
Joachim Bouvet, le premier ambassadeur des échanges culturels sino-français
L’année 2024 marque le 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Les relations culturelles entre les deux pays remontent aux premières années de la dynastie Qing et à une figure centrale, celle de Joachim Bouvet (1656-1730), appelé Bai Jin par les Chinois mais également Ming Yuan, qui fut l'un des cinq premiers missionnaires jésuites envoyés en Chine par le roi de France Louis XIV. Arrivé en Chine en 1687, il mourut à Pékin et fut enterré dans le cimetière du temple de Zhengfu également connu sous le nom de cimetière français. Grâce à ses réalisations pionnières dans de nombreux domaines, Joachim Bouvet a toujours été la figure la plus observée parmi les missionnaires français en Chine.
La compréhension des missionnaires venus en Chine sous les dynasties Ming et Qing doit être replacée dans le contexte de l’histoire mondiale de 1500 à 1800. Leur arrivée intervient alors que les grandes découvertes géographiques initiées par le Portugal et l'Espagne au XVIe siècle marquent également le début de l'histoire coloniale occidentale, ainsi la Chine et l’Europe se rencontrent à la fin de la dynastie Ming. Lors des contacts établis entre la Chine et l’Occident de 1500 à 1800, c’est-à-dire de la fin de la dynastie Ming au milieu de la dynastie Qing, la Chine apparaît sur la scène mondiale comme un pays indépendant et puissant, ce qui sera complètement différent de la fin de la dynastie Qing. Il s'agit là d'une rare période de 300 ans d'échanges égaux entre la civilisation chinoise et la civilisation européenne dans l'histoire de l'humanité. C’est également un héritage académique important dans l'histoire de la civilisation humaine, et Joachim Bouvet était un représentant important des jésuites français venus en Chine à cette époque.
En effet, Joachim Bouvet vient en Chine sur ordre du roi de France Louis XIV afin de prêcher. Cet événement brise l'histoire du contrôle exclusif des Portugais sur les entreprises missionnaires en Chine. Après leur arrivée à Pékin en février 1688, Joachim Bouvet et Jean-François Gerbillon, un missionnaire jésuite venu en Chine à la même époque, servent de professeurs impériaux et enseignent à l'empereur Kangxi notamment la géométrie, l'arithmétique, l'histoire de la philosophie européenne, la médecine et l’anatomie. Au cours de cette période, les deux hommes collaborent à la compilation en mandchou des grandes lignes de la géométrie pratique dans les ouvrages Principes de géométrie et Éléments, qui sont ensuite traduits en chinois. Plus tard, ils ont été sélectionnés pour être intégrés dans L'essence des mathématiques, un ouvrage que Kangxi a personnellement révisé et préfacé, et qui se trouve actuellement dans le musée de la Cité Interdite.
Le 8 juin 1693, sur ordre de l'empereur Kangxi, Joachim Bouvet retourne en France pour recruter de nouveaux missionnaires, créant ainsi un précédent pour la diplomatie du gouvernement chinois avec les envoyés français. De retour en France, Joachim Bouvet publie deux ouvrages en 1697 qui exercent une grande influence en Europe. Le premier, La situation actuelle de l'empire chinois, est publié à Paris par le graveur Pierre Giffart. Cet ouvrage, dont le titre complet est État présent de la Chine, en figures, dédié à Monseigneur le Duc et à Madame la Duchesse de Bourgogne, répertorie les modèles vestimentaires des fonctionnaires civils et militaires mandchous et han ainsi que les femmes de l’aristocratie. Précédées d’une présentation de l’organisation politique chinoise en début de ce volume, les 46 gravures sur cuivre des vêtements du personnel du palais ont été réalisées sur la base de croquis.
Le second livre, Portrait historique de l’empereur de la Chine présenté au Roi, dépeint l'empereur Kangxi comme un homme polyvalent dans les affaires civiles et militaires. Il le compare à Louis XIV et classe ainsi les deux hommes comme les plus grands rois du monde à cette époque. L’ouvrage, qui a eu un impact profond et a donné aux Européens une certaine compréhension de la Chine et de l’empereur chinois, fut réimprimé en 1699 sous le titre Histoire de l’empereur de la Chine. Il a également suscité l'intérêt de Wilhelm Leibniz, qui a même demandé à Joachim Bouvet l'autorisation de l'annexer à son livre Novissima Sinica historiam nostri Temporis illustratura.
Lorsque Joachim Bouvet retourne en Chine en 1698, il ramène non seulement dix nouveaux jésuites, mais il promeut également activement le navire marchand français Amphitrite pour que ce dernier navigue vers la Chine, ce qui constitue une percée historique à l'époque. Après cela, il écrit Observata de vocibus Sinicis T'ien Tian et Chang-ti God, Essai sur le mystère de la Trinité tiré des plus anciens livres chinois, Idea generalis doctrinae libri Ye-kim ainsi que d'autres livres et articles. Il étudie également les pictogrammes chinois.
Dans l'histoire des échanges culturels sino-occidentaux, Joachim Bouvet, en tant qu'érudit qui combine les deux tâches majeures de « diffusion du savoir occidental à l'est » et de « diffusion du savoir chinois à l'ouest », est l'un des plus importants parmi les jésuites par le nombre et le poids de ses œuvres et la profondeur de sa pensée. C’est un cas unique dans toute l'histoire des échanges culturels entre la Chine et l'Occident sous les dynasties Ming et Qing. En tant que proches ministres de Kangxi, lui et Jean-François Gerbillon ont enseigné conjointement les mathématiques occidentales, la médecine et d'autres connaissances en sciences naturelles à Kangxi et aux princes. D'autre part, il est devenu une figure importante dans la promotion de « la propagation des connaissances chinoises vers l’Ouest » en introduisant également la culture et la médecine traditionnelle chinoise, les coutumes, les classiques confucéens de même que la politique de cour et système politique Qing en Occident. Parallèlement, Joachim bouvet étudie intensivement le Livre des Mutations, tentant ainsi de combler le fossé entre les pensées religieuses et philosophiques chinoises et occidentales en développant un « figurisme » rafraîchissant et même audacieux. Près d'un millier de pages de manuscrits ont été écrites pour explorer les moyens de rapprocher les cultures chinoise et occidentale, qui sont devenues des documents précieux sur l'histoire des échanges intellectuels à l'époque des premières rencontres entre la Chine et l'Europe.
Zhang Xiping est professeur à l'Université des études étrangères de Pékin et expert en chef à l'Institut de communication internationale de la culture chinoise. Quan Hui est bibliothécaire de recherche associé à l'École de langue et de culture françaises de l'Université des études étrangères de Pékin.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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