
Nathalie de Gaulle : « Pour éviter le "piège du choc des civilisations", la coopération internationale est imparfaite mais indispensable »
Nathalie de Gaulle, arrière-petite-fille du Général de Gaulle, présidente et co-fondatrice de NB-INOV évoque, dans un entretien accordé à Nouvelles d’Europe, les relations franco-chinoises et le rôle de la Chine dans la coopération internationale.
Nouvelles d’Europe : Vous êtes allée deux fois en Chine, pourriez-vous partager avec nous vos impressions et expériences ? Quelle est votre compréhension des caractéristiques de la culture chinoise ?
Nathalie de Gaulle : Pour ma première visite, ma famille et moi-même avons été invités par le gouvernement Chinois dans le cadre du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays. Ma deuxième visite en République populaire de Chine a eu lieu en 2019 comme conférencière au Forum international d'Imperial Springs à Guangzhou, invitée par le Dr Chau Chak Wing et le Nizami Ganjavi International Center. Au cours de cette deuxième visite, j'ai eu l'honneur de participer à une réunion en comité restreint avec le président Xi Jinping et de rencontrer personnellement le vice-président Wang Qishan.
Je suis admirative de l'énergie et la force qui émanent de ce pays multimillénaire. En tant qu'entrepreneure, j'ai eu la chance de rencontrer des femmes et des hommes d'affaires passionnés ainsi que des universitaires de très grande qualité. Ils partageaient tous une vraie confiance dans l’avenir, faisant preuve d’un pragmatisme et d’une volonté combinés à une solide expertise en matière de digital ou de lutte contre le changement climatique.
Nouvelles d’Europe : Vous avez créé une association pour favoriser les échanges culturels entre la France et l'Arabie, envisagez-vous de favoriser les échanges entre la Chine et la France à l'avenir ?
Nathalie de Gaulle : Pourquoi pas ? La culture chinoise et la culture française, toutes deux millénaires, se sont en effet nourries l’une de l’autre au fil des âges.
Rappelons-nous que c’est Louis XIV qui inaugura une politique culturelle décidée à l’égard de la Chine. Alimentée par une réelle curiosité, cette politique a permis de développer une vraie connaissance de la Chine, mais aussi d’entretenir une relation diplomatique inédite avec l’Empire du Milieu.
En Chine, la littérature française trouva, dès la fin du XIXe siècle, de nombreux traducteurs. Lin Shu ouvrit la voie, avec « La Dame aux Camélias » de Dumas. Puis, ce fut le tour de Rousseau, de Hugo, de Daudet.
Le siècle dernier a été marqué par une intensification des échanges culturels, avec l'émergence de grands noms de la politique ou de la culture chinoises venus étudier ou travailler à Paris, tels que Zhou Enlai, Deng Xiaoping ou Zao Wou-Ki. En France, dès 1909, le poète et médecin Victor Segalen fut un découvreur, et un grand amoureux de la Chine. Ces noms sont à la mesure de la richesse et de la vigueur des échanges sino-français au cours du temps.
Ainsi, par-delà les frontières qui nous séparent, nos artistes n’ont jamais cessé de converser et de s’enrichir dans l’altérité. Le dialogue culturel fut incessant, et c’est un domaine que je trouve bien entendu important d’entretenir.
Nouvelles d’Europe : En tant qu'entrepreneure, avez-vous de l'expérience avec des entreprises chinoises dans vos activités quotidiennes ? Selon vous, quelles sont les raisons pour lesquelles le commerce sino-français n’a pas été plus performant ?
Nathalie de Gaulle : Je ne dirais pas que ce commerce n’a pas été performant, même si des pistes d’amélioration semblent toujours possibles. L'établissement d’un partenariat global en 1997, qui est devenu un partenariat stratégique global en 2004, a fourni un cadre global à nos relations bilatérales. Ce partenariat pionnier repose sur un mécanisme central : le dialogue stratégique franco-chinois, destiné à offrir à nos deux pays un espace privilégié de concertation où peuvent être abordés des sujets bilatéraux et mondiaux.
Notre coopération, y compris commerciale, s’oriente autour de plusieurs axes majeurs :
La lutte contre la crise climatique. Elle concerne aujourd'hui la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la décarbonation de l'économie, le réchauffement et l’acidification des océans, la protection de la biodiversité. Ces questions sont vitales pour l’humanité, et notre coopération bilatérale doit évidemment bénéficier de développements continus en cohérence avec les recommandations de l’ONU : atténuation, protection, restauration et adaptation.
Le développement de partenariats stratégiques dans les secteurs du nucléaire civil, de l'aéronautique, de l'agriculture et des sciences, en particulier médicales. Là encore, selon moi, la coopération bilatérale pourrait s'intensifier via des réponses politiques, commerciales ou académiques – ceci dans un esprit de réciprocité entre nos deux pays.
Par ailleurs, de nombreux projets culturels entre la France et la Chine sont en cours : patrimoine, architecture, musique, spectacles, cinéma. Tous ces domaines sont autant d’exemple de la diversité et de la créativité de nos liens.
Mais ce qui fait finalement la force de notre relation, c’est son ancrage dans la durée et son renouvellement permanent. Tous ces échanges témoignent de réelles dynamiques commerciale, scientifique et culturelle entre nos deux pays qu’il conviendra d’accroître avec le temps.
Nouvelles d’Europe : Vous avez une riche expérience à l'étranger, en quoi ces expériences affectent-elles votre perception de la politique française ? Que pensez-vous du fait que tous les candidats présidentiels se disent gaullistes mais qui ne prennent qu’une partie du gaullisme ?
Nathalie de Gaulle : Il est vrai que j’ai beaucoup voyagé bien que restée très proche de mon pays. Le gaullisme fait partie de l’histoire française contemporaine. Le général de Gaulle est en quelque sorte tombé dans le domaine public : tout le monde reconnaît aujourd’hui le rôle éminent qu’il a joué et essaye de se conformer à cette fameuse « certaine idée de la France ».
Il est possible que certains Français soient nostalgiques du rôle prépondérant dont jouissait notre pays à l’époque du général de Gaulle, mais les grands équilibres mondiaux ont changé pour donner naissance au monde multipolaire qu’il avait pressenti.
Au-delà de l’agenda électoral, je crois que l’héritage du gaullisme perdure à la fois dans les institutions françaises de la Ve République et dans la volonté d'une France forte au sein d'une Europe indépendante.
Nouvelles d’Europe : Compte tenu des défis liés à l'épidémie, comment pensez-vous que le multilatéralisme sera affecté ? Quels seront les principaux défis de la coopération internationale ?
Nathalie de Gaulle : Les défis que devra résoudre l’humanité au XXIe siècle sont immenses et nécessitent la coopération de tous.
Outre la crise climatique et la perte de la biodiversité déjà évoquées, d’autres menaces nous guettent : pénurie de ressources et d'énergie, problèmes d'accès à l'eau, crise sanitaire, conflits armés, rôle de l’intelligence artificielle – le tout sur fond de changement démographique sans précédent.
Tous les pays y seront confrontés, quelles que soient leurs positions géographiques. Qui peut croire que les réponses globales se trouveront dans l'égoïsme des nations prévoyant d'agir selon leurs propres intérêts, sans égard pour les autres États, et en dehors des cadres multilatéraux ?
La coopération internationale est imparfaite, mais indispensable. Les pays peuvent ne pas être d'accord, mais des réponses systémiques sont nécessaires pour relever les défis mondiaux qui nous attendent. Tout doit être fait pour que les institutions multilatérales puissent travailler avec lucidité, pragmatisme et efficacité.
De ce point de vue, des initiatives comme les Accords de Paris sur le climat, les conférences Biodiversité ou les actions ACT-A de l'OMS sur la pandémie vont dans le bon sens. Ce sont des atouts essentiels pour construire une vision globale menant à un monde meilleur. Cela doit être fait dans un esprit de coopération égalitaire et doit favoriser l’intensification des partenariats public-privé.
Nouvelles d’Europe : Comment la tension entre la Chine et les États-Unis affectera les perspectives de coopération Chine-UE/Chine-France ? Même s’il n'y a pas de conflit d'intérêt fondamental entre la Chine, l'Europe/la France, pourquoi la théorie de la menace chinoise prévaut-elle toujours ? L’« autoritarisme » est-il complètement indésirable ? Est-ce que certains sujets de débats/propositions par les candidats présidentiels appellent-t-ils au retour de l’« autoritarisme » dans une certaine mesure ?
Nathalie de Gaulle : Nous sommes tous dans l’attente d’un monde apaisé pour mieux appréhender les défis qui seront les nôtres. Il est courant d’entendre parler du « piège du choc des civilisations », et il convient bien sûr de l’éviter. Seul un dialogue continu, lucide et de bonne foi peut conjurer les craintes actuelles nées de la tension entre ces deux très grandes puissances.
Dans ce contexte, les échanges féconds et permanents entre la Chine et l’Europe sont plus que jamais nécessaires, échanges parallèles et complémentaires de l’indispensable relation directe entre Pékin et Paris.
Les plus grands défis sont devant nous et tous les États vont devoir jouer « collectif » sans céder à une théorie de la menace. Nous avons la nécessité de maintenir un esprit d’entraide et de réciprocité, car les prochaines décennies vont être cruciales à l’Ouest comme à l’Est.
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