
[La Chine et ses voisins] Madagascar : un carrefour incontournable de l'océan Indien
Dès 1958, un Consulat général de la République populaire de Chine a été ouvert à Tananarive, élevé au rang d’ambassade en 1960. Les deux pays ont plus récemment établi un partenariat global de coopération, et les deux parties ont signé un Mémorandum d'entente sur la promotion conjointe des Nouvelles Routes de la soie. Depuis 2015, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de Madagascar. La présence d’une diaspora chinoise déjà ancienne et les potentialités de l’île ont accru l’intérêt de Pékin pour cette région de l’ouest de l’océan Indien où se concentre un tiers du commerce international. Avant la pandémie de coronavirus (Covid-19), l’économie malgache se trouvait sur une trajectoire ascendante. Après une longue période d’instabilité politique et de marasme économique, la dynamique s’est accélérée depuis cinq ans, pour atteindre en 2019 un taux de croissance estimé à 4,8 %, un niveau inédit depuis dix ans. En contribuant à restaurer la confiance des investisseurs, rouvrir l’accès aux marchés d’exportation, renouer avec les apports de financements concessionnels et lancer des réformes structurelles, le retour à l’ordre constitutionnel et la transition politique pacifique lors des dernières élections ont joué un rôle déterminant dans cette reprise. Ces tendances positives se sont également traduites par une amélioration de la situation sur le marché du travail et un recul de la pauvreté même si, selon les estimations, 75 % de la population vivaient toujours sous le seuil international de pauvreté de 1,90 dollar en 2019 — un taux nettement supérieur à la moyenne régionale de 41 %. Dans ce cadre, le commerce entre la Chine et Madagascar a atteint 930 millions de dollars en 2020, soit 18,1 % du commerce extérieur total de Madagascar.
Îles Éparses
Une histoire ancienne
On les appelle des Sinoa Gasy (littéralement « Chinois malgache ») dans la langue malgache, ces métis issus pour beaucoup de familles cantonaises contraintes à se déplacer plus à l’ouest tandis que l’immigration chinoise hakka s’établissait sur les îles de la Réunion et de Maurice. Ils représentent 0,1 % de la population totale qui, elle, atteint les 27 millions d’habitants. Beaucoup d’hommes d’affaires ayant réussi leur implantation, parfois antérieure au XIXe siècle, jouent un rôle essentiel dans la diplomatie informelle et en tant que médiateurs entre les nouveaux entrepreneurs chinois et les autorités malgaches. La nomination du Dr Hui Chi Ming, milliardaire influent, en tant que Consul honoraire de Madagascar à Hongkong sous l’ancienne présidence (2002-2009) de Marc Ravalomanana, et la participation active encore à ce jour de cet homme influent dans les affaires économiques de l’île montre l’importance de ces relations de réseau. En termes de réalisations, et parmi les plus visibles, l’aéroport d’Ivato, la route (RN 2) reliant Moramanga (ancien épicentre de l’insurrection malgache en 1947 contre la puissance coloniale française) à Andranonampango, la construction du centre hospitalier universitaire d’Anosiala (CHU) ou le développement de la mission médicale chinoise constituent les projets phares réalisés depuis ces dernières décennies avec l’aide de la Chine.
Pékin a également apporté son expertise pour améliorer le secteur agricole malgache par l’amélioration de la culture du riz avec des semences hybrides ou la promotion de l’agrobusiness. La relation culturelle n’a pas été oubliée puisqu’en novembre 2008 a été inauguré un Institut Confucius, le cinquième en Afrique après ceux du Kenya (2004), du Rwanda (2005), du Zimbabwe et de l’Égypte (2006). Mais en réalité, les entreprises chinoises sont actives et présentes dans tous les secteurs économiques de l’île : agriculture (où les opérateurs chinois ont tissé un solide réseau de collecte pour l’exportation vers la Chine – épices, vanille, girofle, café, cacao, bois... et distribuent des matériels agricoles fabriqués en Chine) ; pêche (la China National Fisheries Corp. – CNFC – a ainsi annoncé dans le secteur de la pêche à la crevette, il y a déjà plus de dix ans, la prise de contrôle de Somapêche qui appartenait au japonais Maruha Group depuis 40 ans) ; l’énergie ; le ciment ; le pétrole ; les mines et gisements de fer comme à Soalala (la plus importante réserve du pays) exploitée par le consortium chinois Wuhan Iron and Steel Corporation (WISCO) ; le textile enfin. Sans compter l’exploitation, le plus souvent opaque, du bois de rose et les domaines sucriers.
Vers un engagement durable de la Chine dans cette région du monde
La présence chinoise dans le domaine de la coopération n’est pas nouvelle, mais Pékin a su renouveler et diversifier son aide à Madagascar en utilisant différents instruments (assistance technique, prêts bonifiés...). Surtout, l’île se trouve à un carrefour stratégique et la présence de la Chine dans l’océan Indien nécessite de nombreux relais. Pour la Chine, il est crucial d’être présent dans la région par laquelle passent les routes maritimes reliant l’Asie orientale au Moyen-Orient et à l’Afrique pour l’accès aux matières premières (pétrole et ressources minières) ainsi que vers l’Union européenne, un des principaux marchés d’exportation des biens manufacturés Made in China. L’océan Indien est de fait devenu le centre de gravité des échanges maritimes et de la croissance mondiale. Pour Madagascar, pays le plus asiatique de l’Afrique, il s’agit là d’une opportunité. Ici, plus qu’ailleurs, la maritimisation des enjeux économiques a profondément modifié les équilibres géopolitiques créant et entretenant des risques et menaces transnationales allant du terrorisme à la piraterie, des flux criminels aux atteintes à l’environnement et à la biodiversité. Le déficit de sécurité maritime s’explique en partie par la faiblesse structurelle des forces navales malgaches et jusqu’à très récemment une quasi-absence de coopération régionale dans le domaine maritime.
Les entreprises chinoises sont actives et présentes dans tous les secteurs économiques de l’île : agriculture, pêche, énergie, ciment, pétrole, mines et gisements de fer, et le textile enfin.
Madagascar possède 5 000 kilomètres de côtes, 111 120 km2 de mer territoriale et environ un million de ZEE, soit une opportunité inestimable de positionnement en termes de stratégie maritime. Malgré ces différents atouts, la marine constitue visiblement le talon d’Achille de l’armée malgache et ses forces navales semblent rencontrer des difficultés à imposer une crédibilité d’action offensive en stratégie maritime dans l’océan Indien. Le don fait par la Chine de deux vedettes patrouilleurs, en 2017, coïncide sans doute pour Madagascar avec une volonté d’amorcer une politique de défense davantage portée sur la maîtrise de son immense espace maritime. Le contentieux qui l’oppose à la France concernant les îles Eparses, situées plus au nord, montre toutefois son incapacité pour l’heure à s’imposer par la force dans ce domaine. Plus généralement, après son indépendance en 1960, Madagascar a tourné le dos aux routes maritimes avec le continent africain et les autres îles de l’océan Indien se sont rétrécies avec l’avion, et la fourniture par containers des biens de consommation. Aussi pour rattraper son retard, Madagascar mise désormais davantage sur une politique d’intégration et de coopération maritime tous azimuts.
En témoigne la mise en place sur son territoire, depuis 2019, du CRFIM, ou Centre régional de fusion d’informations maritimes. Complété par le Centre de coordination opérationnelle basé aux Seychelles, il offre désormais à Madagascar un rôle central et international dans les opérations de surveillance maritime. Il s’intègre par ailleurs pleinement dans la Stratégie maritime intégrée africaine 2050 (Africa’s Integrated Maritime Strategy) dont le cadre des activités globales vise pour la Chine, comme pour d’autres acteurs régionaux, telle que l’Inde, d’assurer une sécurité globale pour le libre acheminement du fret et la lutte contre la pollution des espaces maritimes. Madagascar joue un rôle de pont entre le programme des Nouvelles Routes de la soie et le continent africain. Ce pays occupait déjà̀ une place importante dans la route de la soie antique en raison de sa position stratégique dans l’océan Indien. Avec la récente découverte d’un gisement considérable de gaz exploitable dans le canal du Mozambique, Madagascar, située à moins de 400 kilomètres du continent africain pourrait à terme devenir un hub régional de première importance. Cette découverte constitue une opportunité de développement, mais aussi un risque sans précédent. Le gisement est évalué en 2012 à 441,1 mille milliards de mètres cubes de gaz naturel et 13,77 milliards de barils de gaz naturel liquide, soit l’équivalent des réserves de la mer du Nord ou du golfe Persique. Il est identifié à Madagascar et aux Seychelles tandis qu’au Mozambique et en Tanzanie il est déjà en phase de production. En termes de megatrend, ce sont les énergies renouvelables qui ont la faveur des marchés financiers. Dans les prochaines décennies, elles pourraient atteindre environ 30 % du mix énergétique. Le gaz, présenté comme une « énergie propre », pourrait prendre une valeur d’énergie de transition dans ce mix. Signe des temps : la compagnie française Total y investit massivement. Du point de vue de la régionalisation dans la mondialisation, cette institutionnalisation par la maritimisation se confirme. L’émergence économique de l’Afrique du Sud y est l’un des moteurs de l’émergence énergétique mozambicaine, par exemple. Les investissements de la route de la soie maritime chinoise passent depuis quelques années par le Mozambique et la Tanzanie. Madagascar, dans cette interaction régionale, se retrouve une fois de plus au centre des préoccupations géostratégiques de cette région du monde. Une réalité qui n’a pas échappé à l’œil de Pékin...
Emmanuel LINCOT est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.
Photo : baobabs à Madagascar © Rod Waddington, cc-by-2.0 via flickr
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