
Incendie de l’Ancien palais d’été : une plaie encore vive du colonialisme occidental en Chine
Chaque année en janvier, des Chinois se remémorent, avec rancœur, le sac du palais d’Été impérial par les troupes étrangères, lors des guerres de l’Opium. C’était au XIXe siècle, il y a 162 ans…
Aujourd'hui, en se tenant devant les ruines de l’ancien palais d’Été, on peut encore ressentir cette splendeur qui jadis était la sienne, il y a 162 ans. Les vestiges de ce qu’en 1861, Victor Hugo qualifiait de « merveille », sont situés dans la banlieue nord-ouest de Pékin et sont composés de trois jardins : le jardin Yuanming, le jardin Wangchun et le jardin Qichun.
Résumant à lui seul la prospérité de l'empire Qing, l’ancien palais d’Été, encore appelé parc Yuanming, (yuanmming yuan, litt. « jardin de la Clarté parfaite »), figurait parmi les principaux endroits que l’on faisait visiter aux invités étrangers. Sous Qianlong, la délégation de l'ambassadeur anglais Lord Macartney y avait naturellement séjourné.
Entre 1747 et 1759, Qianlong y a introduit un ensemble de bâtiments de styles européens. À l'époque, il y avait de nombreux missionnaires occidentaux actifs à la cour. Qianlong a alors ordonné à des Italiens, comme Giuseppe Castiglione, et des Français, comme Michel Benoist, de participer à la conception des projets d'irrigation dans le jardin.
Visite du public le 18 octobre 2022, jour du 162e anniversaire du sac du Palais d’été
On peut aujourd’hui flâner en entrant par la porte sud du jardin Qichun, en suivant un parcours d'environ mille mètres, pour arriver à l'emplacement de ces « pavillons de l’Ouest ». C’est là que des artisans orientaux et occidentaux se sont réunis pour partager leurs savoirs et cultures, créant des architectures inspirantes. Influencées par le style baroque de la fin de la Renaissance en Europe, certains de leurs intérieurs étaient similaires à ceux du château de Versailles en France. Leurs toits n'étaient cependant pas à l'occidentale, mais plutôt en tuiles céramiques, un style traditionnel chinois donc, utilisant des éléments tels que les pierres de Taihu ou des pièces de bambou pour une touche de style oriental. Certains ont pu comparer ces « pavillons de l’Ouest » à un Chinois qui serait habillé en costume occidental mais portant un petit chapeau rond chinois...
En 1860, pendant la deuxième guerre de l'Opium, les troupes anglo-françaises ont envahi Pékin. Sur ordre du commandant en chef des troupes britanniques, Lord Elgin, on a incendié le palais, et le feu a brûlé pendant trois jours. En 1900, les troupes des Huit Nations ont envahi ce qui en restait à l'ouest du parc, pour en piller massivement les dernières reliques.
Aujourd'hui, les marques de
suie sont encore visibles parmi les ruines silencieuses envahies par les herbes
folles. Non loin de l'intersection de l'axe principal nord-sud du jardin
Changchun et de l'axe est-ouest de la salle occidentale, a été érigée une
statue à mi-corps de l'écrivain Victor Hugo. Gravée sur une pierre en forme de
livre, on peut lire la lettre de Hugo au capitaine Barthélémy : « Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d'Été. L’un a pillé,
l’autre a incendié. [...] Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera
la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. » Le traducteur chinois de cette
lettre, Cheng Zenghou, a d’ailleurs reçu le titre de « Chevalier de
l'ordre des Palmes académiques » par le
gouvernement français. « Il y a
beaucoup de pays dans le monde dont l'histoire est préservée grâce aux
bâtiments. Une fois que ces bâtiments sont détruits, ces civilisations
disparaissent également de l'histoire humaine », a-t-il déclaré un
jour.
Tête de cheval en bronze de l’ancien Palais d’été, exposée au pavillon Manjusri du temple Zhengjue, Yuanmingyuan
Que ce soit le temple de Poséidon en Grèce, le temple de Bel en Syrie, le temple de Yeongmyeong en Corée du Nord, l'Opéra royal de Valletta à Malte ou l'église de Greyfriars en Angleterre, trop de trésors mondiaux ont été détruits par la guerre et les conflits. Dans la dépossession et l'invasion, la diversité de la civilisation humaine s’estompe.
Lorsque la civilisation orientale s'est propagée vers l'Occident, via la route de la soie et les expéditions de Zheng He vers l'ouest, cela s'est fait de manière pacifique. Or pendant l'ère coloniale, l'influence de l'Occident sur l'Est s’est faite accompagnée de navires de guerre et de la destruction sanglante de la vie et de la culture des colonies. Un traumatisme dans l'histoire des échanges entre l'Est et l'Ouest, qui reste douloureux jusqu'à aujourd'hui. C’est pourquoi les ruines du parc Yuanming à Pékin doivent être protégées. Aujourd'hui, les pays non occidentaux prennent plus de poids sur la scène internationale, la situation où la civilisation occidentale domine, depuis près de 300 ans, est progressivement brisée. La question de la coexistence harmonieuse entre les différentes civilisations est devenue un sujet de premier plan.
En 2020, un événement
commémorant le 160e anniversaire du sac du palais d'Été a été organisé
entre la Chine et la France. Il s’agissait de souligner que la destruction de
ce joyau artistique, qui s'inspirait de la culture occidentale, et qui a été
détruit par l’Occident, ne devait jamais être oubliée. L’occasion aussi de
répéter qu'il est important de comprendre que les échanges culturels peuvent se
faire de manière pacifique, surtout en temps de pandémie comme aujourd’hui,
nous rappelant l'importance de la coopération et de l'échange.
Triage de fragments de porcelaine découverts dans l’ancien Palais d’été avant épissage et réparation
Ironiquement, les
« pavillons de l’Ouest », les seuls vestiges qui ont laissé une
empreinte durable et reconnaissable sur le site, sont devenus dans l’imaginaire
de beaucoup de Chinois, le symbole même de l’ancien palais d’Été. En effet, si
90 % des bâtiments étaient typiquement de style chinois, seuls les vestiges des
bâtiments de style occidental, construits en pierre, ont survécu au feu et se
distinguent aujourd’hui parmi les ruines. Cent soixante-deux ans après le
pillage, des gens de toutes races et couleurs se tiennent devant ces ruines
pour les photographier. En regardant ainsi vers le passé, espérons donc
l’avènement d’un avenir de paix permanente et une ère de coexistence
harmonieuse entre les civilisations orientale et occidentale.
Wikimedia commons
Wu Hao est directeur exécutif de l'Institut de recherche sur la Route de la soie de l'Université des Langues étrangères de Pékin. Cheng Zenghou est professeur à l'Université Sun Yat-sen. Sun Chenhui est journaliste.
Photo du haut : Unsplash
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