
La céramique chinoise : une histoire mondiale
Inventée il y a près de 4 000 ans, la céramique chinoise a conquis le monde entre la période des Trois Royaumes (220–280) et celle des Dynasties du Sud et du Nord (420–589). Dans le monde entier, de nombreux marchands et artisans ont tenté de s’en procurer, d’en produire et même d’en recopier les techniques de fabrication.
Aujourd’hui, la céramique appartient au patrimoine de toute l’humanité et incarne toute la diversité culturelle internationale. Comment les commerçants arabes et européens ont-ils contribué à répandre la céramique chinoise partout dans le monde ? Quelles ont été les innovations techniques et stylistiques de la céramique chinoise ? Comment sa diffusion a-t-elle contribué aux échanges culturels entre l’Orient et l’Occident ? Pour tenter de répondre à toutes ces questions, le média China News est allé à la rencontre de Zhang Liangren, professeur au département d’archéologie à l’institut d’histoire de l’Université de Nankin.
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À quand remontent les origines de la céramique chinoise ?
La communauté scientifique est relativement divisée sur cette question. Pour ma part, j’ai tendance à penser que la porcelaine chinoise a été inventée pendant la dynastie des Han orientaux (25-220 apr. J.-C.). Avant cela, nos ancêtres ont cultivé pendant plus de 2 000 ans ce qu’on appelle une « porcelaine primitive », assez proche de la poterie. La céramique chinoise, à proprement parler, reposait quant à elle sur une technique nouvelle : une cuisson de terre cuite blanche, associée à la technique de la céramique dure à décor estampé. C’est cela qui lui confère sa surface très lisse et imperméable.
C’est pour cette raison que lorsque les Européens ont découvert la porcelaine chinoise pour la première fois, ils l'apprécient tout particulièrement pour son hygiène. Elle pouvait être utilisée pour contenir des aliments, sans qu’aucun résidu ne vienne se loger dans les crevasses et interstices de la poterie. Cela réduisait l’apparition de bactéries et permettait ainsi d’empêcher l’apparition de maladies. D’après les informations dont nous disposons à ce jour, les Européens n’ont véritablement obtenu la porcelaine chinoise qu’à partir du XVe siècle, par le biais des échanges avec les commerçants arabes. Il leur a fallu attendre l’ouverture des routes asiatiques par les colons portugais pour en bénéficier à plus large échelle.
À compter des débuts de l’exportation des céramiques chinoises à l’étranger, beaucoup d’artisans et de commerçants ont commencé à en imiter les techniques de fabrication. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Comme je vous le disais, la céramique chinoise a d’abord été exportée par la mer, à partir de l’époque des Trois Royaumes, jusqu’à la période des Dynasties du Sud et du Nord. Les principaux fours à céramique de la province côtière du Zhejiang fournissaient les îles japonaises et la péninsule coréenne. On ignore si des céramiques ont été transportées en Asie du Sud-Est à cette époque. Ce n’est qu’à partir du IXe siècle que la porcelaine chinoise a été exportée en grande quantité. Les routes maritimes vers l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient ont été ouvertes pendant la dynastie Tang (618-907). Les marchands chinois exportaient d’abord la céramique en Asie du Sud-Est, qui était ensuite de nouveau achetée par les commerçants arabes, quand ils ne venaient pas directement s’en procurer en Chine. C’est de cette façon que la céramique chinoise s’est diffusée dans le Golfe persique, en Égypte et en Syrie. Et ce n’est qu’une fois arrivée au Moyen-Orient que la porcelaine chinoise fut introduite en Europe.
La mondialisation a ensuite connu une période de bouleversement à partir du XVIe siècle, et les Portugais ont commencé à dominer le commerce de la porcelaine au détriment des Arabes. Ils ont ouvert de nouvelles routes commerciales vers l’Asie, et au XVIIe siècle, d’autres pays européens comme les Pays-Bas, la Suède et la Grande-Bretagne, mais aussi la Compagnie britannique des Indes orientales, ont remplacé les Portugais au rang des principaux commerçants de céramique chinoise.
S’agissant de la reproduction des techniques de fabrication chinoises de céramique, on sait aujourd’hui que les Arabes ont imité la méthode du « Sancai » (une glaçure polychrome de « trois couleurs » en chinois), mais également celle de la porcelaine bleue et blanche (fondée à l’époque de la dynastie Tang et aussi appelée céramique « Qinghua »). Ils ont aussi imité la céramique blanche « Xinyao », également inventée à cette même époque. Le Moyen-Orient manquait alors de pierres adaptées aux céramiques, ils avaient certes des kaolins (une argile blanche composée de kaolinite), mais ils ne savaient pas encore pleinement l’utiliser. Ils avaient en revanche beaucoup d’argile et de sable : d’où leur riche histoire de cuisson et de soufflage du verre. Les Arabes ont alors inventé la technique du vitrage à l’étain, qu’ils ont ensuite perfectionné et qui s’est répandu en Europe.
En quoi la céramique chinoise a-t-elle eu un impact sur les usages et les fabrications de céramique à l’étranger ?
La porcelaine chinoise a été progressivement adaptée aux modes de vie occidentaux et moyen-orientaux. Les Arabes avaient pour habitude de manger en famille en extérieur, ils préféraient utiliser de grandes assiettes et de grands vases, ils aimaient aussi particulièrement la couleur bleue, ils appréciaient donc la céramique Qinghua. En Chine, dans la ville de Jingdezhen (située dans la province du Jiangxi, à l’est du pays), à l’époque des dynastie Yuan et Ming, on cuisait donc souvent de grandes pièces de céramiques Qinghua pour répondre à cette demande des Arabes.
Les Européens quant à eux, utilisaient beaucoup la céramique pour des services à thé. Après le XVIe siècle, ils se sont donc lancés dans une production locale qui imitait les techniques de la céramique chinoise, dans un premier temps avec le financement de la célèbre famille italienne des Médicis. Les Européens ont ensuite adopté la technique espagnole de la glaçure à l’étain, ainsi que les techniques améliorées de celles-ci par le Moyen-Orient. Puis, au milieu du XVIIIe siècle, les missionnaires français ont ramené de Chine la porcelaine à base de kaolinite, trouvée à Jingdezhen. Enfin, au XIXe siècle, les Européens ont lancé une production industrielle de porcelaine en Europe, ce qui a eu pour effet de diminuer les ventes de porcelaine depuis la Chine. Notre pays a dès lors à son tour imité le modèle de production industrielle européen : au début du XXe siècle, la Chine avait commencé à construire des usines entières dédiées à la production de céramiques.
Comment pourrait-on aujourd’hui mieux transmettre et développer la production de céramique chinoise ?
Il faut continuer de miser sur notre esprit d’ouverture. La porcelaine chinoise a eu un impact important dans le monde entier, elle a inspiré et stimulé le potentiel créatif de milliers d’artisans. Mais il ne faut pas oublier non plus que la qualité des pièces réalisées en Europe, au Moyen-Orient et même au Japon, a aussi finalement incité les ouvriers chinois à les imiter à leur tour.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
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