Le Badain Jaran : le désert où nature et histoire se rencontrent

1737371052753 China News Li Aiping
Niché au cœur de la Mongolie-Intérieure, le désert de Badain Jaran est bien plus qu’un paysage de dunes et de lacs salés. Ce site désormais inscrit au patrimoine mondial témoigne d’un équilibre rare entre la nature et les traces laissées par les peuples nomades qui l’ont habité pendant des siècles. Entre patrimoine naturel et vestiges humains, le Badain Jaran dévoile un univers où le temps et le respect de l’écosystème ont façonné un lieu unique. Entretien exclusif avec Gai Zhiyong, vice-directeur de l'Institut de recherche archéologique et patrimoniale de Mongolie-Intérieure.

Le 26 juillet 2024, le désert de Badain Jaran et son ensemble de dunes et lacs ont été inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, devenant ainsi le premier site naturel en Mongolie-Intérieure et le premier désert de Chine à obtenir ce statut. 

Qu’est-ce qui rend le désert de Badain Jaran si précieux ? Comment l’archéologie redécouvre-t-elle les trésors enfouis sous ce désert ? Le vice-directeur de l'Institut de recherche archéologique et patrimoniale de Mongolie-Intérieure, Gai Zhiyong, qui a dirigé de nombreuses fouilles dans la région, tente d’apporter quelques éclaircissements.

Parlez-nous des impressions que vous laisse le désert de Badain Jaran.

En raison de mon travail, j’ai eu l’occasion de pénétrer dans les profondeurs de nombreux déserts, et j’ai senti que chacun possédait une personnalité unique, parfois solitaire, parfois grandiose. Ce n'est qu'en face des déserts que l’humanité peut tempérer l'arrogance qu'elle manifeste souvent face à la nature. Les déserts suscitent un respect solennel, nous rappelant que nous ne sommes que des grains de sable dans cet immense océan. Mais le désert de Badain Jaran m’a laissé une impression tout à fait différente.

Ici, on trouve une grande variété de formations éoliennes, des lacs désertiques denses et de hautes dunes de sable, qui rendent la personnalité de ce désert d'autant plus marquée. Contrairement aux autres déserts principalement constitués de collines douces, ici, on est souvent confronté à des montagnes de sable imposantes, dressées comme des murailles infranchissables. Pourtant, après avoir gravi ces dunes avec effort, des lacs désertiques clairs et multicolores apparaissent soudainement, leurs eaux calmes comme des miroirs. La couleur des lacs varie en fonction de la salinité et des communautés microbiennes, présentant des nuances de bleu, de vert, et de rose, offrant un paysage onirique. On peut également y observer des oiseaux d'eau tels que des tadornes casarca, des cygnes, des grues demoiselles, des spatules blanches et des échasses à ailes noires, s'amusant et se poursuivant, comme dans un paradis caché entouré de montagnes de sable.


En tant qu'archéologue, selon vous, pourquoi le désert de Badain Jaran a-t-il réussi à être inscrit au patrimoine mondial ? Quels sont les motifs précis ?

Le désert de Badain Jaran se situe dans la ligue d'Alashan, bordé à l'est par la rivière Ruo, à l'ouest par les monts Yabulaï, au sud par le lac Nanda Guaizi et au nord par la montagne Beida. Avec une superficie de 47 000 km², ses paysages désertiques, sa diversité faunistique et ses sites culturels témoignent de son charme unique pour le monde entier. Les dunes, le désert et les lacs y possèdent une valeur inégalée dans le domaine du patrimoine naturel.

La plus haute dune de sable du monde, surnommée l’« Everest du désert », s'élève ici. Ces dunes imposantes et les lacs qui les entourent composent un paysage naturel exceptionnel. Les 144 lacs inter-dunaires, aux couleurs magnifiques et variées, créent une valeur esthétique unique, constituant un exemple exceptionnel de l'évolution des paysages désertiques sous climat tempéré et hyperaride.

Le désert de Badain Jaran est aussi un habitat et un refuge pour de nombreuses espèces. Les traces de présence humaine y remontent au Néolithique, jusqu’à aujourd’hui. Ce lieu est un spectacle naturel où la biologie et le désert coexistent harmonieusement, illustrant son caractère unique et méritant pleinement son inscription en tant que patrimoine naturel mondial.

Le lac Nuertu, situé dans le sud-est du désert, est l’un des plus grands lacs de ce désert.

Quels aspects du désert de Badain Jaran méritent une exploration plus approfondie de la part de la communauté archéologique ?

Dans le désert de Badain Jaran, si l’on se penche et observe attentivement, on découvre parfois de superbes feuilles d’agate et des fragments de poterie, révélés puis cachés par le vent. Ce sont des vestiges des anciens habitants, témoignant de la présence humaine ici depuis des millénaires et de la civilisation qu’ils ont créée.

En observant ces fragments de poterie et de pierre, je me demande souvent comment ces anciens peuples ont pu coexister avec ce désert et ces lacs. Dans ce désert, aujourd'hui perçu comme une zone interdite à la vie, pourquoi trouve-t-on tant de vestiges et d'artefacts ? Pourquoi ces ancêtres ont-ils préféré endurer les tempêtes de sable plutôt que de quitter cet endroit ? Ces questions m’ont longtemps intrigué, jusqu’à ce que je découvre les peintures rupestres et un temple ici, où j’ai senti entrevoir une réponse.

Les peintures rupestres de Badain Jaran sont les épopées gravées dans la pierre par les anciens habitants de ces terres, reflétant leur état de vie réel. Ce désert a été la terre des peuples nomades du nord de la Chine, tels que les Qiang, les Yuezhi, les Xiongnu, les Xianbei, les Huihu, les Tangoutes et les Mongols. Ces peintures rupestres incarnent leur vie spirituelle et matérielle, illustrant des scènes de nomadisme, de chasse, de communautés, de danse, de compétition, d'astronomie, dans un style réaliste, ancien et brut.

En contemplant attentivement ces peintures rupestres, un sentiment de paix et de sérénité vous envahit, permettant de ressentir réellement la fusion des différentes cultures et l'harmonie entre l'homme et la nature.


Qu’est-ce que « la Cité interdite » du désert ?

Après de nombreuses années d'exploration, nous avons remarqué qu'il existe un temple au cœur du désert de Badain Jaran. Ce temple a été construit sous la dynastie Qing ; bien que modeste en taille, il est surnommé la « Cité interdite du désert ». Ce surnom témoigne de l'importance que lui accordent les habitants locaux et de la difficulté de bâtir une telle structure au milieu du désert. Bien que petite, chaque brique, chaque pierre et chaque morceau de bois ont dû traverser de nombreuses dunes pour parvenir jusqu'ici, une entreprise hautement complexe.

Ce temple se trouve dans une zone plate, entourée de dunes et de lacs. En le découvrant, on ressent une profonde harmonie entre les dunes, les lacs, l'architecture et les personnes qui coexistent en ce lieu. Tous ces éléments s'intègrent de manière organique, sans la moindre dissonance. Les dunes, les lacs et l'architecture se fondent les uns dans les autres, sans qu’un seul élément ne domine, et pourtant, chacun semble être le thème principal. Les montagnes dorées de sable, les lacs bleu azur, et l’architecture aux teintes rouges et blanches s’unissent naturellement. Venir ici permet de saisir pleinement l’harmonie entre les individus, entre les hommes et la société, et entre l'homme et la nature. Le concept d’harmonie est ici pleinement incarné. En tant que valeur centrale de la culture chinoise traditionnelle, l'harmonie représente l'essence et la forme de vie la plus parfaite et la plus accomplie de la culture chinoise.

Je pense que c'est aussi la raison pour laquelle les peuples nomades du nord de la Chine n'ont pas voulu quitter cette terre pendant des milliers d'années : ici, un équilibre harmonieux entre les hommes et la nature, ainsi qu'entre les individus eux-mêmes, a déjà été établi.


Comment devrions-nous tirer parti du succès de l'inscription du désert de Badain Jaran au patrimoine mondial ?

Après sept années d’efforts inlassables, le désert de Badain Jaran et son ensemble de dunes et de lacs ont été inscrits en juillet de cette année lors de la 46e session de la Conférence du patrimoine mondial de l’UNESCO sur la Liste du patrimoine mondial. Désormais, la Chine compte 15 sites inscrits au patrimoine naturel mondial, ainsi que 4 sites mixtes culturels et naturels, marquant ainsi une avancée importante pour la région autonome de Mongolie intérieure en obtenant son premier patrimoine naturel mondial. Cela comble également un vide dans le patrimoine naturel mondial de la Chine, qui n’avait jusque-là pas de site de type désertique, ce qui est une réussite à saluer.

Nos connaissances sur cette vaste étendue de sable et de lacs sont encore limitées. En raison des contraintes géographiques, les recherches menées jusqu’à présent restent superficielles. Ce manque de connaissances et d’études approfondies risque de nuire à la protection et à l'utilisation de ce site. Avec l’inscription du désert de Badain Jaran sur la Liste du patrimoine mondial, beaucoup de gens vont s’y intéresser davantage. Cependant, le système écologique extrêmement fragile risque d’entrer en conflit avec la fréquentation et l’exploitation par les visiteurs, ce qui nécessite une planification et une organisation en amont de la part des autorités locales.

De plus, je pense qu'il faut laisser l'évolution de ce désert aux mains du temps et de la nature, plutôt que de la modifier par des interventions humaines. Ce désert s'est formé au cours de centaines de millions d'années et coexiste harmonieusement avec l'humanité depuis plus de mille ans. Au fil de ces millénaires, les humains l'ont abordé avec respect, s'adaptant prudemment aux rythmes de la nature. C'est précisément cette approche respectueuse qui a permis au désert de conserver son état originel, fondement et clé de sa réussite pour l’inscription au patrimoine mondial. Après ce succès, nous devons continuer à cultiver ce respect pour la nature et à pratiquer les principes du développement durable.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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