« Dans l'imaginaire populaire, Su Shi n’est pas seulement un grand poète talentueux, mais également un bon vivant, qui ne manque jamais d’humour et de goût à la vie », souligne Dai Lu, spécialiste de Su Shi, qui explore le « Su Shi mania » dans un entretien accordé à China News. 

La dynastie Song du Nord (960 - 1127) marque l'apogée artistique et culturelle de la Chine ancienne. Poésie, peinture, calligraphie, philosophie… dans tous les domaines, de nombreux personnages sont gravés dans le marbre, ayant bouleversé le paysage artistique chinois. En témoigne le lettré Su Xun et ses deux fils poètes Su Shi et Su Che, surnommés les « Trois Su » ; même si Su Shi, alias Su Dongpo, se démarque de son père et son frère en occupant une place prépondérante dans l'histoire littéraire chinoise. 

Talentueux, généreux, blagueur, gourmand, voire féministe, cet intellectuel chinois de l'an mil, à la fois poète, peintre et homme politque, demeure toujours vivant dans l'imaginaire populaire. Mieux, il sert de clé pour explorer l'univers intellectuel et spirituel des Chinois. Dans un entretien accordé à China News, Dai Lu, vice-secrétaire de l'Association chinoise des études sur Su Shi et vice-directeur du centre de recherches sur Su Shi de l'Université de Sichuan, revient sur cet auteur, aussi classique que contemporain, qui jouit d'une réputation au delà des frontières chinoises.  

Le temple des « Trois Su » ⓒ wikimedia commons

Pourriez-vous présenter les « Trois Su », qui constituent la clé de voûte du temple littéraire de la dynastie Song du Nord ?

Les mots ont un pouvoir, au propre comme au figuré. En témoigne le parcours des « Trois Su ». En effet, dans la Chine antique, les empereurs vouent souvent un culte aux lettrés et intellectuels au point de leur confier les postes clés de leur administration. Si les « Trois Su » ont été fonctionnaires dans la dynastie Song du Nord, ils étaient avant tout écrivains, ayant laissé derrière eux un grand nombre d'ouvrages. Durant quarante ans, Su Shi a écrit pas moins de 4 800 œuvres dont des poèmes, des essais et des articles. Fin connaisseurs et chercheurs des classiques chinois, comme Yi Jing, Classique des vers et Entretiens de Confucius, ils ont également contribué, par leurs propres écrits, au rayonnement des grands poètes avant eux comme Li Bai, Du Fu ou encore Bai Juyi. Proches de presque toutes les grandes figures de l'intelligentsia de leur époque, ils étaient, en quelque sorte, le centre de gravité du paysage littéraire. Ainsi il est nécessaire de saisir l'esprit des « Trois Su » pour mieux explorer l'histoire culturelle de la dynastie Song. 

Dans quelle mesure la culture régionale du Sichuan, dont sont originaires les « Trois Su », a-t-elle pu jouer sur la création de ces trois poètes emblématiques ?

Sous l'influence de la culture du Sichuan, aussi iconoclaste qu'anticonformiste, les « Trois Su » ont marqué une révolution dans de nombreux domaines comme la philosophie, la politique, l'histoire, la littérature et l'art. Contrairement aux lettrés du nord souvent baignés dans le confucianisme, ceux du Sichuan se sont nourris de différents courants littéraires et philosophiques. Le parcours de Su Shi en fut un bel exemple. Grâce à une formation diversifiée - il a eu comme professeurs des maîtres taoïstes et bouddhistes -, il a fait preuve d’ouverture d’esprit et de tolérance notamment dans de nombreux conflits idéologiques qui ont marqué son époque.

Le porc Dongpo, à base de poitrine de porc, tirant son nom du célèbre poète et écrivain chinois, Su Dongpo.  ⓒ wikimedia commons

Quels sont les artistes occidentaux avec qui nous pouvons mettre en parallèle Su Shi ?

Dans l'imaginaire populaire, Su Shi n’est pas seulement un grand poète talentueux, mais également un bon vivant, qui ne manque jamais d’humour et de goût à la vie. Proche des gens, il est capable de se faire des amis issus de tous les bords de la société, qui vont de l’empereur aux mendiants. Beaucoup de ses poèmes ont démontré cette proximité, un brin lyrique, entre le lettré homme politique et les hommes et femmes qu’il a rencontrés dans sa vie, y compris les plus modestes. Durant sa longue vie politique chaotique, si Su Shi a traversé des hauts et des bas sur le plan personnel et professionnel, il a toujours conservé l’optimisme, essayant de se placer au-dessus de la mêlée. La dynastie Song est souvent considérée comme la Renaissance de la Chine, pour l'éloge à l'humanisme, la diversité culturelle et l'ouverture d’esprit qui ont marqué cette époque. Il est difficile de mettre en parallèle un auteur occidental et Su Shi, personnage unique en son genre. Pour Lin Yutang, écrivain et traducteur chinois, Su Shi pourrait être un mélange des trois écrivains européens qui sont William Makepeace Thackeray, Victor Hugo et  Samuel Johnson.

Du Japon au Vietnam, en passant par l’Europe et l’Amérique, de nombreux chercheurs ont noué une passion pour le poète chinois. Comment expliquer ce « Su Shi mania » ?

Géant dans l’histoire littéraire chinoise, Su Shi, de son vivant, jouissait déjà d’une réputation en Chine, ainsi que dans les pays voisins. Il a été tout d’abord apprécié par les intellectuels sinologues dans les pays de l’Asie orientale, avant de susciter de l'enthousiasme parmi les chercheurs occidentaux. En 2000, le quotidien français Le Monde a sélectionné 12 « héros millénaires », dont Su Shi, pour dresser leur portrait. « Jamais dupe du pouvoir, il sut préserver sa liberté en poursuivant une œuvre de plume et d'encre », avait décrit en ces termes Jean-Pierre Langellier, journaliste du quotidien. Ce n’est pas sans raison que Su Shi a été considéré comme l’un des anciens les plus contemporains dans l’histoire chinoise.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

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