
Zhao Yuanren, génie polyvalent et père fondateur de l'étude moderne du chinois
Zhao Yuanren, ancien professeur en langue orientale à l’Université de Californie de Berkeley, avait le mérite de donner un nouveau souffle à la langue chinoise dans une Chine en plein bouleversement social, politique et culturel, durant la première moitié du XXe siècle.
À la fois linguiste, mathématicien, musicien et philosophe, Zhao Yuanren faisait partie - dans les années 1920 avec Wang Guowei, Chen Yange et Liang Qichao - des « quatre maîtres savants » de la prestigieuse Académie des études chinoises de Tsinghua. Nourri par les grands classiques de la littérature chinoise, il est parti aux États-Unis pour faire des études de mathématiques, avant de bifurquer vers la philosophie et la linguistique. Un parcours polyvalent partagé entre Orient et Occident, sciences dures et sciences humaines. Auteur du livre Grammaire du chinois parlé, il a notamment contribué à donner un nouveau souffle au chinois moderne, à une époque où la jeunesse remettait tout en cause, même le chinois classique, au point d’évoquer la latinisation de la langue chinoise. Si l’ancien professeur en langue orientale à l’Université de Californie de Berkeley était connu pour ses talents exceptionnels en langues - il parlait sept langues étrangères et 33 dialectes chinois -, il a pourtant été propulsé sur le devant de la scène médiatique grâce à la chanson phénomène Comment puis-je ne pas penser à lui, dont il est le compositeur. Tour à tour scientifique et artiste, ce passeur de culture a servi de modèle pour des générations d'universitaires chinois.
Un des premiers étudiants chinois à débarquer aux États-Unis
Né en 1892 à Tianjin, dans une famille de fonctionnaires, Zhao Yuanren a beaucoup déménagé durant son enfance, du nord au sud de la Chine. Ainsi il était capable d'imiter les accents des habitants de différentes régions. Dans une Chine en plein Mouvement d’auto-renforcement1, Zhao s’est imprégné des valeurs tour à tour traditionnelles et réformistes. En 1906, à Changzhou dans le Jiangsu, l’élève de primaire se passionnait pour les cours d’histoire donnés par le grand maître des études chinoises Lü Simian, avant d’intégrer l’école secondaire à Nanjing où il a pu côtoyer des professeurs de différentes nationalités, et où il a commencé à apprendre l’allemand. Grâce à cette ambiance cosmopolite, il a pu nourrir sa passion pour explorer la culture occidentale.
Zhao Yuanren avec la famille du grand philosophe anglais Bertrand Russell. DR.
En 1920, à l’âge de 18 ans, Zhao Yuanren a obtenu une bourse, dans le cadre de la Bourse scolaire des indemnités de la rébellion des boxers2, pour faire des études dans l’université américaine Cornell. Il y a choisi les mathématiques comme spécialité, tout en suivant des cours en linguistique, physique et musique, avant de bifurquer, en 1915, vers la philosophie à l’Université Harvard. La polyvalence a marqué une génération d'étudiants chinois à l'étranger : Hu Shi, un des pionniers du Mouvement de la nouvelle culture3, s’est spécialisé en agriculture avant de se consacrer à la philosophie, alors que le météorologue Zhu Zizhen a fait des études en agriculture avant de bifurquer vers la météorologie. Car à l'orée du XXe siècle, les sciences et technologies se trouvaient au centre de tous les regards et ces étudiants chinois ont voulu profiter de leur séjour dans les pays développés pour maîtriser autant de disciplines que possibles.
Analyser la langue chinoise de manière méthodique
Sympathisant des révolutionnaires de tous bords, Zhao Yuanren veillait pourtant à garder ses distances avec les engagements radicaux, aussi politiques que culturels. Ses contributions au magazine Sciences et sa collaboration avec Hu Shi dans le Mouvement de la nouvelle culture faisaient partie de ses très rares engagements en dehors de ses recherches universitaires. Fondé en avril 1914 aux États-Unis par les étudiants chinois, Sciences avait pour objectif de transmettre aux Chinois de nouvelles recherches et idées scientifiques menées en Occident. Zhao Yuanren y a publié plusieurs articles sur l'astronomie, la psychologie et la physique.
Par le biais du magazine, il a fait connaissance avec Hu Shi. Tous deux ont participé au grand débat sur la réforme de la langue chinoise au sein des étudiants chinois à l’étranger : certains considéraient que la langue chinoise était morte et qu'il fallait la latiniser, voire la supprimer. C'était l'événement déclencheur du Mouvement du chinois moderne4. Ils ont publié en 1916 Les problèmes de la langue chinoise, un long article prônant la méthode scientifique sur le chinois, pour donner un nouveau souffle au chinois classique. Hu Shi a publié ensuite une série d’articles pour faire évoluer le chinois classique, au lieu de rejeter en bloc cette langue écrite. La vision rationnelle et la maîtrise linguistique, points forts de Zhao Yuanren, ont apporté une touche scientifique dans les recherches et les créations en chinois moderne menées par Hu Shi.
Zhao Yuanren avec sa femme et ses quatre filles. DR.
Un parcours universitaire entre la Chine et les États-Unis
Diplômé de Harvard en 1919, Zhao Yuanren a tout d’abord enseigné la physique dans une université américaine. Il est retourné en Chine en 1920 pour servir d'interprète pour le grand philosophe anglais Bertrand Russell lors de son séjour, jalonné de discours universitaires, dans l'empire du Milieu. À l’époque, Zhao Yuanren était presque le seul candidat capable de traduire les discours de l'auteur de la Conquête du bonheur, qui couvrait des domaines aussi divers que variés tels que les mathématiques, la philosophie ou encore la psychologie. En 1926, il retourne en Chine pour enseigner à l’Académie des études chinoises de Tsinghua, avant de fonder le Centre de l’histoire des langues au sein de l'Institut central des recherches initié par le fameux éducateur Cai Yuanpei. Il a beaucoup voyagé pour enquêter sur les dialectes à travers la Chine, ayant collectionné des tas d’informations aussi précieuses que rares.
Zhao Yuanren en 1921. DR.
Pourtant, cette vie tranquille gravitant autour des recherches académiques n'avait duré qu’une décennie. Sur fond de guerre sino-japonaise lancée en 1937, Zhao Yuanren quitte la Chine pour s'installer aux États-Unis, alternant des postes à l’Université Hawaii, Yale et Harvard. Dans les années 1940, Zhao Yuanren a pensé retourner vivre en Chine mais faute de trouver un poste dans les universités chinoises qui lui convient, il décide finalement de rester à l’Université de Californie à Berkeley jusqu’à sa retraite. Il est mort en 1982 à l’âge de 90 ans.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
1Mouvement d’auto-renforcement: en chinois 洋务运动 yangwu yundong, littéralement “Mouvement de l'Occidentalisation”, mené de 1861 à 1895, désigne une série de réformes institutionnelles initiées en Chine à la fin de la dynastie Qing suite aux échecs militaires désastreux des guerres de l'opium.
2Bourse scolaire des indemnités de la rébellion des boxers :en chinois 庚子赔款奖学金 gengzi peikuan jiangxujin, désigne le programme boursier financé par les indemnités de la rébellion des boxers versées aux États-Unis par la dynastie Qing. Selon le traité mettant fin à la révolte des boxers, le gouvernement chinois a été contraint de payer sur 39 ans une indemnité de 450 millions de taels d'argent (Haikwan) aux 8 nations impliquées. Sous pressions intérieures, les États-Unis ont décidé de reverser une partie des indemnités sous forme de bourse scolaire pour financer les études de jeunes chinois dans les pays occidentaux.
3Mouvement de la nouvelle culture : en chinois 新文化运动 xinwenhua yundong, un mouvement en Chine dans les années 1910 et 1920 qui critiquait les idées chinoises classiques et prônait une nouvelle culture chinoise basée sur des idéaux occidentaux comme la démocratie et la science.
4Mouvement du chinois moderne : en chinois 白话文运动 baihuawen yundong, littéralement Mouvement du chinois parlé compréhensible, faisait partie du Mouvement de la nouvelle culture. Il promouvait notamment l’alignement du chinois écrit et parlé.
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