Les grottes de Yungang : héritières du brassage ethnique entre les Han et les cultures d’Asie centrale il y a plus de 1 500 ans

1691661912637 China News Hu Jian

Les grottes de Yungang, creusées au pied de la montagne Wuzhou, à 16 kilomètres à l’ouest de Datong, dans la province du Shanxi, constituent l’un des plus grands ensembles de grottes de Chine. Avec les grottes Ajantâ en Inde et les grottes de Bamiyan en Afghanistan, elles représentent l’un des trois principaux trésors d’art rupestre au monde et sont semblables à un livre d’histoire gravé dans les roches des falaises. Patrimoine mondial de l’UNESCO, les grottes de Yungang allient l’essence des ethnies Han et Xianbei à celle des cultures d’Asie centrale. Elles sont un splendide trésor hérité de la civilisation des Wei du Nord et la cristallisation des échanges et du brassage de divers groupes ethniques. 

Comment les grottes de Yungang incarnent-elles la fusion des peuples ? Quelle valeur ont-elles dans l’histoire de l’intégration ethnique ? Li Jun, professeur à l’École d’archéologie et de muséologie de l’Université du Shanxi, a récemment accordé une interview exclusive à China News pour répondre à ces questions.

Comment les grottes de Yungang creusées par la famille impériale, avec leurs cavités de toutes tailles et leurs statues, reflètent-elles l’intégration des peuples ?

On lit dans le Traité sur le bouddhisme et le taoïsme Shi Lao Zhi du Livre des Wei : « Dans la capitale de la préfecture de Xiwu, dans la passe de Wuzhou, l’Empereur blanc Tan Yao creusa la falaise. Il ouvrit cinq grottes et sculpta une statue de Bouddha dans chacune d’entre elles, la plus haute mesurant 70 pieds, la deuxième 60 pieds. Les sculptures y étaient magnifiques et sans pareil. » Ainsi décrivait-on la première période des grottes de Yungang, avec les Cinq grottes de Tan Yao (les grottes 16 à 20).

La principale statue de Bouddha de la grotte 20 est revêtue d’une robe dévoilant l’épaule droite, présentant tant les caractéristiques artistiques des anciennes statues indiennes de Mathura que l’esprit national des peuples Toba et Xianbei, qui valorisait le courage, la force, la magnanimité et de la sagesse. La statue principale de la grotte 17 est parée d’un collier surmonté d’un pendentif en forme de tête de dragon, d’une couronne de fleurs et de brassards, recréant de manière vivante l’image d’un prince de l’empire Koushan. La principale statue de Bouddha de la grotte 16 arbore l’ushnisha (renflement au sommet de la tête, caractéristique du Bouddha) et des cheveux ondulés qui rappellent le style artistique du Gandhara, ainsi qu’une lourde et ample robe aux larges pans de tissu, témoignant d’un glissement des styles des régions indiennes et occidentales au style des Plaines centrales.

Ces statues de Bouddha sont puissantes, vigoureuses et majestueuses. Elles témoignent des caractéristiques esthétiques traditionnelles des Plaines centrales et de la vision spirituelle des Toba et des Xianbei. Les grottes de Yungang se caractérisent par un mélange des ethnies du Nord, de l’Ouest et des Hans ainsi que par la fusion de différentes ethnies. 

Les parois des grottes de la période moyenne de Yungang présentent des pagodes de style stupa surmontées de sorins et de flèches et des pagodes carrées imitant les pavillons de la dynastie Han. Les chapiteaux des piliers des niches situées sur les flancs est et ouest du mur nord de la cavité avant de la grotte 10 présentent un style ionique de la Grèce antique très marqué. La majesté de l’architecture indienne ancienne, la délicatesse et la beauté de l’architecture grecque antique et la magnificence de l’architecture Han sont toutes concentrées dans les grottes de la deuxième période de Yungang, où le multiculturalisme est clairement affiché.

Avec l’ouverture de la route de la soie, la musique et la danse des régions de l’Ouest, d’Asie centrale et d’Asie occidentale ont été introduites à Pingcheng (ancien nom de l’actuelle Datong, province du Shanxi). Elles se sont épanouies dans les grottes de Yungang, où elles ont été préservées sous forme de sculptures. On dénombre 24 grottes ornées de scènes de musique et de danse, représentant plus de 530 instruments de musique sculptés de 28 sortes différentes et plus de 60 groupes de musiciens jouant de la cithare, de la flûte xiao et du sheng de style Han des Plaines centrales, de la corne des Xianbei, du tambourin de ceinture et des instruments à cinq cordes de Qiuci, de la harpe verticale persane d’Asie occidentale, ou performant des panégyriques indiens, ainsi que des rimes et des psalmodies Han et Hu. 

68 tambourins de ceinture sont sculptés dans les grottes de Yungang. On les retrouve aussi sur les peintures rupestres datant des dynasties des Liang du Nord, des Wei du Nord, des Wei de l’Ouest et des Sui dans les grottes de Kizil au Xinjiang et les grottes de Mogao à Dunhuang, dans le Gansu. Dans les grottes 11 et 13 de Yungang, on retrouve également deux tambours à main. Introduits à Qiuci via la route de la soie, ils sont encore aujourd’hui des instruments de musique traditionnels des Ouïghours, des Ouzbeks, des Tadjiks et d’autres groupes ethniques du Xinjiang. Au cours des dynasties du Nord, le pipa à manche court a été introduit en Chine depuis la Perse. On retrouve près de 50 représentations de cet instrument dans les grottes de Yungang. La harpe verticale persane a été introduite en Chine depuis l’Asie centrale pendant la dynastie Han et est représentée sous des formes diverses dans les grottes de Yungang.

Les grottes de Yungang témoignent de l’art de la musique et de la danse de la dynastie des Wei du Nord grâce à des sculptures qui mêlent le raffinement de la musique traditionnelle du nord et du sud de la Chine, des régions de l’Ouest et des Plaines centrales à l’essence musicale de l’Asie centrale. Elles sont la manifestation du brassage et de la fusion culturel des peuples et constituent une image unique pour l’étude de la culture de la musique et de la danse des dynasties du Nord.

Pourquoi dit-on que les grottes de Yungang cristallisent les échanges et l’intégration de diverses ethnies ?

D’après le Livre des Wei, au cours du premier mois de la première année de Tianxing (en 398), « on déplaça 360 000 civils et fonctionnaires de six préfectures du Shandong, ainsi que des barbares He et Goryeo et plus de 100 000 ouvriers et artisans vers la capitale ». Au septième mois de la même année, on transféra la capitale à Pingcheng. Toutes les personnes et les biens qui avaient été déplacés de force des régions soumises par la dynastie des Wei du Nord ou capturés dans le nord et le sud du Champa ont été concentrés dans les environs de Pingcheng. Les régions concernées étaient à l’époque économiquement et culturellement développées dans le nord de la Chine, à l’instar des six préfectures du Shandong, de Chang’an dans le Guangzhong, de Liangzhou dans le Hexi, de Helong dans le Dongbei et de Qingqi à l’est. 

L’ampleur et la portée de l’intégration ethnique pendant les dynasties du Nord étaient sans précédent. Les tribus Xiongnu, Jie, Di, Qiang et Xiangbei du sud ont été largement intégrées à la grande famille chinoise et sont devenues partie intégrante de l’ethnie Han. Selon l’historien chinois moderne Chen Yinke, « dans les dynasties du Nord, la culture primait sur l’ascendance. Quiconque était sinisé devenait un Han à part entière et quiconque rejoignait les populations du Nord et de l’Ouest devenait un Hu, qu’importe son origine. »

Dans ce contexte d’intégration ethnique, la famille impériale de la dynastie des Wei du Nord a fait le premier pas vers la réforme et la sinisation lors de l’établissement de la capitale à Pingcheng. Lorsque l’empereur Daowu a construit sa capitale à Pingcheng, « il commença par établir une province. Il nomma des centaines de fonctionnaires, des princes, des généraux, ainsi que des gouverneurs et des préfets. Il prit des lettrés pour ministres. L’empereur étendit les Plaines centrales, dans un souci de confort. Tout érudit ou sage qui se présentait, qu’importe son âge, recevait audience. Si quelqu’un venait à vouloir se tuer, c’est qu’il n’avait que peu de capacités. Les autres étaient tous considérés utiles. » Sous le règne de l’empereur Taiwu, la capitale a été érigée dans le style Han, le palais a été construit et le système officiel a été réformé. Les ministres d’état, grands officiers, ministres magistrats, hauts responsables, grands chanceliers discutaient des affaires de l’État avec le prince. Pendant un certain temps, les coutumes étrangères se sont mêlées aux coutumes nationales.

Après que la dynastie des Wei du Nord a établi sa capitale à Pingcheng, elle a eu des contacts fréquents avec les royaumes des régions de l’Ouest où le bouddhisme prévalait. Histoire du Nord - biographies des régions de l’Ouest relate cette époque prospère : « Au cours de l’ère Taiyan, Wei Deyi reçut des émissaires envoyés par les rois des royaumes des régions de l’Ouest Qiuci, Shule, Wusun, Örpün, Khabandha, Piqan, Karachahr, Gushi et Sogdiane. [...] Ils se succédèrent, au gré du temps, et vinrent des dizaines de générations d’émissaires. »

Ces échanges officiels ont introduit des pensées bouddhiques avancées et leurs modèles de statues à Pingcheng sous la dynastie des Wei du Nord. Ils ont également fait de la région de Pingcheng le point de départ de la route de la soie septentrionale. La cour impériale y a rassemblé une population active nombreuse et de grandes richesses, si bien que la fusion des compétences de l’est et de l’ouest ont pu engendré une multitude de constructions magnifiques à l’intérieur et autour de Pingcheng. C’est dans ce contexte que sont nées les grottes de Yungang, syncrétisme de l’essence des cultures Xianbei, Han et d’Asie centrale.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.


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