Zhu Feng : « Les États-Unis et la Chine devraient renouer avec l’histoire et la “diplomatie du ping-pong” »

1647941500265 China News Luo Haibing
Il y a 50 ans, le 21 février 1972, le président américain Richard Nixon se rendait à Pékin pour une poignée de main qui allait changer la face du monde. Grâce à la vision stratégique et la sagesse de leurs dirigeants, la Chine et les États-Unis ont alors tourné le dos à plus de 22 ans de tensions diplomatiques. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, les deux pays sont de nouveau confrontés à des défis majeurs. L’histoire peut-elle les inspirer pour les aider à surmonter leurs divergences ? C’est la question à laquelle cherche à répondre Zhu Feng, spécialiste en sécurité internationale et doyen exécutif de l’École des relations internationales de l’Université de Nanjing, dans une interview donnée à China News.

China News Service : Au terme de leur entrevue, les États-Unis et la Chine ont publié le « communiqué de Shanghai », normalisant ainsi leurs relations. Pourquoi les deux pays ont-ils si soudainement tourné le dos à un différend qui avait duré 22 ans, de 1949 à 1972 ?

Zhu Feng : L’initiative du président Nixon était basée sur le contexte de la guerre froide que les États-Unis menaient contre l’Union soviétique. Les États-Unis faisaient face à un remaniement des forces à l’échelle internationale. En avril 1971, une délégation américaine, une équipe de ping-pong, s’est donc rendue en Chine. C’est alors que nos deux pays ont entamé l’épisode de la « diplomatie du ping-pong ». Ensuite, Henry Kissinger, alors conseiller à la sécurité nationale de l’administration Nixon, a lui aussi fait le déplacement à Pékin, ce qui a permis d’établir des contacts officiels et de préparer la visite du président américain.

Richard Nixon et Zhou Enlai, PM chinois d'alors © Wikimedia Commons

CNS : On dit souvent que la semaine de la visite de Nixon en Chine a changé la face du monde. Dans quelle mesure peut-on affirmer cela ?

Z. F. : La Chine et les États-Unis s’étaient déjà rencontrés à plusieurs reprises avant la visite du président américain en 1972. D’abord sur les champs de bataille de la guerre de Corée, au Vietnam, mais aussi dans le détroit de Taïwan. Ils étaient donc de vieux ennemis. Pourtant, le réalisme et le pragmatisme de nos dirigeants ont permis à nos deux pays de trouver la voie de la réconciliation et du développement de leurs relations. L’idée fondamentale est que la diplomatie des grandes puissances doit toujours s’appuyer sur les intérêts nationaux et sur l’évolution de la situation stratégique internationale. Les grandes puissances doivent associer leurs forces. Elles doivent mettre en place un modèle stratégique à la mesure de leur développement et jouer un rôle positif dans la promotion de la paix, de la stabilité et du développement mondial. La poignée de main entre la Chine et les États-Unis en 1972 signifie que nos deux pays ont su mettre de côté leur différend idéologique et géostratégique pour incarner leur rôle de grande puissance.

CNS : Le communiqué de Shanghai a servi de boussole aux relations sino-américaines pendant plus de 50 ans. Comment la Chine et les États-Unis peuvent-ils s’inspirer de l’histoire pour résoudre leurs différends aujourd’hui ?

Z. F. : Entre 1979 et aujourd’hui, nos deux pays ont normalisé leurs relations. La Chine et les États-Unis sont désormais respectivement la seconde et la première puissance économique mondiale, leur partenariat commercial figure lui aussi au premier plan, tandis que les échanges humains et sociaux sont également très dynamiques. 30 ans après la fin de la guerre froide, la stabilité et le développement à l’échelle internationale est largement liée à la coopération sino-américaine. Aujourd’hui, les relations sino-américaines doivent composer avec de nouveaux défis. Ce fut notamment le cas avec l’administration de Donald Trump, qui considérait la Chine comme le plus grand adversaire stratégique des États-Unis. Donald Trump et son administration avaient alors accru la pression sur notre pays dans de nombreux domaines, une politique qui a eu des conséquences jusqu’à aujourd’hui. Ce qui compte désormais, c’est de ne pas céder à une vision dramatique et simpliste d’un « complot » chinois ou américain. Nos deux pays doivent renouer avec la responsabilité et la vision stratégique que leurs dirigeants avaient adoptées à l’époque.

Richard Nixon participe à un événement dédié au ping-pong en Chine © Wikimedia Commons

CNS : Dans l’avenir, la compétition entre les États-Unis et la Chine va se renforcer. Comment nos deux pays pourraient-ils poursuivre leur coopération ?

Z. F. : Finalement, je pense qu’il faut toujours en revenir à l’histoire. La raison fondamentale qui a permis d’obtenir des résultats significatifs lors de la poignée de main entre Richard Nixon et Mao Zedong, c’est le respect mutuel. Les États-Unis sont la première puissance mondiale, et la Chine a une histoire vieille de 5 000 ans. Peu importe ce qui nous sépare sur le plan idéologique, à l’heure où le monde forme une communauté plus que jamais inséparable, les États-Unis et la Chine doivent puiser dans la sagesse de l’histoire et trouver une direction future, de sorte que la coopération « gagnant-gagnant » reste le maître mot de nos relations. Enfin, quelles que soient les divergences actuelles, la Chine et les États-Unis doivent toujours privilégier la voie du dialogue, et s’abstenir de s’adonner à la manipulation concernant des sujets qui font partie de nos intérêts vitaux respectifs. Ainsi, sur la question de Taïwan, les États-Unis devraient adhérer au principe fondamental de la « politique d’une seule Chine ».

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut © CNS

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