[Pékin explorateurs] Bumbutaï, une dame mongole au coeur de la dynastie mandchoue

1750163338000 Le 9 Rémi Anicotte
Dans l'ombre des grands empereurs mandchous, Bumbutaï contribua à l'histoire de la dynastie Qing. Connue en Chine sous le nom d'impératrice Xiaozhuang, elle œuvra pendant près d'un demi-siècle à la construction de l'unité de l'empire.

Les tombeaux Qing de l’Est (Qing dong ling 清东陵) sur la commune de Zunhua au Hebei réunissent les sépultures des empereurs Shunzhi, Kangxi, Qianlong, Xianfeng et Tongzhi. Et, pour respecter les protocoles impériaux, leurs épouses et concubines sont inhumées dans le même ensemble funéraire. Mais, à cet égard, les tombeaux Qing de l’Est présentent une singularité frappante : le mausolée Zhaoxiling (昭西陵) de Bumbutaï, aussi connue comme impératrice Xiaozhuang (孝庄), se trouve ici, alors que son époux Huang Taiji est enterré à près de 600 km de là, au mausolée Zhaoling (昭陵) dans son ancienne capitale Shenyang.

Qui était Bumbutaï et quel parcours la conduisit ici ?                       

L’impératrice Xiaozhuang (1613-1688), aussi connue sous son nom personnel Bumbutaï, était une dame mongole du clan des Bordjiguines, celui du conquérant Genghis Khan (1162-1227). En 1625, Bumbutaï fut mariée au prince mandchou Huang Taiji du clan Aisin Gioro, selon la coutume mongole. Huang Taiji, 9e fils de Nurhachi, succéda à son père en 1626. Puis, en 1636, il fonda la dynastie Qing qui adoptait l’ensemble des protocoles de la dynastie Ming. Huang Taiji mourut en 1643, quelques mois avant la transition dynastique précipitée par les généraux rebelles de l’empire Ming.

Portrait de Bumbutaï, l'impératrice Xiaozhuang (1613-1688), vêtue comme une humble dévote et elle égrène les perles d'un chapelet.

En 1644, Chongzhen, le dernier empereur Ming se pendit à un arbre de la colline du Charbon à Pékin. Shunzhi (1638-1661), fils de Huang Taiji et de Bumbutaï, devenait, à l’âge de six ans, le premier empereur Qing à Pékin. Bumbutaï, désormais installée dans la Cité interdite, accédait à la dignité de mère de l’empereur, tandis que sa tante paternelle Jerjer (1599-1649) devenait impératrice douairière.

Dorgon, demi-frère de Huang Taiji, assurait la régence de Shunzhi. Il avait réussi à prendre l’empire en main, au nom de l’empereur enfant, et il souhaitait que ses belles-sœurs Jerjer et Bumbutaï devinssent ses épouses selon l’ancienne coutume des steppes qui obligeait un chef de clan vis-à-vis des veuves des autres hommes du clan. Elles refusèrent, arguant du protocole impérial chinois qui les empêchait de se remarier. Elles osaient contrecarrer l’ambition du puissant Dorgon car elles le savaient assez lucide pour comprendre que la paix dans le nord de la Chine reposait sur l’alliance du clan Aisin Gioro avec le clan des Bordjiguines dont elles étaient devenues les personnes les plus influentes, plus précisément Jerjer jusqu’à sa mort en 1649, puis Bumbutaï à partir de cette date.         

En 1650, quelques mois avant la majorité de Shunzhi, le régent Dorgon, âgé de 39 ans, décéda. La version officielle prétendait qu’il succombait à des blessures dues à un accident de chasse près de la Grande Muraille au nord de Pékin. Cependant, tout le monde soupçonnait une élimination ourdie par Bumbutaï. En 1651, Shunzhi fut déclaré majeur à 13 ans. Il préféra garder à distance sa mère qu’il considérait comme bien trop redoutable et intrusive.

Le bouddhisme lamaïque véhicule d’un projet métapolitique

Ne pas avoir la main sur les affaires courantes ne la dérangeait nullement. Elle était libre de se consacrer à un projet métapolitique majeur reposant sur la production et la diffusion de traductions en mongol du corpus bouddhiste tibétain. L’objectif était de transformer le contexte culturel dans lequel émergeait la vision politique de ses contemporains. Par ce biais, Bumbutaï renforça le rayonnement de la religion lamaïque en Mongolie orientale et centrale.    

Dans la Cité interdite à Pékin : peintures murales et thangka (datation incertaine) ainsi que décors en bronze des rituels lamaïques à l’intérieur de la salle de culte Xianruoguan (咸若馆) située dans le jardin Cininghuayuan (慈宁花园). © Rémi Anicotte (27 août 2022).

À côté de la nouvelle religion, les croyances et les rituels chamanistes des Mongols et des Mandchous restaient indéracinables. Ainsi, les liens directs entre la Mandchourie, la Mongolie et le Tibet continuaient à se resserrer grâce à la religion conformément à la stratégie initiée par Huang Taiji en 1636 avec la fondation du temple impérial de Shenyang (沈阳皇寺) : un temple lamaïste établi dans les faubourgs de sa capitale et où tous les lamas résidents étaient mongols. Finalement, en quatre décennies, Bumbutaï continua à donner corps à ce projet et elle parvint à ce que l’alliance entre les Mandchous et les Mongols (et entre les divers clans mongols) soit cimentée par une commune culture religieuse et ne s’appuie plus seulement sur l’union matrimoniale des clans Bordjiguines et Aisin Gioro.                                                    

L’ascension de l’empereur Kangxi, petit-fils de Bumbutaï                 

En 1661, s’acheva le règne de Shunzhi. Le Palais annonça qu’il avait succombé à la variole, et les archives officielles transmises jusqu’à nos jours confirment cette information somme toute banale puisque cette maladie faisait des ravages au 17e siècle. Cependant, la rumeur soutenait que l’empereur ne se remettait pas du chagrin causé par la mort de sa favorite Dong Xiaowan, et qu’il s’était secrètement retiré dans un temple bouddhiste de tradition chinoise. Kangxi (1654-1722), petit-fils de Bumbutaï et fils de Shunzhi, succéda à son père. Il avait été désigné héritier parce qu’il paraissait particulièrement éveillé et qu’il avait survécu à la variole dont il était ainsi immunisé à vie.                                                  

En 1667, Kangxi âgé de 14 ans atteignait sa majorité, mais le régent Oboi, qui avait servi Huang Taiji et Dorgon, tentait d’imposer ses volontés au jeune empereur. Cette fois-ci encore, la dame Bumbutaï intervint pour protéger sa descendance comme une louve. Elle participait activement à l’éducation de Kangxi, mais elle renonçait à user de procédés aussi expéditifs que lors de l’élimination de Dorgon dix-sept ans plus tôt. En effet, elle conservait un souvenir cuisant des fâcheuses conséquences de son intervention qui avait suscité du ressentiment chez son fils Shunzhi. Elle préférait dorénavant former son petit-fils à conquérir lui-même le pouvoir qui lui était dû.

Rémi Anicotte est sinologue, membre associé du CRLAO (EHESS/CNRS/INALCO). Il est directeur de China Intuition, société implantée à Pékin.

Photo du haut : la salle Dazhengdian à Shenyang. DR.  

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