
Talismans de la dynastie Yuan : des « passeports » entre l'Est et l'Ouest sous l’empire mongol
La dynastie Yuan, instaurée par les Mongols qui régnèrent sur la Chine de 1234 à 1368 de notre ère, a construit, dans le but de consolider son vaste territoire et de promouvoir la communication et le commerce, un système efficace de laisser-passer, valables partout dans le pays et dans les quatre grands khanats mongols (i.e., les divisions de l’empire mongol), couvrant l'ensemble du continent eurasiatique. Certains chercheurs les ont qualifiés de vrais « passeports internationaux ». Ils prenaient la forme de talismans, dont on a retrouvé de rares exemplaires aujourd’hui. Une de ces deux plaques rondes de métal, marquées de caractères d’argent en écriture dite « Phags-pa » est conservée au Musée provincial du Gansu.
Selon Li Yongping, directeur du département de recherche et chercheur au Musée provincial du Gansu, l’artefact fournit des informations précieuses pour comprendre le système de communication, les échanges culturels et commerciaux entre la Chine et l’Occident pendant la dynastie Yuan.
Comment le laisser-passer a-t-il été découvert au Musée provincial du Gansu ? Quel est le contexte historique de sa fabrication et de son utilisation ?
Il a été recueilli par des travailleurs du patrimoine culturel dans un entrepôt de métaux usagés à Lanzhou et a ensuite été identifié comme un trésor national par un groupe d'experts du Bureau national du patrimoine culturel. C’est une pièce délicatement conçue avec des ornements fins et fluides, qui donne aussi une indication sur la technologie artisanale et la métallurgie sous la dynastie Yuan.
C’est donc un outil qui peut s’apparenter à nos passeports modernes, fait d'un alliage de fer et de plomb, mesurant 18 cm de hauteur, avec un diamètre de 11,7 cm et qui pèse 247 grammes. L'écriture est en argent, avec cinq lignes d'écriture Phags-pa, l’écriture officielle unifiée adoptée par la dynastie Yuan, recto et verso. Elles signifient : « La volonté de l'empereur est la force de la vie éternelle, punissant ceux qui ne se conforment pas. » Ce passeport servait de preuve lorsque la cour ou les princes envoyaient des messagers en cas d'urgence militaire ou politique.
Il existait de nombreux types de passeports sous la dynastie Yuan, tels que les passeports en or, en argent, en verre clair, et les passeports ronds, pour n'en nommer que quelques-uns. Les passeports en or étaient portés par quelques milliers de familles, ceux en argent, juste par quelques centaines.
Comment cet objet, porteur de l'écriture et de la langue Phags-pa, reflète-t-il l'échange et l'intégration de différentes cultures, pensées et langues ?
Dans la Chine ancienne, il n'y avait pas de carte d'identité, mais il y avait deux types de documents similaires : les talismans et les missives. Les talismans servaient à prouver l'identité, tandis que les missives servaient à permettre un accès ou un passage. Ils étaient utilisés par les anciennes cours chinoises pour transmettre des ordres, déplacer des troupes, nommer des officiels, récompenser des héros, passer des postes de contrôle, déterminer des identités, ainsi que pour diverses affaires militaires, économiques, postales et d'inspection.
Les talismans ont eu différents noms, formes et fonctions à différentes époques. Les Yuans ont hérité de ce système en l’innovant, comme dans le choix d’y inclure l'écriture Phags-pa.
À l'établissement de la dynastie Yuan, le territoire était vaste, avec de nombreuses ethnies et une grande diversité de langues et d'écritures, ce qui rendait difficile la diffusion des décrets. Kubilaï Khan, le fondateur de la dynastie Yuan, a donc ordonné au grand maître bouddhiste tibétain Phags-pa de la secte Sakya de réviser l'écriture mongole, devenant ainsi l'écriture Phags-pa, également connue sous le nom de « nouveaux caractères mongols ». Basée sur la combinaison de l'écriture mongole et de l'écriture arabe, son utilisation était limitée aux documents officiels et aux passeports.
Lorsqu'on parle de l'écriture Phags-pa, il faut mentionner l'événement historique célèbre qui s'est déroulé à Wuwei, au Gansu, connu sous le nom de « Conversations de Liangzhou ». En 1247, Sakya Pandita, alors le leader religieux de la secte Sakya au Tibet, s’est entretenu avec Köden, prince d’un khanat mongol et commandant de l'armée de l'Ouest, au temple de la pagode blanche de Wuwei. Suite à cette rencontre, il y a publié sa « Lettre de Sakya Pandita aux Tibétains », qui a amené le Tibet a être officiellement intégré au territoire des Yuans. En tant que neveu de Sakya Pandita, Phags-pa a également été témoin de cet événement.
L'écriture Phags-pa a surtout circulé dans les grandes villes et les milieux officiels des quatre grands khanats mongols. Les souverains n'ont pas cherché à détruire les langues et les écritures des autres peuples ou à les imposer par la force. Ils ont respecté les traditions historiques et culturelles des différentes régions lors de leurs campagnes militaires, ce qui a permis la préservation des langues et des écritures des différentes ethnies, y compris donc, des caractères chinois. Cela a abouti à la création d’un empire multiethnique unifié.
Sous la dynastie Yuan, c'étaient toujours les caractères chinois qui restaient utilisés en Chine. Ainsi, l'écriture Phags-pa n'a été utilisée que pendant 110 ans par l'administration de la dynastie Yuan, et le système des laissez-passer a été progressivement abandonné avec sa chute.
Quel a été l'impact de cela sur la fluidité des échanges le long de la route de la soie et entre l'Est et l'Ouest ?
Selon les archives historiques, bien que la dynastie Yuan ait conquis le monde à cheval, elle accordait en réalité une grande importance aux échanges entre la Chine et l'Ouest dans de nombreux domaines tels que la politique, l'économie et la culture. Le gouvernement central ne se contentait pas de protéger par décret officiel les marchands et les délégations voyageant sur la route de la soie, mais il mettait également en place des officiels et des troupes pour assurer la fluidité du trafic le long de la route.
À cette époque, un grand nombre de personnes d'origines diverses d'Occident entraient en Chine, où ils apprenaient et assimilaient la culture confucéenne, devenant même des diffuseurs de cette culture. Par leur familiarité et leur maîtrise de la culture confucéenne, certains ont même réussi à entrer à la cour de la dynastie Yuan. De vastes caravanes de marchands et de délégations de l'Ouest ont également atteint la dynastie Yuan depuis les côtes de la Méditerranée, et l'islam et le christianisme ont été largement introduits en Chine pendant cette période. La dynastie Yuan a également envoyé à plusieurs reprises des délégations en visite dans divers pays européens.
Parmi eux se trouvait le célèbre marchand et voyageur italien Marco Polo. Dans son Devisement du monde, il est mentionné qu'après avoir dit au revoir à Kublai Khan, le fondateur de la dynastie Yuan, et avoir escorté la princesse Cocacin pour son mariage dans le royaume d'Ilkhan, Kublai Khan lui a donné deux laisser-passer en or. Lorsque Marco Polo est retourné en Italie depuis le royaume d'Ilkhan, la princesse Cocacin lui a également donné quatre laisser-passer en or.
Près d'un millénaire plus tard, quels sont les enseignements et les inspirations de ce système ?
Le talisman d'argent à écriture Phags-pa de la dynastie Yuan a joué un rôle actif dans la facilitation des échanges entre l'Est et l'Ouest. Jusqu'à aujourd'hui, dans la région du Hexi (corridor du Gansu), un segment clé de l'ancienne route de la soie, de nombreux sites culturels, y compris les grottes de Mogao, conservent encore de précieuses peintures murales et statues peintes datant de la dynastie Yuan, ainsi que de nombreux artefacts écrits et documents historiques. Ce qui est encore plus précieux, c'est l'apparition parallèle de diverses formes d'écriture, reflétant l'idée d'acceptation mutuelle et de coexistence équitable.
Aujourd'hui, la construction de la « Ceinture et la Route » s'inspire également de l'histoire, en apprenant et en s'inspirant mutuellement entre les pays et régions le long de la route, afin de réaliser une coopération gagnant-gagnant. En fait, l'intégration profonde avec d'autres civilisations et cultures a été le motif principal des échanges extérieurs de la Chine depuis plus de deux mille ans, et l'absorption extensive des réalisations excellentes des civilisations étrangères est un « gène historique » de la culture chinoise.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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