Une maison chinoise au cœur de l’Amérique : quand les échanges commencent par un toit

1757492811744 China News Chen Mengtong

Aux États-Unis, un professeur d’histoire a fait démonter puis reconstruire, pièce par pièce, une maison traditionnelle venue des montagnes du Yunnan. Installée aujourd’hui en Virginie-Occidentale, cette demeure en bois est devenue un lieu d’apprentissage vivant, où des lycéens américains découvrent la Chine non pas à travers les manuels, mais par l’expérience, les mains dans le bois et les yeux ouverts sur une autre culture. Entretien exclusif avec John Flower, co-fondateur du projet « China Folk House »

Dans les montagnes de Virginie-Occidentale, aux États-Unis, se dresse une maison traditionnelle venue tout droit du Yunnan, en Chine. En 2017, John Flower, professeur d’histoire dans un lycée américain, visite avec ses élèves le village de Cizhong, dans le comté de Jianchuan, province du Yunnan. C’est là, au bord du fleuve Lancang, qu’il découvre par hasard une maison à la structure en bois, au design élégant, mêlant des éléments culturels han, tibétains et naxi.

Lorsque le propriétaire lui apprend que la construction d’un barrage hydroélectrique dans les environs les contraint à déménager et que la maison sera submergée, John Flower a l’idée de la faire venir aux États-Unis. Grâce aux efforts conjoints du couple Flower et des habitants locaux, la maison est entièrement démontée, chaque pièce de bois est expédiée aux États-Unis, et sa reconstruction à l’identique est aujourd’hui quasiment achevée, au bord de la rivière Shenandoah, dans la ville de Jefferson, en Virginie-Occidentale.

Pour accompagner ce projet, le couple Flower ont fondé une organisation à but non lucratif baptisée China Folk House (ndt : maison populaire chinoise), destinée à favoriser les échanges culturels et éducatifs entre la Chine et les États-Unis. Le docteur John Flower est ancien professeur associé d’histoire de l’Asie de l’Est à l’université de Caroline du Nord à Charlotte et chercheur au centre d’études asiatiques de l’université de Virginie. Il a renoncé en 2007 à sa titularisation à l’université pour devenir directeur du programme d’études chinoises à la Sidwell Friends School de Washington. À la veille d’un nouveau voyage au Yunnan avec ses élèves, John Flower a accepté d’accorder un entretien.

Depuis ce pari fou lancé en 2017, le projet China Folk House a traversé les océans et sa reconstruction est aujourd’hui presque achevée, huit ans plus tard. Pouvez-vous nous dire où en est le projet actuellement ?

La nouveauté, c’est que nous avons aujourd’hui bien plus d’interactions avec la communauté chinoise locale. La China Folk House fonctionne comme un musée. Depuis sa création, nous avons accueilli de nombreux groupes scolaires pour des visites. Mais deux choses m’ont particulièrement surpris.

La première, c’est l’énorme succès de notre camp d’été. Ici, nous avons développé une forme d’éducation pratique centrée sur la construction manuelle, la cuisine et l’artisanat. Le lieu est devenu un véritable centre d’apprentissage par l’expérience.

La seconde surprise, c’est le nombre de groupes issus de la communauté chinoise qui sont venus nous rendre visite. Pour beaucoup de Sino-Américains, cet endroit représente un lien avec leurs racines culturelles. Les parents sont heureux de venir avec leurs enfants, car nombre d’entre eux n’ont jamais vu une scène aussi représentative de la vie rurale en Chine — en particulier celle du Yunnan. Cela a fait de la China Folk House une véritable plateforme d’échanges entre les peuples.

Cette maison provient des montagnes du Yunnan, dans la région des « Trois Fleuves parallèles » en Chine, et elle a été reconstruite dans une zone de confluence entre trois États américains — la Virginie-Occidentale, la Virginie et le Maryland — où passe la rivière Shenandoah. Est-ce un hasard ?

Depuis le fleuve Lancang et l’Himalaya jusqu’à la Shenandoah et aux monts Blue Ridge, il y a une certaine correspondance. Je voulais la déplacer dans un lieu de nature, avec des montagnes et de l’eau. Elle vient de la campagne, elle devait retourner à la campagne. C’était en fait une décision assez naturelle.

Que ce soit au Yunnan ou en Virginie-Occidentale, la maison est orientée nord-sud. Et ce qui est curieux, c’est que les montagnes et les rivières autour d’elle sont dans des directions inverses : le fleuve Lancang coule du nord vers le sud, alors que la Shenandoah va du sud vers le nord. Mais c’est justement ce qui rend les choses parfaites : elle est arrivée dans un nouveau lieu, où l’on retrouve les mêmes éléments naturels — simplement dans un ordre ou un sens différent.

Vous dites que la maison est « comme un texte ». Pourquoi avoir choisi une maison traditionnelle comme support pour faire découvrir la Chine à vos élèves ?

Une maison traditionnelle est une structure physique, bien sûr, mais elle porte aussi une richesse de sens social. Elle représente une famille. Ce n’est pas juste un musée : des gens y ont réellement vécu. Ainsi, quand tu découvres l’histoire d’une maison, tu découvres en réalité l’histoire d’un foyer — un espace structuré, habité, peuplé.

Il existe un dicton chinois : parler de stratégie sur le papier (纸上谈兵, expression chinoise désignant des discussions purement théoriques, sans lien avec la réalité). Vous faites exactement l’inverse. Qu’est-ce qu’une maison réelle, concrète, peut offrir comme expérience de la culture chinoise à vos élèves ?

Comme vous le dites, ici tout a été fait de nos propres mains. Et ce qui est génial, c’est que ce n’est pas un simple exercice. Les élèves adorent ça : ils viennent ici, ils font vraiment les choses, ils doivent vraiment résoudre des problèmes. Comme pour installer cette porte, par exemple : il n’y avait ni manuel ni instructions. Il a fallu réfléchir, trouver nous-mêmes la solution.

Lors de vos voyages en Chine avec les élèves, vous leur apprenez aussi le chinois, et vous leur donnez même des questions à traiter pendant les visites. Qu'espérez-vous qu’ils en retirent ?

Nous pensons que l’apprentissage passe nécessairement par la pratique. La seule manière réelle pour eux d’apprendre, c’est de faire. Bien sûr, je peux leur faire visiter une maison et leur expliquer tous les détails. Mais ce n’est qu’en étudiant par eux-mêmes, en rédigeant un rapport, qu’ils pourront vraiment aller au fond des choses. L’expérience ne peut pas venir d’une écoute passive : ils doivent s’impliquer activement. C’est là tout le principe de l’apprentissage par l’expérience — et c’est exactement ce sur quoi nous voulons nous concentrer et continuer à développer.

Cela peut-il les aider à mieux comprendre la Chine ?

En réalité, cette maison n’est pas si ancienne : elle a été construite en 1989. À l’époque, le village de Cizhong n’avait pas encore l’électricité, ni même un pont pour traverser le fleuve Lancang. Quand nous avons démonté la maison en 2017, tous les habitants avaient un téléphone portable, étaient connectés à Internet, et certains vendaient déjà leur miel en ligne. Une autoroute avait été construite, et il était même possible de voyager en train à grande vitesse.

Cizhong est passé, en moins de trente ans, d’un mode de vie très traditionnel, presque ancien, à une société moderne — et cette maison a été témoin de toute cette transformation. À mes yeux, raconter l’histoire de cette maison, c’est aussi raconter le processus de modernisation de la Chine : comment, en l’espace de trente ans, on est passé d’un village sans électricité ni infrastructure à une intégration complète dans le monde contemporain. C’est absolument remarquable.

Pourquoi les États-Unis auraient-ils besoin d’une maison traditionnelle chinoise ?

Parce que lorsqu’on est confronté à quelque chose de concret, à quelque chose lié à la vie quotidienne, la Chine devient soudain plus humaine. Beaucoup de malentendus naissent de l’abstraction. C’est dans ce flou qu’on projette nos peurs, nos angoisses sur des concepts vagues.

Or, ici, on est face à une vraie maison chinoise. C’est précisément ce qui crée cette forme de « magie » pour ceux qui viennent la visiter : elle rend la Chine humaine, au lieu de la diaboliser. Elle montre le quotidien réel de familles chinoises, et la manière dont elles vivent concrètement dans une communauté.

Comment devrait-on traduire en chinois le terme « rendre humain » pour nos lecteurs ?

Je pense que renqing (人情), la chaleur humaine, explique bien le concept. C’est cette chaleur humaine qui a permis à ce lieu d’exister. Les choses n’ont pas été faites pour de l’argent, ni dans une logique d’échange, mais comme des dons.

J’ai quelques compétences en construction, mais seul — même avec mes élèves — je n’aurais jamais pu reconstruire cette maison.

Je pense que c’est justement cette chaleur, cette générosité humaine, qui a insufflé la vie à cet endroit. Quand mes élèves viennent ici, ils y mettent aussi leur propre chaleur humaine, leur part d’eux-mêmes — et c’est cela qui le rend vraiment vivant. Il y a ici une énergie forte, une charge émotionnelle. Je crois que toute personne qui entre dans ce lieu ressentira cette douceur, cette humanité.

Quel rôle peut jouer la jeunesse dans le développement des relations entre la Chine et les États-Unis ?

À mon sens, c’est précisément quand les relations entre les deux pays sont tendues que les échanges entre les peuples sont les plus nécessaires. Les problèmes naissent toujours quand on commence à craindre ou à haïr ce qu’on ne connaît pas. Mais quand on se rend dans un endroit, qu’on y rencontre des gens, qu’on parle avec eux, qu’on apprend à les comprendre, à créer du lien — alors la peur et la haine n’ont plus leur place. Tant qu’il y aura du dialogue entre les peuples, la peur et la haine ne pourront s’installer.

C’est pourquoi ce type d’échange est aujourd’hui plus important que jamais. Je continuerai à emmener mes élèves en Chine, et j’espère aussi que des élèves chinois viendront ici. Plus nous multiplierons ces rencontres, surtout entre jeunes, plus nous pourrons nourrir l’espoir.

Comme l’écrivait Lu Xun dans Le Village natal : « Au départ, il n’y avait pas de chemin. Mais à force de marcher, un chemin finit par se tracer. »

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.


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