
Massacre de Nankin : de nouvelles orientations dans la recherche historique ?
La dixième Journée nationale de commémoration des victimes du massacre de Nankin a eu lieu le 13 décembre 2023. Les recherches sur l'histoire du massacre de Nankin par le milieu universitaire chinois n’ont eu de cesse de se poursuivre depuis la publication en 1963 de l’ouvrage Le massacre des envahisseurs japonais à Nankin rédigé par le Groupe d'histoire japonaise de l'Université de Nankin.
Plusieurs questions se posent à propos de ce secteur de recherche telles que son processus de développement, l’existence de nouvelles orientations et la dimension internationale relative au massacre de Nankin. Zhang Sheng, doyen de l'École d'histoire de l'Université de Nankin et président de l'Association de recherche sur l'histoire du massacre de Nankin par les envahisseurs japonais, a récemment accepté une interview exclusive avec China News.
Quel est le processus de développement de la recherche sur l’histoire du massacre de Nankin ?
En Chine, les recherches sur l’histoire du massacre de Nankin ont débuté dans les années 1960. À cette époque, les États-Unis réarmèrent le Japon avec lequel ils établirent une alliance. Les professeurs et camarades de classe de l'Université de Nankin, représentés par Gao Gaozu et Hu Yungong, ont mené des recherches et écrit le livre Le massacre des envahisseurs japonais à Nankin invitant le Japon à ne pas suivre l'ancienne voie du militarisme. Cet ouvrage divise l’étude du massacre de Nankin en quatre parties, à savoir, les meurtres, les viols, les vols et les incendies criminels, formant ainsi la structure de base de l'étude de cette période de l'histoire.
Lorsque certains membres de l'organisation non gouvernementale japonaise Association des rapatriés de Chine sont venus en visite à Nankin, le personnel du Bureau des Affaires étrangères du gouvernement municipal de la ville leur a présenté cet ouvrage. Choqués par la découverte de l'histoire du massacre de Nankin, ils l’ont transmis notamment au chercheur Niijima Junryo de l’université Waseda à Tokyo et à d'autres universitaires, diffusant ainsi au Japon la réalité des faits du massacre de Nankin. Dans les années 1960, l'érudit japonais Tomio Hora a publié un article universitaire à ce sujet, puis l’ouvrage intitulé Le massacre de Nankin dont la version définitive constitue la première monographie sur l'étude systématique du massacre de Nankin par les historiens japonais d'après-guerre.
Le massacre des agresseurs japonais à Nankin est ainsi un ouvrage à la signification canonique pour les universitaires chinois et les cercles universitaires japonais, et constitue le modèle de recherche originel. Cependant, pour diverses raisons, ce livre n’a pas été publié au grand public et n’est utilisé qu’à des fins de communication interne. En 1979, Gao Gaozu lui ajoute une critique de la pensée de droite japonaise. Il est également l’auteur de la monographie Les atrocités de l'invasion japonaise de la Chine – Le massacre de Nankin qu’il publie en 1985.
Au début des années 1980, les forces de droite japonaises ont nié l’histoire de l’agression par deux faits majeurs qui ont suscité une forte opposition de la part de l’ensemble de la société est-asiatique.
Premièrement, le ministère japonais de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie a tenté de remplacer le mot « invasion » par « pénétration » de la Chine et de l'Asie du Sud-Est dans les manuels d'histoire ce qui a suscité une vive protestation de la part des Philippines, de la Malaisie et d'autres pays d’Asie du Sud-Est.
Deuxièmement, Masaaki Tanaka, secrétaire du général Iwane Matsui qui fut le principal auteur du massacre de Nankin, a catégoriquement nié l'histoire du massacre de Nankin dans son livre, affirmant que le massacre de Nankin était une exagération et une fiction de la part des Chinois. L’impact de ces deux événements fût si important sur les milieux universitaires chinois que l’étude du massacre de Nankin atteignit son premier point culminant et les intellectuels ont alors commencé à collecter des documents historiques pour confirmer la véracité de cette période de l’histoire.
Vers l’an 2000, le professeur Zhang Xianwen et d’autres de ses pairs ont emmené nos étudiants rejoindre le projet du Centre de recherche historique sino-japonais de l’Académie chinoise des sciences sociales et ont voyagé à travers le monde pour collecter des informations liées au massacre de Nankin. Tout au long du processus, nous avons constaté que de nombreux pays, de l’Asie à l’Europe et aux Amériques, disposaient de données de tailles variables, les États-Unis et l’Allemagne étant ceux qui en possédaient le plus.
Les informations détenues par les États-Unis sont divisées en trois aspects. Premièrement, lorsque l'armée japonaise a occupé Nankin, les États-Unis ont envoyé quatre reporters de guerre sur la ligne de front pour faire des reportages qui ont été publiés ensuite dans les journaux américains. Ensuite, des diplomates américains sont retournés à Nankin le 6 janvier 1938, apportant avec eux des stations de radio équipées de générateurs. Les ressortissants étrangers présents à Nankin à l'époque ne disposaient pas des moyens de communication nécessaires pour envoyer des nouvelles. Les stations de radio mises en place par les diplomates américains diffusaient toutes sortes d'informations sur ce qui se passait à Nankin, ce qui a permis au gouvernement américain de disposer de nombreux documents officiels dans le cadre du procès d'après-guerre de Matsui Iwane, et a constitué un élément de preuve crucial. Enfin, 14 expatriés américains à Nankin disposaient de nombreuses informations de première main, et ces preuves sont conservées aux Archives nationales américaines, à la bibliothèque de l'école de théologie de l'université de Yale et dans un certain nombre d'autres institutions universitaires.
Les expatriés d'autres pays ont également apporté leur contribution dans diverses proportions. À cette époque, le diplomate allemand Georg Rosen, qui était très sensible aux souffrances du peuple chinois, a rédigé de nombreux documents dont le compte rendu a été publié en 1991 dans le magazine chinois Recherche sur la guerre de résistance contre le Japon. Au milieu des années 1990, le Journal de John Rabe a été publié concomitamment au Rapport Rosen. Basé sur des lettres, des journaux intimes et d'autres documents de missionnaires américains dans la zone de sécurité internationale, l’ouvrage écrit par journaliste britannique du Manchester Guardian Harold John Timperley intitulé Atrocités japonaises vues par des étrangers constitue un élément de preuve important pour l'accusation dans le procès de Tokyo. Il a été publié simultanément à New York et à Londres à 300 000 exemplaires.
Les documents liés au massacre de Nanjing rédigés en anglais, allemand, français, suédois, russe, etc., formant une chaîne de preuves sur cette période de l'histoire à l'échelle internationale, ont finalement été compilés dans la série en 72 volumes Collection historique du massacre de Nankin.
Après la maîtrise de ces matériaux, l'étude du massacre de Nankin a connu des changements révolutionnaires. Premièrement, il n’y a pas d’omissions historiques majeures. Deuxièmement, l'étude du massacre de Nankin est passée de l'argument du « si » à la question de savoir de quel type de nature il s'agit. La question a donc été posée de savoir quelles méthodes interdisciplinaires devraient être combinées et sous quels angles explorer le sens profond de cette période de l'histoire, et comment l'utiliser comme souvenir de guerre et de paix le plus important au monde.
Dans le processus visant à exhorter la communauté internationale à faire face à cette période de l'histoire, quels efforts et contributions les Chinois d'outre-mer ont-ils apportés ?
La contribution des Chinois d’outre-mer à cet égard ne peut être sous-estimée. Les Chinois des États-Unis ont créé en 1992 l'Association pour la préservation des faits historiques de la guerre de résistance contre le Japon et ont formé en 1994, avec d'autres sociétés du monde entier, la Fédération mondiale pour la préservation des faits historiques de la guerre de résistance contre le Japon. L'Association mondiale pour la préservation des faits historiques de la guerre de résistance contre le Japon recueille et diffuse les faits sur le massacre de Nankin de diverses manières, elle a notamment organisé une conférence de presse à propos du Journal de John Rabe à New York et a publié des télégrammes et d'autres documents détenus par les États-Unis. Parmi les Chinois d’outre-mer, l’historien sino-américain Wu Tianwei a écrit un livre pour partager avec les cercles universitaires chinois les informations détenues par la fédération, ce qui a considérablement élargi les horizons des universitaires chinois. Wu Tianwei a également initié la création en Californie du premier Mémorial de l'invasion japonaise de la Chine à l'étranger, et a fondé la revue Recherche sur l’invasion japonaise de la Chine et L’association de recherche sur l’invasion japonaise de la Chine.
La célèbre historienne sino-américaine Zhang Chunru s'est rendue à Nankin en 1995 pour notamment interviewer Sun Zhaiwei, Wang Weixing, Yang Xiaming. Après avoir combiné les informations dont elle disposait déjà avec les découvertes faites en Chine, elle a écrit en anglais Le massacre de Nankin : L'Holocauste oublié de la Seconde Guerre mondiale. En raison de l'alliance entre les États-Unis et le Japon à cette époque, les États-Unis et les pays occidentaux accordaient moins d'attention au massacre de Nankin. La sortie de ce livre a ramené cette histoire aux yeux des peuples américain et occidental.
Aujourd'hui, les Chinois d'outre-mer sont toujours l'une des principales forces de diffusion de ce fait historique. Ainsi, le dirigeant chinois américain d'outre-mer Fang Li Bangqin envisage de construire le premier mémorial de la guerre de résistance contre le Japon à l'étranger, dans le même temps, les Américains d'origine chinoise font pression pour la création à San Francisco d'un monument dédiés aux femmes de réconfort. La motion proposée par le Canadien d'origine chinoise Huang Sumei visant à établir la Journée commémorative du massacre de Nankin a été adoptée par le Parlement provincial de l'Ontario. Les Chinois de nombreux pays organiseront également des rassemblements de différentes tailles pour informer le public sur cette histoire.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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