[Géopolitique] Chine – Afrique orientale : une coopération renforcée

1647857036980 Le 9 Emmanuel Lincot
En janvier dernier, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi s’est rendu successivement en Erythrée, au Kenya et aux Comores. Une façon pour la Chine d’enraciner sa présence et d’apporter une aide financière d’autant plus cruciale que la région est convoitée par d’autres puissances. Moins de cinq semaines après le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) à Dakar (Sénégal), lors duquel Pékin s’était engagé à fournir un milliard de doses de vaccins contre la Covid-19 et avait promis dix milliards d’investissements des entreprises chinoises en Afrique, Pékin se tourne donc vers l’Afrique orientale et accroît ainsi ses velléités géopolitiques sur le continent.

Un intérêt sécuritaire et commercial

Le barrage du Thwake, sur la rivière Athi au Kenya est l’un des plus gros projets hydroélectriques entrepris par le gouvernement kenyan. Les travaux sont assurés par une entreprise chinoise, le China Gezhouba Group. © TANG Yazhou/Xinhua

La détérioration de la situation sécuritaire dans la Corne de l’Afrique inquiète Pékin. Et cette visite diplomatique (la première de l’année), indique la préoccupation des dirigeants chinois pour la stabilité de cette partie du monde. La Chine y a de vastes intérêts, avec des mégaprojets d’infrastructures comme la ligne Monbasa-Malaba au Kenya ou encore le train reliant Djibouti à l’Éthiopie mais aussi des autoroutes, des centrales électriques et autres contrats signés dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la soie. L’intérêt stratégique de la région est évident : un accès garantissant les voies de passage maritime entre la mer Rouge et l’océan Indien qui s’est caractérisé en 2017 par l’aménagement d’une base militaire chinoise à Djibouti en 2017. La Chine entend par ailleurs contribuer à l’édification d’un « bouclier sanitaire » des pays en développement, pour parler le langage de Wang Yi et partant, renforcer la coopération entre la Chine et le continent africain dans la production de vaccins. Des projets de fabrication de vaccins sont ainsi prévus, au-delà même de cette région orientale du continent, en Égypte, au Maroc, en Algérie voire au Nigéria. L’Union africaine s’est fixé pour objectif de vacciner 60 % du continent d’ici la fin de cette année, notamment via les vaccins chinois et ce, malgré l’incertitude Omicron sur le nombre de doses de rappel nécessaire pour se protéger de la maladie. L’équation est connue. La Corne de l’Afrique fait appel aux Chinois pour construire et financer les infrastructures. Résultat : le commerce bilatéral a explosé, tout comme la dette des pays envers Pékin.

Des économistes craignent une spirale menant au défaut de paiement. Cependant, les cas de l’Éthiopie et du Kenya, principales locomotives de la région, montrent une très forte résilience. Ainsi, et même si l’Éthiopie a une forte dette, le pays bénéficie d’une aide importante au développement et de partenaires variés avec les pétro-monarchies. Enfin aucun signe ne montre un affaiblissement de sa souveraineté. Même constat pour le Kenya qui, malgré sa dette, sait aussi pouvoir recourir à plusieurs leviers : dynamisme, lutte contre le terrorisme, position maritime  stratégique. Le cas de Djibouti inquiète davantage et est assez symptomatique d’une décrue des investissements chinois observable sur l’ensemble du continent. Les banques chinoises sont devenues prudentes voire réticentes à s’engager sur le continent et les investissements réalisés dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie ont fondu, passant de 11 milliards de dollars en 2017 à 3,3 milliards en 2020. Il n’en reste pas moins un fait majeur : avec 200 milliards de dollars par an, la Chine est incontestablement le premier partenaire commercial de l’Afrique. Son premier créancier aussi et ses entreprises de BTP sont omniprésentes. Elles captent désormais les grands chantiers d’infrastructures. L’Afrique orientale n’échappe pas à ce constat général et même si l’Union européenne ou les États-Unis entendent y répondre respectivement au moyen de leur Global Gateway ou de leur Build Back Better (littéralement : « Reconstruire en mieux ») que le Secrétaire d’État Anthony Blinken appelle plus particulièrement de ses vœux, la Chine demeure, dans les faits, encore loin devant ses concurrents occidentaux.

Un carrefour stratégique

Négociant en café : Zhang Renquan est l’un de ces nombreux jeunes Chinois qui ont quitté leur pays pour travailler en Afrique de l’Est. Après avoir renoncé à son job dans une compagnie chinoise et ouvert un restaurant au Kenya, il s’est reconverti dans l’exportation de café. © LONG Lei/Xinhua

Être présent pour Pékin dans cette région revient à concrétiser son souhait de s’assurer un accès aux routes maritimes reliant l’Asie orientale au Moyen-Orient et à l’Afrique. La Corne de l’Afrique bordant l’Océan Indien et ayant pour prolongement stratégique Madagascar, là même où Pékin investit d’une manière conséquente, cette présence est une façon pour la Chine de sécuriser ces accès par où transitent les matières premières (pétrole et ressources minières) qu’elle achète, et les biens manufacturés qu’elle vend à l’Union européenne, laquelle représente l’un de ses principaux marchés d’exportation. Cette région du monde – et l’océan Indien qui y conduit – est, de fait, devenue l’un des centres de gravité des échanges maritimes et de la croissance mondiale. L’engagement de Pékin vis-à-vis de l’Éthiopie (qui est à ce jour la première destination des travailleurs expatriés chinois (94 519 individus)) ou de l’Érythrée, l’un des rares pays de la zone ayant avec Pékin un excédent commercial, et que la Chine soutient en dépit des sanctions occidentales et en raison de son implication dans la guerre du Tigré, va dans le sens d’une sanctuarisation des intérêts chinois pour la zone. L’annonce faite par Wang Yi de nommer un envoyé spécial chinois pour la Corne de l’Afrique (comme il en existe au Moyen-Orient) marque la volonté pour la Chine de s’impliquer diplomatiquement bien davantage encore. Le ministre chinois a exprimé par ailleurs lors de sa tournée africaine sa plus ferme opposition aux sanctions américaines à l’encontre de l’Érythrée et aux interférences « dans les affaires internes d’autres pays sous prétexte de la démocratie et des droits humains ».

Au Kenya, la Chine était attendue sur le très sensible sujet des prêts accordés. Alors que des élections, dont la présidentielle, doivent avoir lieu en 2022, l’opposition et les organisations de la société civile sont vent debout contre le gouvernement, accusé d’avoir massivement emprunté à la Chine. Ils fustigent l’opacité entourant ces prêts. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, le président Uhuru Kenyatta a donné la priorité à la construction d’infrastructures telles que les routes et les voies ferrées, ce qui a impliqué un montant important d’emprunts. Pour ce pays situé au nord du détroit de Mozambique et des gisements considérables de gaz que la France notamment serait amenée à exploiter, le partenariat avec Nairobi s’impose comme une évidence. Nairobi est en effet considérée comme le hub numérique d’Afrique de l’Est, et l’une des capitales les plus dynamiques dans le domaine de l’innovation sur le continent, aux côtés de Lagos et de Cape Town. Ce positionnement s’explique d’abord par des success stories historiques à l’image de MPesa, pionnier dans le secteur des transferts monétaires via la téléphonie mobile. Chaque seconde, environ 900 transactions sont réalisées par ce moyen au Kenya, qui voit transiter 68 % des transactions monétaires du pays. Plus largement, le Kenya dispose d’un véritable écosystème de start-ups : on compte 108 incubateurs dans la seule ville de Nairobi. Les jeunes entrepreneurs sont en effet à l’avant- garde de cette mutation. La majorité cherche à mettre en place des solutions tech qui capitalisent sur les multiples défis du pays et sur les opportunités qui en découlent. Le Ministre Wang Yi s’est enfin rendu aux Comores avant d’entamer, cette fois, une tournée aux Maldives et au Sri Lanka. Symboliquement, les nouveaux bâtiments de l’Assemblée nationale de l’Union des Comores, maintenant situés « avenue de la République populaire de Chine », ont reçu le chef de la diplomatie chinoise. Wang Yi a rappelé que les Comores bénéficiaient à la fois du Focac, de la relation bilatérale privilégiée et de la coopération sino-arabe du fait de l’appartenance de l’archipel à la Ligue des pays arabes. La Chine est disposée à s’aligner sur la stratégie du « Plan Comores émergentes à l’horizon 2030 » et à aider les Comores à réaliser un plus grand développement, a déclaré le ministre chinois, et dont les objectifs rejoignent au-delà des Comores, le dynamisme régional. Une manière là encore d’ouvrir des perspectives tant sur le plan bilatéral que multilatéral.

Emmanuel LINCOT est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.

Photo du haut : Une girafe se pavane près de Nairobi. Alexmbogo, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons.

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