
Des steppes à la scène mondiale : la folk mongole qui fait vibrer la planète
Originaires des vastes steppes de Mongolie intérieure, les musiciens du groupe Anda bousculent les clichés sur la musique traditionnelle chinoise. Alliant instruments anciens et rythmes contemporains, ils font résonner chants mongols et épopées héroïques sur les scènes du monde entier. Portrait d’un collectif singulier, entre transmission et innovation.
Fondé en 2003 et originaire de Mongolie-Intérieure, le groupe de musique traditionnelle Anda est l’une des rares formations chinoises à avoir percé sur la scène internationale. Alliant divers éléments du patrimoine culturel immatériel à une touche de modernité, le groupe s’était déjà fait un nom à l’étranger par ses tournées et échanges culturels, bien avant de se faire connaître du grand public en Chine grâce à des émissions de variétés.
De mars à avril, Anda a effectué sa onzième tournée en Amérique du Nord, passant par une dizaine de villes aux États-Unis et au Canada. Lors de leur dernière étape à Toronto, le leader du groupe, Narisu, la chanteuse principale Qiqige Ma et le musicien Qinggeletu évoquent dans un entretien leur style musical, la manière dont ils ont séduit un public étranger, ainsi que leur vision de la transmission et de l’avenir de la musique traditionnelle.
Le groupe Anda est composé de neuf membres d’ethnie mongole, tous issus d’une formation musicale académique. Il est considéré comme un emblème de la musique contemporaine des steppes sur la scène internationale, et comme un pionnier agile dans la diffusion de cette musique à l’étranger. À ce jour, le groupe a donné plus d’un millier de concerts dans plus de 40 pays et régions du monde. Ses membres actuels sont : Bo Narisu, Qiqige Ma, Bilige Bater, Wurigen, Wuni, Qingge Le, Saihanniya, A Wurigen, et Qinggeletu.
Narisu (au centre), leader du groupe Anda, Qiqige Ma (à gauche), chanteuse principale et Qinggeletu (à droite), musicien.
Vous surmontez la barrière de la langue par la musique. Quel message souhaitez-vous transmettre au monde ?
Narisu : Lorsque nous jouons en Occident, le public ne comprend pas toujours les paroles, mais nous présentons chaque morceau et, par la musique, nous donnons à ressentir un univers que nous cherchons à exprimer.
Le vecteur essentiel du chant traditionnel, c’est la langue du peuple. Nous chantons principalement en mongol. Traduire un chant populaire ou en réécrire les paroles dans une autre langue, c’est lui donner une nouvelle vie : c’est une forme de création artistique. Mais sur scène, nous nous appuyons avant tout sur la musique elle-même, pour que chacun puisse entrer dans notre monde musical.
Notre musique transmet aussi beaucoup de sons proches de la nature. La musique de la steppe exprime sans détour les sentiments les plus simples, les plus essentiels – envers les parents, envers la nature.
Tout en restant fidèles à une forte identité musicale traditionnelle, vous explorez aussi des voies nouvelles. Comment définissez-vous le style musical du groupe Anda ?
Narisu : Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de nous enfermer dans une étiquette précise. Certains chercheurs qualifient notre musique de folk dans le cadre des musiques du monde. Parfois, pour des raisons promotionnelles, les organisateurs parlent même de rock.
Il est vrai que nous utilisons des instruments traditionnels, mais ces instruments ont évolué avec le temps. Le morin khuur (vièle à tête de cheval), par exemple, a connu de nombreuses améliorations techniques au fil des générations. La musique traditionnelle n’a pas simplement revêtu un habit moderne : elle est bel et bien une musique d’aujourd’hui. Elle entre en résonance, entre en contact, voire en collision, avec d’autres styles venus du monde entier.
Qiqige Ma : J’ai grandi dans les grandes steppes de Hulunbuir, au sein de ce qu’on appelle les « trois petites ethnies » – les Evenks, les Oroqens et les Daur. Cette terre m’a donné quelque chose d’unique. J’ai été élevée dans un environnement où les chants traditionnels et les langues se mêlent harmonieusement. Ma mère est dépositaire d’un patrimoine immatériel. Nous sommes des gens qui chantent les chants traditionnels tout en vivant dans le monde contemporain. C’est pourquoi ne pas définir notre musique, c’est peut-être ce qui la définit le mieux.
Pourquoi le groupe Anda séduit-il autant les publics étrangers ? Comment comprenez-vous que plus ça soit enraciné dans une culture, plus c’est universel ?
Narisu : Pour suivre notre propre voie musicale, nous devons rester fidèles à notre style, sans pour autant nous y enfermer. Il faut s’ouvrir, intégrer d’autres courants musicaux venus du monde entier, pour enrichir notre musique et toucher des publics plus variés.
Ce n’est pas propre au peuple mongol : la steppe touche quelque chose de profond dans le cœur humain. La culture des steppes exerce une attirance presque instinctive sur les gens du monde entier, et la musique qui en est issue est elle aussi très ouverte. Les longs chants, par exemple, traduisent une manière de vivre très concrète, mais ils parlent aussi à des personnes d’autres cultures.
Nous nous inspirons sans cesse de multiples courants musicaux, en cherchant à intégrer une expression contemporaine à nos instruments et traditions. Mais cette fusion ne peut être artificielle : il faut penser les liens, créer des passerelles. C’est une étape essentielle. Lorsqu’il y a résonance avec le public, alors davantage de personnes sont touchées.
Quel regard portez-vous sur les plateformes de diffusion actuelles – émissions de variétés, réseaux sociaux, plateformes de divertissement ? Le groupe Anda cherche-t-il à s’adapter davantage au public ou au marché ?
Qinggeletu : Notre musique a une grande souplesse. Pour moi, qu’on nous présente dans une émission de variétés, dans une salle de concert ou sur la scène d’un festival rock, cela ne pose aucun problème. Écouter notre musique, ou écouter le Khuuriin khooloi (forme de rap traditionnel mongol), c’est aussi quelque chose de tendance, de cool. Si l’on parle d’adaptation, c’est peut-être surtout dans notre image scénique, qui est devenue plus accessible qu’auparavant.
Qiqige Ma : La musique traditionnelle offre un vaste champ pour l’adaptation. Chacun peut y apporter sa propre vision. Ce que nous faisons, c’est rester nous-mêmes, tout en explorant des pistes de réinterprétation intéressantes – c’est cela, la contemporanéité de l’art et de la musique traditionnelle. Grâce aux émissions télé, beaucoup de jeunes ont découvert et apprécié le groupe Anda, mais notre travail s’appuie déjà sur des bases solides. Ce qui fait la force d’un musicien, c’est sa capacité à rester ancré. Peu importe le contexte ou le style, il doit être capable de s’exprimer pleinement.
Narisu : Je ne parlerais pas d’aller dans le sens du public, mais il faut réfléchir au marché, à la manière de transmettre la musique traditionnelle aux jeunes générations avec un langage d’aujourd’hui. On ne peut pas se contenter de dire que le traditionnel est ce qu’il y a de mieux. Le marché compte aussi. Il faut savoir travailler sa capacité de scène, tout en se demandant comment rendre ses œuvres plus actuelles, plus accessibles.
Prenons l’un de vos morceaux les plus connus, L’éloge du héros Jangar. Quelle approche avez-vous adoptée pour l’adapter et l’interpréter ?
Narisu : Jangar est l’une des trois grandes épopées héroïques des minorités ethniques chinoises. Pour sa mise en scène, l’arrangement a été réalisé par Uni, notre joueur de tobshuur (luth traditionnel). La version traditionnelle, telle qu’elle est chantée dans les campagnes, a déjà en soi une rythmique très proche du rock, même si le tempo du tobshuur est généralement plus lent. Lors de l’adaptation, nous avons accentué ce rythme pour lui donner une force plus marquée, plus « rock ».
Qiqige Ma : Dans la musique mongole, le rythme et la mélodie sont deux éléments essentiels. Un musicien ne se contente pas de jouer : il doit sans cesse apprendre, enrichir sa pratique au contact du terreau artistique. Même pour L’éloge du héros Jangar, notre version d’aujourd’hui est bien plus aboutie que celle d’il y a dix ans. Notre musique devient de plus en plus équilibrée, capable de porter des choses globales, belles et profondes.
À l’heure des contenus « courts, rapides et percutants », comment mieux transmettre aux jeunes générations une musique traditionnelle riche de culture et d’histoire ?
Qinggeletu : Je pense qu’aujourd’hui, les jeunes ne considèrent plus la musique traditionnelle comme « ringarde ». D’ailleurs, des formes complexes d’harmonies existaient déjà dans la musique ancienne. J’ai rencontré beaucoup d’étudiants, et nombreux sont les jeunes qui aiment la musique indépendante — peut-être parce qu’après avoir écouté de la musique populaire, ils n’en retirent pas d’émotion profonde. Je suis convaincu qu’en restant fidèles à notre style, de plus en plus de gens y adhéreront. Cela demandera peut-être du temps, mais je crois qu’en restant ancrés dans notre culture, nous pouvons y parvenir.
Qiqige Ma : Nous avons déjà formé plusieurs promotions au sein de « classes Anda » (classe de transmission et d’innovation en musique traditionnelle de l’Académie des arts de Mongolie-Intérieure). Après trois ou quatre ans d’apprentissage, les élèves développent une réelle affection pour le long chant mongol et les chants populaires. Dans la classe de transmission des chants de Hulunbuir que j’enseigne, je dois leur transmettre cinq styles musicaux différents, dans autant de langues ethniques. Les étudiants sentent qu’ils vivent une expérience plus riche que les autres, en découvrant les chants des Evenks, des Oroqens, des Bouriates et des Barghoutes. Les professeurs sont aussi des modèles : nous avons voyagé dans de nombreux pays, et cette ouverture d’esprit est précieuse pour les élèves.
Narisu : Au-delà de la tradition elle-même, les jeunes d’aujourd’hui ont une réflexion contemporaine sur la musique. Il est vrai que la musique traditionnelle est parfois éloignée du marché. Ce que fait le groupe Anda, c’est justement de construire un pont entre cette tradition et le public jeune. Et c’est quelque chose que nous aimons particulièrement faire. C’est difficile, mais il faut s’y consacrer : rendre la tradition plus tendance, montrer au public sa vraie valeur.
Nous devons encore continuer à explorer. Prenons les instruments, par exemple : comparés à de nombreux instruments occidentaux, certains de nos instruments traditionnels manquent encore de stabilité. Lors des tournées, les variations de température ou de climat peuvent facilement provoquer un désaccord ou une altération du son. À l’avenir, la fabrication des instruments traditionnels devrait gagner en standardisation, ce qui contribuera à enrichir et à affiner notre musique.
Aujourd’hui, interpréter la musique traditionnelle dans un langage musical que nous, ainsi que les jeunes générations, pouvons comprendre, c’est une mission que nous poursuivons sans relâche. Bien sûr, ce qui compte avant tout, c’est le terreau originel de cette transmission : sans lui, nous ne pourrions entendre cette musique, ni assurer sa continuité de génération en génération.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Capture d’écran du groupe Anda participant à une émission de télévision en Chine
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