
Winston Chao : l’acteur qui a troqué les blockbusters pour le théâtre
Fin décembre, à Pékin, un vent glacial souffle. Dans une salle de répétition située à l’est du cinquième périphérique, les regards se tournent soudainement vers la porte, où un homme de stature imposante entre d’un pas décidé. En se frottant la tête fraîchement rasée, il s’exclame : « Alors, que pensez-vous de ma nouvelle coiffure ? » Applaudissements et acclamations suivent et réchauffent instantanément l’ambiance. Le metteur en scène Wang Keran éclate de rire.
L’homme qui vient d’entrer n’est autre que Zhao Wenxuan (ou connu à l’ouest par son nom anglicisé, Winston Chao), célèbre acteur taïwanais du grand et petit écran converti depuis peu à l’art dramatique. Il y a peu, il incarnait dans la pièce Le Crocodile, un fonctionnaire corrompu, Shan Wudan, coiffé d’un arrière lissé grisonnant. Mais aujourd’hui, dans la pièce Lever de soleil, il joue le rôle du banquier Pan Yueting, arborant cette fois une tête rasée. Zhao raconte comment plusieurs amis, après avoir vu ses performances, se sont exclamés : « Si une version chinoise du Roi Lear devait être montée, tu devrais la jouer ! »
« Je peux aussi le jouer en anglais », a-t-il répondu en riant. Après avoir interprété plusieurs grandes pièces chinoises, il serait également prêt à explorer les classiques du théâtre occidental : « Il y aura sans doute une confrontation entre deux univers, mais au fond, les points communs dans la nature humaine sont bien plus nombreux que les différences. Ces dernières sont superficielles, tandis que nos émotions sont universelles. »
© Compte Weibo de Winston Chao/Zhao Wenxuan
Une retraite interrompue par le théâtre
Zhao Wenxuan est bien connu des spectateurs chinois, notamment grâce à une scène culte dans Les Chroniques du palais Daming où la princesse Taiping, éprise du prince Xue Shao, voit sa vie bouleversée dès leur rencontre. De l’élégant prince consort Xue, décrit dans les archives historiques comme ayant une beauté éclatante comparable à des fleurs de pêcher, à Tong Zhenbao, décrit dans les romans d’Eileen Chang comme un « personnage chinois moderne idéal », Zhao Wenxuan a incarné de nombreux rôles d’hommes raffinés et charismatiques. Sur Internet, des publications continuent de célébrer son « visage intemporel », et une célèbre discussion sur Zhihu, le Reddit chinois, affirme : « Quand on parle de l’idéal masculin à la chinoise, on ne peut pas passer à côté de lui. »
Cependant, le temps n’épargne personne. Silhouette plus ronde, cheveux grisonnants… Les rôles qu’il joue aujourd’hui reflètent cette évolution, passant des jeunes premiers élégants aux personnages au ventre proéminent, mais toujours avec cette attitude décontractée qui a fait ses succès.
Aujourd’hui sexagénaire, Zhao Wenxuan vit seul dans une campagne près de Ningbo, entouré de ses chats, chiens et plantes. Il raconte qu’entre ses débuts en 1993 et 2018, il n’a quasiment jamais pris de pause, jouant par habitude, au point de connaître son prochain rôle avant même d’avoir terminé le précédent. « En 2018, la mort de mon premier chat m’a profondément affecté, et je n’ai plus eu envie de travailler. En 2020, après une chute qui m’a valu une jambe cassée, mon intérêt pour le métier s’est encore affaibli. Je pensais sérieusement à la retraite. »
C’est une invitation du metteur en scène Wang Keran qui a ravivé sa passion. « Jouer dans Le Crocodile a été une expérience nouvelle, qui m’a redonné envie de créer. » Zhao confie que, malgré plus de 30 ans de carrière, il n’avait jamais foulé les planches avant cette année. Son premier rôle au théâtre, dans cette pièce de Mo Yan, a été suivi presque immédiatement par une adaptation du classique Lever de soleil du dramaturge Cao Yu. Il reconnaît que la scène finale du Crocodile, où son personnage Shan Wudan livre un monologue de plus de dix minutes, a représenté l’un des plus grands défis de sa carrière.
« Je pensais que je n’y arriverais jamais. »
Zhao Wenxuan se souvient de ses premières difficultés avec ce monologue. « Je pensais que je n’arriverais jamais à mémoriser tout ça, car les répliques ne racontent pas une histoire linéaire ou logique. » Heureusement, le metteur en scène a accordé une semaine de pause à l’équipe. Zhao est retourné chez lui, dans la campagne de Ningbo, où il a passé ses journées à réciter ses répliques tout en escaladant les montagnes et en promenant son chien. « Avec mon chien pour compagnie, les sentiers de montagne, et le ciel changeant au-dessus de moi, j’ai associé mes répliques à mon état d’esprit. Dans cet environnement naturel et détendu, j’ai réussi à mémoriser ce long texte. »
Fort de cette première expérience, Zhao Wenxuan a accueilli avec enthousiasme l’invitation à jouer dans Lever de soleil. Contrairement aux adaptations précédentes, où le personnage de Pan Yueting n’était pas représenté chauve, Zhao a décidé de garder la tête rasée après Le Crocodile. Il a même pris du poids pour le rôle, afin de se détacher des attentes habituelles des spectateurs et de renforcer le côté humoristique et dramatique du personnage.
Zhao Wenxuan n’a pas suivi de formation traditionnelle en art dramatique. En 1992, après près de dix ans comme steward, il décroche par hasard un rôle dans The Wedding Banquet, réalisé par Ang Lee, et entame ainsi une carrière dans le cinéma. Ayant longtemps voyagé à travers le monde durant ses années d’aviation et travaillé avec de nombreux acteurs étrangers après s’être lancé dans le métier, Zhao a acquis une compréhension approfondie des cultures artistiques occidentales et orientales.
« Les émotions sont universelles »
« Bien que les formes d’expression et les significations culturelles diffèrent entre l’Orient et l’Occident, la perception et l’interprétation d’un rôle par un acteur restent les mêmes , explique Zhao Wenxuan. Un bon acteur et une bonne performance partagent toujours un point commun : ils sont profondément sincères, venant du fond du cœur. »
Zhao se remémore son rôle dans l’adaptation télévisée du roman Nuit froide de Ba Jin. Pour rester fidèle à l’œuvre originale, les scènes ont été tournées dans un environnement glacial. Le froid extrême lui a causé une pneumonie, obligeant l’équipe à suspendre le tournage. Durant sa semaine d’hospitalisation, Zhao ressentait une profonde culpabilité. « Je n’arrêtais pas de me dire : ‘Je suis encore jeune, je peux tenir le coup.’ »
Beaucoup d’acteurs soulignent que s’immerger trop profondément dans un rôle peut affecter leur état mental, une observation que Zhao partage pleinement. « Parmi tous les rôles que j’ai joués, celui qui m’a le plus marqué et dont je suis le plus satisfait reste Sun Yat-sen. » De Song Jia Huang Chao à La Révolution de 1911, Zhao a interprété Sun Yat-sen à cinq reprises dans des films et séries.
Alors que 2025 marquera le centenaire de la mort de Sun Yat-sen, Zhao souligne l’esprit inébranlable du personnage : « Sun Yat-sen ne craignait pas l’échec, il puisait une force renouvelée dans les épreuves. Ce rôle m’a appris à maintenir un état d’esprit positif et dynamique dans ma vie quotidienne. » Il décrit ce personnage comme une véritable source d’inspiration. « Avec son immense savoir et sa passion inextinguible pour mettre en œuvre ses idéaux, il était comme une machine perpétuelle. Jouer Sun Yat-sen est l’expérience la plus exaltante de ma carrière. Même mes proches m’ont dit que mon regard avait changé, qu’il était devenu plus vif et perçant. »
Le théâtre de Cao Yu, un pont entre les deux rives
Zhao Wenxuan exprime son souhait de voir les échanges entre les deux rives se multiplier dans le domaine du théâtre et de l’audiovisuel. « Ces interactions culturelles et artistiques, en tant que dialogues enrichissants et positifs entre les populations, sont une excellente chose. J’espère qu’elles ne seront pas influencées par d’autres facteurs. Ce désir de collaboration n’est pas seulement le mien : tous ceux qui partagent une sensibilité artistique et humaniste des deux côtés souhaitent des liens plus étroits et plus fréquents. »
L’année 2025 marque aussi le 115ᵉ anniversaire de la naissance de Cao Yu, figure majeure du théâtre chinois. Zhao Wenxuan évoque avec émotion l’influence de l’auteur, dont les œuvres sont tout aussi populaires à Taïwan. Après s’être fait connaître grâce à The Wedding Banquet, il attire alors l’attention de l’actrice taïwanaise Gui Yalei, qui l’invite à se perfectionner sur scène en interprétant le rôle de Lu Dahai dans une adaptation de la pièce L’Orage. En 1996, Zhao incarne ensuite Zhou Ping, le fils aîné, dans l’adaptation télévisée de L’Orage, réalisée par Li Shaohong. À cette époque, Cao Yu était encore en vie, et Zhao a eu l’opportunité de lui rendre visite.
« Cao Yu était un créateur littéraire d'une précocité extraordinaire. Si jeune, il avait déjà une compréhension profonde de la condition humaine et des facettes de la vie, confie Zhao Wenxuan. En jouant ses œuvres, je découvre constamment de nouvelles significations. » Il souligne que les pièces de Cao Yu sont d'une simplicité désarmante, abordant des thèmes universels tels que les relations humaines, les interactions entre l'individu et la société, le bien et le mal, ou encore la justice et l'injustice. « Ces dynamiques, bien qu'écrites il y a près d’un siècle, restent d'actualité dans notre société contemporaine. Nombreux sont ceux qui continuent à lutter pour changer ces réalités, et c'est là que réside la valeur intemporelle du théâtre de Cao Yu. »
Zhao Wenxuan a également joué dans l'adaptation télévisée du roman Fragrance envoûtante, écrit par Wan Fang, la fille de Cao Yu. « J'ai une relation particulière avec la famille de M. Cao Yu et de Mme Wan Fang ! » plaisante-t-il. Zhao raconte que, dans sa jeunesse, il rêvait d’incarner Zhou Chong, le jeune idéaliste de L’Orage, mais qu’il a finalement joué Zhou Ping, le fils aîné tourmenté. « À l'avenir, si l'occasion se présente, j'aimerais beaucoup interpréter Zhou Puyuan », conclut-il avec enthousiasme.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : © Compte Weibo de Winston Chao
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