
Comment la Chine a-t-elle permis au grand esturgeon de Sibérie de revenir chez lui ?
Interview exclusive avec Zhang Tianhang, responsable du projet de bienfaisance pour la protection du grand esturgeon de Sibérie en Chine.
En 2021, un projet de protection de l'environnement permettant au grand esturgeon de Sibérie chinois de revenir dans son milieu d’origine a été sélectionné comme l'une des réussites de protection de la biodiversité par les Nations Unies.
En tant que responsable du projet, Zhang Tianhang, secrétaire général de la fondation de bienfaisance pour la protection des ressources naturelles durables de la province du Heilongjiang, travaille depuis plus de huit ans sur la protection des populations des grands esturgeons de Sibérie. Il partage son histoire.
Quelle est la situation actuelle des populations de grands esturgeons de Sibérie en Chine ?
La particularité du grand esturgeon de Sibérie est de naître en eau douce et de grandir en mer, avec une espérance de vie de trois à cinq ans. Autrefois, le grand esturgeon de Sibérie était une espèce de poissons largement répandue dans les bassins du fleuve Amour, de la rivière Tumen et de la rivière Suihua en Chine, mais sa population a considérablement diminué au cours des 30 dernières années pour diverses raisons.
En 2015, après le lancement du projet de retour de grand esturgeon de Sibérie, les participants ont découvert, lors d'une enquête sur les ressources fluviales, que celui-ci était présent dans les eaux de Fuyuan, dans le Heilongjiang, mais avait pratiquement disparu dans le bassin de la Songhua. Le grand esturgeon de Sibérie de type Masu était encore présent dans la rivière Tumen et la rivière Suihua, tandis que le grand esturgeon de Sibérie à dos bossu n'avait plus été vu depuis de nombreuses années.
Du point de vue de la classification taxonomique, le grand esturgeon de Sibérie appartient à la même famille que le saumon de l'Atlantique (salmonidés), dont le système de protection constitue une référence pour celle du grand esturgeon de Sibérie. Contrairement au panda géant, à l'antilope du Tibet, au tigre de Sibérie, et au singe doré qui sont des animaux de première catégorie protégés par l'État en Chine, le grand esturgeon de Sibérie est reconnu pour sa valeur économique, de nombreux pêcheurs dépendant de la pêche de cette espèce pour leur revenu. Par conséquent, dans sa protection, la Chine adopte la voie de la « pêche durable », visant à bien protéger tout en permettant une exploitation appropriée.
Actuellement, quelles sont les mesures et pratiques efficaces que la Chine a mises en place pour protéger les populations de grands esturgeons ?
Dans la nature, les taux de fécondation et de survie du grand esturgeon de Sibérie sont relativement faibles, donc la reproduction artificielle scientifique et la relâche en milieu sauvage sont l'un des moyens importants pour restaurer les populations. Les stations de relâche, grâce à des équipements spéciaux, peuvent augmenter le taux de survie des œufs des esturgeons à plus de 80 %.
Elles capturent des reproducteurs durant la saison de migration, d'octobre à début novembre, pour procéder à la reproduction artificielle à travers des systèmes d'incubation avancés. Ensuite, après la fonte des glaces fin avril ou début mai de l'année suivante, ils procèdent au lâcher des alevins, qui se dirigeront vers l'océan.
Les pays du nord du Pacifique, tels que les États-Unis, le Canada, la Russie, le Japon et la Corée, peuvent lâcher jusqu'à 5 milliards d'alevins. Actuellement, le nombre d'alevins lâchés par la Chine chaque année est d'environ deux millions, et les populations de grands esturgeons de Sibérie ont encore besoin de temps pour se rétablir.
En 2018, l'équipe de protection de Chine a demandé à la commission des poissons migrateurs du Pacifique Nord (NPAFC) un segment de numéro spécifique pour les otolithes de Hunchun dans la rivière Tumen. C’est la première fois que la Chine a commencé à utiliser le marquage d'otolithes selon les standards internationaux. Ainsi, le grand esturgeon de Sibérie en Chine a désormais un « passeport international ».
Les otolithes, qui se trouvent dans le cerveau du poisson, peuvent être lus sous un microscope après dissection pour tracer l'identité du poisson. Chaque année, un segment de numéro est attribué internationalement à chaque station de lâcher, fournissant un identifiant numérique spécifique. Avant le lâcher des jeunes poissons, un échantillonnage aléatoire est effectué pour vérifier sous microscope si le marquage a été réussi, et des échantillons sont envoyés au siège international pour archivage. Les navires scientifiques en mer capturent régulièrement du saumon pour les tests, et grâce à ces « passeports internationaux » que sont les otolithes, il est possible de déterminer de quel pays, quelle station de relâche, et de quelle année provient le poisson.
Le marquage des otolithes permet également à la Chine de différencier les populations de poissons issues du même cours d'eau mais lâchées à différents moments. Lors de la migration, il est possible de comparer les taux de migration de différents groupes de poissons selon le moment du lâcher, ainsi que d'autres données pertinentes telles que l'efficacité réelle de la migration.
Au cours des dernières années, dans la province du Heilongjiang, de nouveaux sites de relâche d'alevins ont été ajoutés dans les comtés en amont de Huma, Xunke, Jiayin, Luobei, la ville de Tongjiang, ainsi que dans le comté de Raohe le long de la rivière Ussuri et la ville de Tumen dans le bassin de la rivière Tumen. Les départements de pêche locaux ont commencé à accorder une importance croissante au lâcher de grands esturgeons de Sibérie. Fuyuan est la première étape de la migration du grand esturgeon de Sibérie dans le bassin du Heilongjiang, et de nombreuses rivières dans les régions en amont telles que Huma, Xunke, Jiayin, et Luobei ont historiquement été des zones de frai pour ces poissons. Lâcher des alevins plus en amont signifie que les grands esturgeons de Sibérie migrent sur de plus longues distances, ce qui étend leur aire de distribution.
Quelles sont les pratiques en matière de protection des populations de grands esturgeons ?
Depuis les années 1990, le Heilongjiang a instauré une période de fermeture de pêche en automne pendant sa saison de reproduction. En 2022, le département de l'agriculture et des affaires rurales du Heilongjiang a décrété une période de fermeture de la pêche du 1er octobre au 31 octobre dans la rivière Suihua et a étendu la fermeture de la pêche automnale du Heilongjiang à tout le bassin, y compris les cours d'eau principaux, les affluents, les réservoirs, les lacs et les étangs. C’est une politique bénéfique pour la protection des sites de reproduction des populations de grands esturgeons de Sibérie.
Ce qui m'a particulièrement ému dans ce processus, c'est la participation volontaire de nombreux pêcheurs au projet. Lors d'une inspection à Huma, les pêcheurs locaux ont mentionné qu'ils n'avaient pas vu de grand esturgeon depuis trente ou quarante ans. Ils ont demandé à être informés lors des lâchers d'alevins afin de pouvoir avertir tous les pêcheurs de lever leurs filets et protéger les jeunes poissons.
Les pêcheurs de la rivière Suihua se sont volontairement transformés en « équipe de protection ». Lorsqu'ils capturent des poissons reproducteurs pour la station de relâche, ils portent toujours sur eux aiguille et fil pour suturer sur-le-champ les blessures des adultes qui pourraient avoir l'abdomen éraflé, afin d'éviter que les blessures ne s'ouvrent et que les œufs ne soient perdus. Parfois, même au milieu de la nuit, les pêcheurs accourent aux station, poisson en main, pour appeler le responsable de la station afin qu'il procède immédiatement à la reproduction.
Durant la période de capture des poissons reproducteurs, le directeur Wang, stationné à la station de Dongning près de la rivière Suihua, est souvent réveillé par les pêcheurs à minuit ou à deux ou trois heures du matin. Il s'habille, prend le matériel de reproduction et court vers le fleuve, situé à quelques centaines de mètres, pour effectuer les opérations dans l'eau glaciale, ce qui est devenu une routine dans son travail.
Avec les lâchers réguliers d'alevins chaque année et la restauration progressive de l'écologie fluviale, les populations migratrices de grand esturgeon de Sibérie, autrefois en déclin, commencent à se rétablir.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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