En arrivant en tête du classement du box-office d’un marché unique dans l'histoire du cinéma mondial, en devenant le seul film non hollywoodien à figurer parmi les 30 premiers du classement mondial, et en dépassant les 10 milliards de yuans au box-office mondial, Nezha : L’enfant démon qui ravage l’océan (ci-après dénommé Nezha 2) a non seulement bouleversé les palmarès de l’histoire du cinéma, mais a également attiré l'attention des cinéphiles du monde entier sur le personnage mythique Nezha.

D'où vient Nezha ? Quels sont les éléments fondamentaux culturels taoïstes contenus dans Nezha 2 ? Comment la culture orientale peut-elle traverser les frontières culturelles et être partagée à l’échelle mondiale ? Spécialiste de la culture taoïste et auteur de Taoïsme, cinéma et télévision, Yuan Fangming a récemment accepté un entretien exclusif avec Question d’Orient et d’Occident de Chine Info afin de répondre à ces questions.　

D’où vient Nezha, ce personnage mythique bien connu en Chine ?

Généralement, on pense que Nezha est l'abréviation translittérée du sanskrit Nalakuvara. Dans différentes écritures bouddhistes, la traduction de ce nom varie, les plus courantes incluent Naluojiupo, Nazhajiuvara, Nazhajuvala, etc.

La première mention du terme « Nezha » dans les livres canoniques du bouddhisme apparaît dans Bouddha-Charita écrit par l'ancien maître bouddhiste indien Ashvaghosha et traduite par le moine indien Dharmakshema. Dans ce livre, Nezha porte le nom de Naluojiupo. Il est le fils de Kubera, le roi du bouddhisme du nord parmi les quatre rois célestes du bouddhisme. Plus tard, Nezha est devenu une divinité protectrice bouddhiste et une divinité Yaksha.

En Chine, l'évolution de l'image de Nezha peut être grossièrement divisée en deux étapes : la première pendant les dynasties Tang et Song, la seconde pendant les dynasties Yuan, Ming et Qing. Au milieu et à la fin des Tang, Li Jing, le général fondateur de cette dynastie, fut progressivement déifié et vénéré de la même manière que le roi Kubera par le bouddhisme. Nezha a également évolué du fils du roi Kubera au fils de Li Jing.

Après la dynastie Song, le nom de Nezha est mentionné à de nombreuses reprises dans les ouvrages des temples bouddhistes tels que Recueil des affaires du jardin des ancêtres, Biographie des moines éminents de la forêt de la méditation, et Compilation de recueils des cinq lampes. Un écrivain de la dynastie Song nommé Su Che a écrit un poème intitulé Nezha : « Le roi du nord a un fils insensé, il ne sait adorer que Bouddha mais pas son père. Le Bouddha sait qu'il est stupide et qu’il est difficile de lui enseigner, le père porteur de pagode lève la main gauche. » De toute évidence à cette époque, l'idée que le père de Nezha était Li Jing, roi céleste porteur de pagodes, était profondément enracinée dans le cœur des gens.

Après que le bouddhisme a été introduit en Chine, il a influencé et intégré le taoïsme. Pendant les dynasties Yuan et Ming, dans L'Encyclopédie de la recherche des dieux des trois religions Nezha était identifié comme étant « le Grand Immortel Luo guidé par l'Empereur de Jade » et « né de Li Jing, le roi céleste de porteur de pagodes ». En donnant l’âme à un corps composé des graines, des racines, des tiges et des feuilles de lotus, Nezha était incarné comme « le bienheureux » du bouddhisme. On peut voir que dans ce livre Nezha est dans la phase de transition du bouddhisme au taoïsme.

L'Encyclopédie de la recherche des dieux des trois religions a influencé L’investiture des dieux qui a alors complètement transformé Nezha en une entité aux caractéristiques taoïstes. Ainsi, au cœur de la grotte Jinguang située dans la montagne Qianyuan, il est devenu un disciple de Taiyi Zhenren. Il a alors endossé la tâche importante de détruire la dynastie Shang et de faire émerger la dynastie Zhou.

Quel genre d'éléments culturels taoïstes contient Nezha 2 ?

Le taoïsme est une religion qui est née et s’est développée en Chine. Apparu à la fin de la dynastie des Han de l'Est, il est originaire de la montagne Heming située à Dayi dans la province du Sichuan. Fondé par Zhang Daoling, l'idée centrale du taoïsme est de « Respecter le Tao et honorer la vertu, le Tao suit la nature, cultive à la fois le corps et l’esprit, gouverne le corps et le pays, unicité de la nature et l'homme ». Contrairement à de nombreuses religions qui recherchent l’au-delà, le taoïsme aspire au bonheur dans ce monde.

Dans le film Naissance de l’enfant démon Nezha (ci-après dénommé Nezha 1), de nombreux éléments appartiennent à la culture taoïste tels que le concept de destin indépendant selon lequel « mon destin dépend de moi mais pas du Ciel », l’art des sorts et des talismans comme la maîtrise du feu, la capacité d’aveuglement et la transformation. Sont également présents les lieux féeriques taoïstes et le paradis des cavernes et terres bénies tels que ceux de La Carte des montagnes et des rivières.

Le yin et le yang ainsi que les cinq éléments présents dans Nezha 2 appartiennent également à la culture taoïste. Le taoïsme croit que « toutes choses portent le yin, embrassent le yang et injectent le qi dans l'harmonie » et qu’« un yin et un yang sont appelés Tao ». Dans Nezha 2, Ao Bing, réincarnation de la Perle Spirituelle et Nezha, réincarnation de la Perle du Démon, forment une unité indissociable du « yin et du yang ».

L'ancienne théorie chinoise des cinq éléments estime que tout dans le monde est généré par le mouvement et les changements entre les cinq substances de base que sont le métal, le bois, l'eau, le feu et la terre. La relation qui existe entre les cinq éléments et toutes choses maintient un équilibre dans le mouvement de génération et de retenue.

Dans le film, Nezha appartient au « feu » et Ao Bing appartient à « l'eau ». Lorsque Maître Taiyi a remodelé leurs corps, il a utilisé leurs propres attributs et les principes selon lesquels « l'eau triomphe du feu » et « le métal génère de l'eau » pour lancer des sorts.

Au début du film, afin de pratiquer le rituel du raffinage de libération des âmes sur Nezha et Ao Bing et remodeler leurs corps, Maître Taiyi utilise les éléments de l'eau à travers le lotus, et du feu à travers le feu de Samadhi. Concernant le raffinage taoïste par le feu de l'eau, vous pouvez vous référer aux écritures taoïstes telles que le Canon doré des rites salvateurs et initiatiques de la tradition Lingbao. 

« Les douze immortels d'or du mont Kunlun » présents dans le film sont une représentation moderne qui provient des « Douze Générations d'Immortels » issus du roman L’investiture des Dieux. Dans le taoïsme, bien qu'il n'existe pas « douze immortels dorés du mont Kunlun » dans le temple de la vacuité du Jade. Cependant, il existe des différences entre les immortels célestes, les immortels terrestres, les immortels divins, les immortels humains et les immortels fantômes, ainsi que les immortels dorés et les divers immortels en devenir.

Le taoïsme estime que l’immortalité divine peut s’apprendre et s’atteindre, il suffit juste d’être une entité vivante et de pratiquer le taoïsme. Par conséquent, les personnages Shen Gongbao et Shen Xiaobao, nés en tant qu’animaux, peuvent tout comme Nezha et la Perle du Démon, devenir immortels en réussissant l'examen de promotion au stade supérieur.

Le nom complet du Livre de la délivrance des âmes qui apparaît dans le générique de fin de Nezha 2 est Le Sūtra sublime du Salut illimité des êtres selon le Trésor Spirituel (Lingbao). C'est le premier chapitre du Canon taoïste orthodoxe qui est également le classique de base de l'école taoïste de Sanshan Fulu. Son principe fondamental, qui stipule que « La voie de l’immortalité valorise la vie et sauve les gens à l’infini », encourage les gens à se sauver eux-mêmes et à sauver les autres.

Outre des éléments de la pensée taoïste, Nezha 2 cache également un grand nombre de détails faisant référence au patrimoine archéologique. Par exemple, le double personnage de la bête barrière aux sourcils épais s'inspire de la tête humaine en bronze parée d’un masque en or, du grand masque en bronze et de la cloche en bronze en forme d'aigle découverts sur le site archéologique de Sanxingdui dans la province du Sichuan. Le ding Tianyuan du temple de la vacuité du Jade contient des éléments du ding aux pieds planes ornées de motifs de dragon exposés au musée de Shanghai et des éléments du dui en bronze de l’époque des Royaumes combattants du musée du Sichuan. Le Lotus aux Sept Couleurs, l'arme magique clé pour remodeler les corps de Nezha et d'Ao Bing, présente des similitudes avec l’encensoir de Boshan en bronze incrusté d'or qui a été découvert dans la tombe de Liu Sheng, roi Jing de Zhongshan.

Dans quel film ou quelle œuvre télévisée figure pour la première fois l’image de Nezha ? Comment la culture orientale peut-elle transcender les frontières culturelles et être partagée à l’échelle mondiale ?

Le premier film Nezha remonte à la République de Chine. En 1927, Gu Wuwei réalise L’investiture des Dieux : Nezha triomphe du Roi Dragon avec pour principale intrigue le conflit entre Nezha et le Roi Dragon. Le premier film d'animation sur le thème de Nezha a été co-réalisé par Wang Shuchen en 1979 avec pour titre Nezha triomphe du Roi Dragon. En 1999, Wang Genfa réalise le premier dessin animé télévisé King Kong Nezha, également connu sous le nom de L’investiture des Dieux. 

Ces dernières années, la Chine et les États-Unis ont conduit une expérience intéressante en co-produisant un dessin animé combinant les deux marques déposées classiques de Nezha en Chine et de Transformers aux États-Unis.

Dans l'histoire des productions chinoises cinématographiques et télévisuelles relatives à Nezha, les plus influentes jusqu'à présent sont Nezha triomphe du Roi Dragon, le film d'animation réalisé par Wang Shuchen en 1979, ainsi que Nezha 1 et Nezha 2 réalisés par Yang Yu (Dumpling). Alors qu’il ne dure que 62 minutes, Nezha triomphe du Roi Dragon intègre les arts traditionnels chinois tels que le maquillage du visage de l'Opéra de Pékin et les peintures murales du Nouvel An. Le style des dessins est doux et ancien, et l'intrigue est touchante.

Nezha 1 et Nezha 2 ne répondent pas à l'esthétique occidentale, mais sont plutôt enracinés dans la culture chinoise traditionnelle, combinant l'esthétique orientale avec une technologie d'animation de pointe et des perspectives modernes. Selon The Hollywood Reporter « ces films redéfinissent l'apogée de l'industrie cinématographique chinoise avec sa technologie d'animation de pointe et une narration profonde ». Richard Gelfond, le pdg d'IMAX, estime également que « L'ampleur et l'innovation des superproductions chinoises sont en train de remodeler le marché mondial du film. »

Les critiques positives à l'étranger de Nezha 2 montrent également que la culture et l'esthétique orientales peuvent non seulement répondre aux besoins du peuple chinois, mais aussi franchir les frontières culturelles et être partagées à l'échelle mondiale. La tradition et la modernité ne s'excluent pas mutuellement, la culture traditionnelle, après avoir été modernisée, peut devenir un pont pour les échanges culturels mondiaux. Toutes les civilisations peuvent puiser en toute confiance dans leur propre culture traditionnelle et dessiner une nouvelle image de la compréhension mutuelle entre les civilisations.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.