[Archéologie] Dans l’Antiquité, des échanges entre Chinois et nomades

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Entretien avec Sun Bingjun, chef de l'équipe archéologique de l'Institut provincial d'archéologie du Shaanxi à Hancheng, sur les récentes découvertes archéologiques faites au Shaanxi et datant de la dynastie des Zhou occidentaux (1046 à 771 av. J.-C.).

Il est écrit dans les Mémoires historiques (première œuvre historiographique de référence composée en Chine au second siècle de notre ère, ndt) que sous le règne du roi Wen des Zhou (12e siècle environ av. J.-C.), les habitants des pays de Yu et de Rui se chamaillaient sur la délimitation de leurs terres sans jamais pouvoir résoudre leur litige. Ils se sont donc rendus en pays Zhou pour demander au roi de trancher. Là, ils ont découvert que les Zhou cultivaient les champs avec courtoisie et avaient même l'habitude de céder volontiers face aux anciens. Emplis de honte, ils retournèrent chez eux et abandonnèrent leurs litiges…

Une histoire transmise jusqu’à nos jours, sans qu’il y ait pourtant beaucoup de documents sur l'ancien pays de Rui. Cependant les archéologues chinois ont découvert dans les années 2000 ce qui s’apparenterait aux ruines de cet ancien fief des Zhou dans les villages de Liangdai et de Liujiawa dans la province du Shaanxi, déterrant un grand nombre de reliques. Épée de jade gainée d'or, accessoire d’archer en jade en et incrusté d'or, sceptre en or, produits cosmétiques… Sun Bingjun, chef de l'équipe archéologique de l'Institut provincial d'archéologie du Shaanxi à Hancheng, nous explique l’intérêt de ces découvertes.

Les découvertes archéologiques liées au pays de Rui figurent parmi les dix grandes découvertes archéologiques les plus importantes en Chine. Ce mystérieux fief antique est-il si important ?

À la fin de la dynastie Shang (1570 - 1045 av. J.-C.), on dénombrait 800 vassaux. Mais dans les premières années de la dynastie des Zhou occidentaux (1046 à 771 av. J.-C.), seuls 71 fiefs avaient été inféodés, parmi lesquels 53 feudataires, qui portaient d’ailleurs tous le même nom de famille royal « Ji ». De ces fiefs, nous en avons tous entendu parler dans les textes, sans en avoir aucune trace matérielle. Les vassaux de Rui apparaissent pour la première fois dans les Mémoires historiques sous le règne du roi Wen des Zhou. Ils étaient de la même origine que la famille royale Zhou, et ont plus tard été exterminés par le Duc Mu de Qin (659 - 621 av. J.-C.). Ce fief a existé pendant environ 400 ans.

Sceptre en bronze avec une tête en or © PAN Xulin/CNS

Grâce aux fouilles archéologiques, nous avons découvert les tombes de pas moins de 5 générations de princes feudataires du Rui sur le site du village de Liangdai, et deux générations de monarques avec leurs épouses sur le site de Liujiawa. Un grand nombre d'inscriptions ont confirmé l'âge du site de Liujiawa et du site de Liangdai, permettant de clarifier l'histoire et les successions opérées en Rui sur près de 200 ans (de 840 à 640 av. J.-C. environ). Les tombes du site de Liangdai sont bien conservées, en particulier celle du duc Rui Huan et de ses deux épouses, où de nombreuses reliques précieuses ont été déterrées. Le site de Liujiawa, lui, se compose de quatre parties : la zone du palais, une zone civile, une zone de stockage et le cimetière. Un grand nombre de bronzes, d'or, de jades et de bois laqués ont été mis au jour, dans la même lignée qu’au village de Liangdai, avec le même style, confirmant le lien entre les deux sites.

La recherche archéologique nous aidera à mieux comprendre la forme que prenaient ces états vassaux dans le système féodal des Zhou et celle des échanges entre les cultures des plaines centrales chinoises et les cultures périphériques barbares au cours de cette période.

Un grand nombre d'articles en jade ont été retrouvés sur les deux sites. Qu’est-ce qu’ils reflètent de la vie des anciens ?

« L’homme de bien ne se dévêt pas de ses jades sans raisons » (citation du Classique des rites, Ve siècle av. J.-C. env., ndt). La culture chinoise du jade présente une longue histoire, qui a progressivement eu des implications politique, culturelle, morale, religieuse, etc. L'importance accordée par les Chinois au jade était déjà présente à Liangdai et Liujiawa. Les jades découverts sur ces deux sites sont datés du Néolithique jusqu’à la période des Printemps et Automne (771 à 481 av. J.-C.). Il y en a de nombreux types, qui matérialisent le statut et le système d'étiquette sous la dynastie Zhou, mais aussi qui correspondent à des marqueurs sociaux appartenant à d'autres cultures, à des ornements esthétiques, présents alors en Rui.

Dans la tombe du prince Rui Huan, plusieurs objets en jade ont été retrouvés, des objets de cérémonie, des colliers et des ornements. Parmi eux, une épée en jade dans un fourreau en or pur particulièrement belle et en parfait état, ce qui est assez rare, indiquant le statut élevé de la personne inhumée. On a aussi retrouvé un heaume en jade incrusté d'or de belle facture. Sans aucune utilité pratique, c’est un objet reflétant le statut de la personne inhumée. Dans la tombe de son épouse, la princesse Rui Jiang, on a découvert des ensembles d'objets en jade parmi les plus complexes retrouvés jusqu'à présent, poignées, colliers de perles, des figurines tel que des chrysalides ou des tigres… qui devaient être des objets chéris par la personne inhumée.

Nombre de ces objets sont d'époques antérieures, certains semblent même avoir été façonnés à partir d'objets en jade plus anciens. Il est également probable qu’en dehors des cadeaux offerts par la famille royale, de nombreux objets en jade aient été conservés et transmis de génération en génération, voire découverts. Tout cela montre que le jade était encore très précieux et rare à cette époque.

Vos découvertes ont montré que les anciens accordaient de l'importance à l'apparence et à la beauté, mais aussi qu'ils appréciaient la musique et avaient une vie sociale active.

L'utilisation de produits de maquillage chez les hommes n’était pas rare dans l'Antiquité. Il y a des documents et des artefacts archéologiques qui en témoignent en Égypte ancienne ou en Grèce antique. Dans une tombe d’un noble de la période des Printemps et Automne découverte à Liujiawa, des résidus jaunes et blancs ont été retrouvés. Après analyse, ils ont été identifiés comme étant un reste de crème à base de beurre de vache. C'est la crème la plus ancienne découverte en Chine à ce jour et également le plus ancien produit de maquillage pour homme découvert en Chine.

Dans la tombe de la princesse Rui Jiang à Liangdaicun, on a retrouvé des résidus blancs dans un petit récipient en cuivre. Selon les analyses, il s'agirait de céruse, utilisée en maquillage pour blanchir la peau, fabriquée à partir de plomb. Ce serait le plus ancien blanc de plomb découvert jusqu'à présent au monde, datant de deux à trois siècles avant les plus anciennes preuves matérielles retrouvées en Occident.

En outre, les deux sites archéologiques ont mis au jour des ensembles complets de cloches en bronze et de gongs en pierre pentatoniques. Plusieurs grandes tombes contenaient également des tambours et des gongs en bronze, démontrant l’importance de la musique et une certaine qualité de vie chez les nobles de Rui.

Carillon en bronze © PAN Xulin/CNS

Le Rui se situait à la périphérie du royaume des Zhou, entre le pays Zhou et le territoire des Rong. Vous avez retrouvé à Liangdaicun et Liujiawa des objets qui ne manquent pas d’exotisme. Qu’est-ce que cela raconte des échanges des Zhou avec l’extérieur ?

Les sites archéologiques de Liangdaicun et Liujiawa sont situés sur des voies importantes de communication entre les steppes du nord, la vallée de la Wei, et les plaines centrales, une zone de passage cruciale pour les royaumes de Zhou et de Jin. C’est aussi une zone clé où le Qin et le Jin se sont affrontés plus tard. Pendant la période des Zhou occidentaux, cette région de la frontière nord était stratégique. Plus tard, elle est devenue une zone frontalière d'échange culturel et de métissage entre tous ces peuples.

Des objets en or tels que des sceptres, des figurines en forme de tigre, des boucles d'oreilles en spirale, des bracelets ont été retrouvés dans les deux sites, illustrant une forte influence des cultures des steppes du nord. Le sceptre est un outil utilisé au quotidien, mais c’est aussi un ornement matérialisant l'identité et le statut de son porteur. On en trouve en Asie centrale et occidentale avec une longue histoire et on en trouve aussi dans certains pays européens. Mais il y en a peu dans la culture des plaines centrales de Chine, or l’un des sceptres présente un motif de dragons enroulés dit « panchi », qui est une décoration typique des cultures des plaines centrales. Cette découverte confirme qu’il y a des métissages culturels à cette époque. De même, dans certaines tombes, les fouilles ont mis au jour des bijoux dont les techniques de fabrication et les formes (comme les boucles d’oreilles en spirale) ne laissent aucuns doutes sur leur appartenance aux cultures des steppes du nord. Les tigre en or sous forme de plaque sont également des objets typiques de ces cultures. Autant de preuves sur l’existence d’influences réciproques.


Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : artefacts en or découverts à Liujiawa © ZHONG Xin/CNS


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