
[Archéologie] Aux origines de la route de la soie : « la route du bronze »
Entretien exclusif avec Yi Hua, chercheur à l'Institut d'études ethniques et anthropologiques de l'Académie chinoise des sciences sociales.
Le chercheur en études ethniques et anthropologiques, Yi Hua, de l'Institut d'études ethniques et anthropologiques de l'Académie chinoise des sciences sociales, estime qu'avant l’ouverture des routes de la soie, il existait déjà une « route du bronze » entre l'Est et l'Ouest. Celle-ci étant à l’origine de celle-là. Entretien exclusif avec ce spécialiste de l’histoire des relations entre nomades et agriculteurs et de l’histoire des relations entre l’Orient et l’Occident.
Comment s’est établie la « route du bronze » ? Quelle relation avec la route de la soie ?
Les recherches archéologiques montrent que l'âge de bronze sur le continent eurasiatique a commencé il y a environ 3 000 ans avant J.-C. La technique de coulage de bronze, originaire de la région entourant la mer Noire, s’est propagée avec les migrations de populations. Cela était étroitement lié aux cultures qui élevaient moutons, chevaux et bovins, fabriquaient de la laine et des chars, etc. Finalement, cela a formé une sorte de chemin qui a relié l'Orient et l’Occident pour les échanges. Nous l'appelons la « route du bronze ».
D'une manière générale, la route de la soie était principalement une route de diffusion des techniques de l'Est vers l'Ouest, tandis que la route du bronze était une diffusion des techniques de l'Ouest vers l'Est. La technologie de fonderie de bronze en Chine est venue d’une culture étrangère, elle a été ensuite développée pour connaître son apogée dans la production d'ustensiles en bronze durant la période des Royaumes combattants (473 – 221 av. J.-C.).
Les deux ont été créés l'un après l'autre et ont des directions opposées. La route du bronze prouve que la Chine a récupéré de nombreux éléments étrangers avancés, tandis que la route de la soie montre que la Chine a apporté une contribution unique à l'humanité.
Quelle place occupait la Chine ancienne dans la route du bronze ?
Les études archéologiques et historiques montrent que la société humaine a traversé trois ères historiques, connues sous le nom de « système mondial moderne » (de 1500 environ à aujourd'hui), de « système mondial moyen » (du début de l'ère commune à 1500 environ) et de « système mondial antique » (de 3 000 avant J.-C. environ jusqu’au début de l'ère commune).
L’anthropologue archéologique britannique Andrew Sherratt (1946-2006) a proposé la notion de « système mondial de l'âge du bronze » et a considéré que la Chine préhistorique était un système culturel relativement autonome et indépendant, qui était en partie semi-séparé du système mondial et du continent eurasien. Les dernières recherches montrent que la Chine est entrée dans le système mondial à l'âge du bronze : si l’Asie de l'Est au cours de la dynastie Xia (IIIe millénaire – IIe millénaire av. J.-C., dates théoriques, ndt) était à la périphérie du système mondial, sous les Shang (IIe millénaire – XIe siècle) et Zhou (1046 – 256 av J.-C.), la Chine s'est développée en tant que centre culturel de l'Est asiatique. La cité de Yin près de l’actuelle Anyang, était un « centre mondial » de l'âge du bronze, comparable à la capitale de l'empire Hittite contemporain, Hatusa, et à la capitale de l'Égypte, Thèbes. On peut dire que les civilisations anciennes de Babylone, d’Égypte, d’Inde et de Chine, constituaient les quatre anciennes civilisations « centres » de l’âge du bronze.
Dans l'histoire de la Chine, l’arrivée du bronze sonne l’arrivée d’une « troisième vague artistique » après celle de la céramique et celle des objets en jade. On note que les outils de bronze, les armes, les équipements de chevaux et les articles de décoration étaient étroitement similaires à ceux retrouvés en Asie centrale et en Asie occidentale, reflétant l’appartenance à un même système mondial de l'âge du bronze ; en revanche, les articles de cérémonie en bronze étaient en grande partie inspirés des articles de céramique chinois plus anciens tels que les tripodes, les casseroles, les bols, les jarres, etc. Les objets de cérémonie ont donc continué d’être fabriqués selon la tradition unique du rituel et du loisir qui était celle de l’Asie de l'Est. Au cours de la période des Royaumes combattants, cet art est devenu particulièrement florissant.
Dans le système mondial de l'âge du bronze, comment les civilisations orientale et occidentale ont-elles communiqué ? D’où vient cette vénération du jade en Orient et celle de l'or en Occident ?
L'âge du jade correspond en Asie de l'Est, à l'âge de confection d’outils en pierre d’un type nouveau. Les objets en jade chinois ont une histoire d'environ 10 000 ans et les cultures de Hongshan, Lingjiatan ou Liangzhu (de -5000 à -2000 environ avant notre ère) sont considérées comme les sommets de la culture du jade en Chine. Dans l'Ouest, l'adoration pour l'or présente également une longue tradition, c’est une caractéristique de la civilisation eurasienne. Grâce à la route de la soie, la culture locale des pierres précieuses et la culture étrangère de l’or ont fusionné pour donner naissance, dans la culture chinoise, à des objets hybrides.
C’est avec l'arrivée du bronze que l'or a fait son apparition en Chine. L’orfèvrerie s’est développée jusqu'à la période florissante des Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C) et des Tang (618 - 907). Il y a beaucoup d’expression en chinois qui contiennent les deux caractères « or » et « jade », tels que « voix d'or et son de jade », « langue en or et dents en jade », « vent d'or et rosée de jade », « branches d'or et feuilles de jade », « lois d'or et de jade » ou « bonne entente en or et en jade », etc. Cette importance donnée à ces matériaux continue jusqu'à aujourd'hui et continuera à l'avenir. Par exemple, les médailles des Jeux olympiques de 2008 à Pékin contenait de l’or mais aussi du jade. C’est un exemple typique de la continuité de cette fusion entre culture orientale et occidentale.
Vous avez une connaissance approfondie de la culture de Qijia [culture du Néolithique dont les vestiges, retrouvés dans les actuelles provinces du Gansu et du Qinghai, datent de 2200-1600 environ av. J.-C., faisant en Chine la transition avec l'Âge du bronze, ndt]. Quelle place occupe cette culture sur la route du bronze ?
La culture de Qijia est apparue avec ce qu’on appelle « l'âge de la nouvelle pierre taillée », avec la taille de jades et des bijoux. Dans l'ensemble, la période de la culture de Qijia correspond à la période de la dynastie Xia. Du point de vue géographique, la culture de Qijia est située dans la zone d'échange entre la Chine et le reste du continent eurasien, une zone de confluence de trois plateaux et une zone de transition, avec des montagnes, des rivières, des prairies favorables à l'agriculture et à l'élevage ; en même temps, la culture de Qijia est située dans la queue finale de la zone des vents de mousson, où les précipitations d'été et la fonte de la neige peuvent facilement causer des inondations. Les mythes et légendes chinoises, tels que la gestion des cours d’eau par Yu le Grand, trouvent leur origine dans cette région. La culture de Qijia a donc joué un rôle crucial dans la connexion entre l'Orient et l'Occident sur la route du bronze.
La route du bronze et la route de la soie traversaient la région de diffusion de la culture de Qijia, témoignant de l'interaction et du développement des cultures orientale et occidentale à cet endroit. Cette culture fait partie intégrante du système mondial antique, et a marqué non seulement l'entrée de l’Asie de l'Est dans l'âge du bronze, mais également la fondation d’une culture « composite » et inclusive de la Chine.
De la route du bronze à la route de la soie, les échanges culturels entre la Chine et l’Occident ont été continus dans l'Antiquité. Quelle influence sur la formation et le développement de la civilisation chinoise ?
Il y a une expression en Chine : « transformer les armes en jade et soie ». La culture chinoise se caractérise, entre autres, par cela, tandis que la culture nomade du bronze, symbolisée par les « armes », vient d'Asie centrale. Les deux représentent la combinaison organique du « rite et de la guerre » qui forme la civilisation chinoise.
Avant la fondation de la dynastie Xia, l'Asie de l'Est avait une économie basée sur l'agriculture sédentaire. Cela incluait les régions des sites archéologiques de Niuheliang au Liaoning, Lingjiatan dans l’Anhui, Liangzhu au Zhejiang, Shijiahe au Hubei, Lashanlu au Shaanxi et Taoshi au Shanxi, qui présentent tous des vestiges des pays « du jade et de la soie ». Ces sites montrent qu’à mesure que les échanges culturels entre l'est et l'ouest se sont intensifié, la civilisation chinoise, dans cette nouvelle ère de la pierre taillée, a absorbé les éléments de la culture économique et nomade du bronze sur la base de leur propre culture économique d'agriculteurs sédentaires, faisant évoluer les « pays de la soie » vers des royaumes guerrier. La culture nomade du bronze « de l'or et du métal » a directement participé à la construction de la civilisation chinoise et a stimulé la formation du tempérament à la fois « soyeux et guerrier » de cette nation.
Le jade et la soie, « 玉帛 » en chinois, représentent la civilisation du rite et de la musique, elle symbolise la force douce ; Les armes, « 干戈 », représentent la civilisation féodale et signifie la force brute ; « 干戈 » et « 玉帛 » représentent donc une combinaison astucieuse de forces douce et brute qui mettent en valeur les caractéristiques de la civilisation chinoise. La civilisation chinoise est une civilisation composite qui allie fermeté et douceur et possède une vitalité tenace. Pendant les dynasties Xia, Shang, Zhou, le nord-ouest de la Chine était à la pointe de l'ouverture et était le centre de l'échange culturel entre l'Orient et l'Occident ; la fusion culturelle entre la Chine du nord et du sud en a fait la plaque tournante de l'histoire et de la géographie du monde antique sur le continent eurasiatique.
De la route du bronze à la route de la soie jusqu’à la construction de « l’initiative ceinture et route », on voit aujourd'hui que le développement de la civilisation chinoise s’est toujours fait dans une grande ouverture et une large inclusivité, absorbant les éléments de culture étrangère d’excellence pour enrichir celle de la nation chinoise ; en faisant la promotion du « bien-être commun et de la grande harmonie du monde » ; et en poussant à la construction d’une « communauté de destin pour l'humanité » dans le système mondial.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
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