 100 000 habitants/an, bien en dessous de la France (1,3) ou les USA (5,7). De plus, les faits divers font rarement la Une des médias et les informations criminelles sont relativement protégées. Dans ces circonstances, où les auteurs trouvent-ils l’inspiration ?
D’abord, bien sûr, dans le passé, notamment dans les tumultueuses années 1990-2000, lorsque le boom économique chinois rendait tout possible, pour les criminels aussi. Le film Le Huitième Suspect (第八个嫌疑人, 2023) raconte ainsi l’un des braquages de banque les plus célèbres de Chine, à Canton en 1995. Autre méthode : regarder en dehors des frontières où il est parfois plus aisé de trouver des informations, notamment aux États-Unis. En effet, depuis 1976, les institutions américaines sont forcées de publier tous les éléments d’une enquête criminelle. Les internautes chinois ont pu ainsi se passionner pour l’affaire Luigi Mangione, le meurtrier présumé de Brian Thompson, CEO de UnitedHealthcare, et voir son procès en live le 21 février dernier. De nombreux influenceurs se sont emparés de l’affaire en créant des vidéos sur le sujet.
Mais attention : en Chine, la parution d'œuvres est règlementée. L'auteur doit connaître les codes – parfois légaux, parfois culturels, souvent implicites – qui régissent le monde du true crime chinois. Ainsi les criminels ne peuvent profiter du fruit de leurs crimes ; les personnages ne peuvent se faire justice ; un point de vue policier sera privilégié ; on évitera de faire le lien avec une personnalité en vie... etc. We Are Criminal Police le montre : une traque haletante au XXe siècle, où la justice triomphe toujours. Reste à savoir si le true crime chinois saura s’affranchir de son statut de genre de niche et pourquoi pas, faire frissonner en dehors de ses frontières.
Henri Moulin est consultant spécialisé dans les projets culturels basé à Pékin.
Photo : affiche du Huitième Suspect. DR.
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