[Géopolitique] Chine – Brésil : des enjeux multiples

1657619249176 Le 9 Emmanuel Lincot

Principal partenaire commercial, la Chine s’est imposée comme l’un des partenaires de choix du Brésil. Ainsi, en 2018, 26,7 % des exportations du Brésil étaient destinées au marché chinois tandis que les importations en provenance de Chine comptaient pour plus de 19 % de ses importations totales. Ce sont d’abord les produits agricoles brésiliens qui ont bénéficié de la décélération des échanges sino-américains. Les acquisitions de soja brésilien ont représenté en moyenne plus de 50 % de la moyenne nationale. En 2020, les achats de minerais de fer brésilien ont porté sur place près de 60 % de la production domestique. Par ailleurs, 26 % de la production brésilienne de pétrole a été exportée vers la Chine. Au-delà même de ces intérêts économiques, les deux États souscrivent à la politique des BRICS et une certaine idée de la multipolarité qui, pour le Brésil et les pays lusophones telle que la Guinée-Bissau, passent par un intérêt et une communauté de partage qui nous conduisent jusqu’à Macao et le littoral chinois. 

Des relations prometteuses mais inégales 

Les relations sino-brésiliennes ont été établies en 1974 pour se développer après 1993 et le voyage officiel de Jiang Zemin, président de la République populaire de Chine (1993-2003), qui signa à l’occasion un accord de « partenariat à long terme et stable », le premier de ce type signé par la RPC dans le droit fil de sa diplomatie : non-ingérence, égalité, bénéfice mutuel. Exportations ou importations, la Chine est déjà le principal partenaire commercial de son pays, selon les chiffres du ministère brésilien du Commerce. Le volume des échanges bilatéraux représentait quelque 100 milliards de dollars en 2018 et l’investissement de la Chine au Brésil est estimé à 60 milliards de dollars. En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, les importations de produits agricoles américains en Chine ont, elles, chuté de 19,5 milliards de dollars en 2017 à tout juste 9 milliards en 2018. Ce qui a créé un déficit de produits-clés comme le soja. Le Brésil en a profité : il représente désormais la plus grande source d’importation de soja pour la Chine. Pour autant, Washington veille scrupuleusement, en poursuivant ses pressions sur l’administration Bolsonaro, à ce que les appels d’offres sur la 5G ne soient monopolisés par Huawei non plus que le Brésil n’adhère pleinement au projet des Nouvelles Routes de la soie. Quoi qu’il en soit, plusieurs analystes, telle Danielly Ramos Becard, estiment que l’interdépendance entre Chinois et Brésiliens est devenue trop asymétrique, et ce en faveur de la Chine, que ce soit dans les négociations commerciales au travers du prisme typique des traditionnelles relations Nord-Sud ou bien via l’établissement d’un agenda prioritaire de coopération et investissement répondant surtout aux besoins chinois. 

Le Brésil en a profité : il représente désormais la plus grande source d’importation de soja pour la Chine. 

Pour autant, une coopération cruciale a été engagée entre les deux États dans l’utilisation des technologies de pointe, et notamment dans le domaine spatial. Le Centre Chine-Brésil sur le changement climatique et les technologies novatrices en matière d’énergie a été par ailleurs créé en janvier 2009 à partir de la coopération technologique et universitaire entre l’Université fédérale de Rio de Janeiro (Coppe / UFRJ) et celle de Tsinghua. Le partenariat est focalisé sur l’étude du changement climatique et des technologies appliquées à l’énergie. Les projets de ce centre binational sont relatifs aux biocarburants, à la capture et au stockage du carbone et aux technologies en eau profonde. C’est aussi en matière de recherche agricole et sur les ressources biogénétiques que les deux pays coopèrent. Les domaines militaires mais aussi de coopération aéronautique sont par ailleurs importants. Afin de promouvoir un dialogue de haut niveau et de produire des documents d’orientation, des instances entre les deux pays ont été créées : le Dialogue financier Brésil-Chine (2008), le Dialogue entre divers acteurs entrepreneuriaux à partir de la création du Conseil économique Brésil-Chine (CEBC), quatre ans plus tôt. Mais plus fondamentalement, la coopération entre Brasilia et Pékin apparaît encore plus évidente au niveau multilatéral dans le cadre des BRICS. 

Les BRICS et la coopération multilatérale 

Cet acronyme désigne un groupe de pays composé depuis 2011 du Brésil, de la Fédération de Russie, de l’Inde, de la République populaire de Chine et de la République d’Afrique du Sud. Ensemble, ces pays représentent plus de 40 % de la population de la planète et 27 % du PIB mondial. Constitués au départ des quatre premiers États précités, ils avaient pour vocation en tant qu’émergents de faire contrepoids au G8 (dont la Russie faisait pourtant déjà partie). Avant la pandémie de la Covid-19, il était estimé que leur poids économique dans la croissance mondiale passerait de 20 % en 2003 à 40 % en 2025. Selon les estimations, les BRICS seraient à l’origine de plus de 50 % de la croissance mondiale au cours des dix dernières années. Quatre des cinq BRICS font partie des dix premières puissances économiques mondiales (Brésil, 7e, Russie, 8e, Inde 10e et Chine 2e). L’Afrique du Sud, première puissance du continent africain, est elle aussi classée parmi les 30 plus importantes économies de la planète (29e rang). Dès 2011, la Chine détrône le Japon pour se hisser au rang de deuxième puissance économique mondiale. Elle devance même les États-Unis et devient la première puissance économique mondiale en PIB PPA (parité de pouvoir d’achat). La croissance annuelle à deux chiffres que la Chine connaît plusieurs décennies durant joue largement en sa faveur et plaide pour la création autour d’elle non plus d’une simple alliance économique, mais bel et bien d’un groupe de puissances dont les ambitions sont devenues politiques, notamment celle de concurrencer les grandes institutions internationales occidentales. Véritable force de propositions, Pékin a invité l’Afrique du Sud à rejoindre les BRICS pour deux raisons au moins : l’ouverture sur les marchés africains, l’accès aux matières premières dont les pays des BRICS ont besoin pour maintenir leur croissance mais aussi en vue d’accroître le fonds de réserve d’une banque de développement. 

Carnaval à Rio, avril 2021. © Xinhua

Symboliquement, son siège est à Shanghai. Plus généralement, les BRICS sont favorables à une refondation des organisations internationales comme le Conseil de Sécurité de l’ONU et les organisations de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) au nom d’une certaine multipolarité à laquelle chacun de ces États est attaché. Le recours à un étalon monétaire autre que le dollar est très largement partagé par les États membres. Des transactions en yuan entre le Brésil et la Chine ont été ainsi entreprises. Pour autant, certains de leurs intérêts divergent. C’est ainsi que la Chine refuse de soutenir le Brésil dans sa revendication en vue d’obtenir un siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Lors du 11e sommet des BRICS qui s’est tenu à Brasilia, en 2019, le président Bolsonaro n’a pas hésité à dire que la Chine faisait de « plus en plus partie de l’avenir » de son pays. Par ailleurs, les différends frontaliers qui opposent l’Inde à la Chine obèrent l’état de leur coopération multilatérale. Certains évoquent désormais sous l’acronyme de BRIICS l’intégration de l’Indonésie. Ce pays de plus de 250 millions d’habitants représente un marché considérable et affiche depuis des années un taux de croissance annuel de plus de 6 %. La viabilité de cette organisation a été plus d’une fois pointée du doigt. Non seulement parce que les économies russe et brésilienne stagnent mais aussi parce que la Chine connaît depuis la pandémie de la Covid-19 un ralentissement significatif de sa croissance. Son économie étant basée sur les exportations vers des pays de moins en moins portés sur la consommation, ce modèle alternatif né de la globalisation risque de traverser dans les années à venir une longue période de crise. Pourtant, cette alliance pourrait faire l’objet d’une résilience. Elle dispose de ses fonds propres et peut bénéficier d’une aide conséquente en provenance de la Banque Asiatique des Investissements pour les Infrastructures (BAII). Il est probable même qu’après la guerre en Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine veuille rompre l’isolement de son pays consécutif aux sanctions économiques occidentales. Les BRIICS constituent en cela un atout non négligeable dans leur association au projet Belt and Road Initiative (BRI) que Pékin aura sans doute à cœur de relancer. 

Emmanuel Lincot est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.

Photo du haut : Rio de Janeiro © Pixabay 


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