États-Unis : la construction d’un Musée national de l’histoire et de la culture des Américains d’Asie et du Pacifique marque un tournant dans la lutte pour l’égalité raciale

1665564694067 China News Luo Haibing, Shi Yuanfeng

Au cours du premier semestre 2022, les deux chambres du Congrès américain ont adopté la « Commission pour étudier le potentiel de création d’un Musée national de l’histoire et de la culture des Américains d’Asie et du Pacifique » (H.R. 3525). Le 13 juin, Joe Biden a signé le projet de loi. 

Zhao Xiaojian, professeur à l’Université de Californie Santa Barbara (UCSB) et spécialiste émérite des études asio-américaines, a expliqué dans une récente interview accordée à China News que la communauté asiatique a une longue histoire aux États-Unis et que la création de ce musée est très significative dans le contexte politique actuel.

Historiquement, quelles sont les points communs et différences entre les Asiatiques et les quatre autres groupes ethniques présents aux États-Unis ?

Aux États-Unis, les Asiatiques constituent un groupe de personnes de couleur. La définition des personnes de couleur dépend de deux aspects : l’origine de la population, la race et la couleur de peau d’une part, la construction sociale d’autre part.

Contrairement aux Afro-américains et aux Amérindiens, le concept d’Asio-américains ne dépend pas entièrement de la race et de la couleur de peau. Ce groupe ethnique est originaire d’Asie de l’Est, du Sud-Est et du Sud et possède différentes langues et cultures. Les premiers chercheurs qui ont étudié la notion de race ont classé les Sud-Asiatiques (qui étaient auparavant considérés comme des Indiens) comme appartenant à la race caucasienne, et non comme la dénommée race jaune, représentée par la race mongole.

Le concept d’Asio-américains peut être appréhendé en termes de construction sociale. Avant 1970, le gouvernement américain classait les Indiens dans la catégorie raciale blanche, et ce n’est que plus tard qu’il les a définis comme Asiatiques. Les immigrés d’Asie du Sud ont toujours été discriminés et exclus, de la même manière que les immigrés d’Asie de l’Est. Cela explique pourquoi les Asio-américains aux États-Unis sont plus facilement définis du point de vue de personnes de couleur. Chaque personne de couleur a une histoire unique aux États-Unis. Les Asiatiques ont immigré aux États-Unis au milieu du XIXe siècle, lorsque l’esclavage touchait à sa fin. Mais ils n’étaient pas blancs et ont ensuite connu les mêmes injustices extrêmes que les Afro-américains.

Pourquoi les États-Unis ont-ils besoin de créer un Musée national de l’histoire et de la culture des Américains d’Asie et du Pacifique ?

Il existe déjà un Musée national des Indiens d’Amérique et un Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines aux États-Unis. En 2020, le président a signé une loi portant sur la création d’un Musée des Latino-américains. Ce serait une lacune majeure si, parmi les principales minorités ethniques, les Asio-américains n’avaient pas de musée national de l’histoire et de la culture.

Le rôle des Amérindiens et des Afro-américains dans l’histoire américaine ne peut être ignoré et les Américains apprennent leur histoire dès le primaire et le collège. En revanche, l’introduction à l’histoire asio-américaine est très récente. J’ai à peine été exposé à cet aspect lorsque je faisais mon doctorat. Les Américains d’origine asiatique ont une histoire unique et ont apporté une contribution inestimable à la formation de la société américaine. L’expérience des Asiatiques en tant que personnes de couleur aux États-Unis est peu connue, comme les premières oppressions endurées par les Chinois. La Loi d’exclusion des Chinois, adoptée en 1882, limitait explicitement l’entrée des immigrants chinois. Cette loi raciste sur l’immigration a ensuite été appliquée aux Japonais, aux Coréens et aux Indiens, entre autres, jusqu’en 1943, date à laquelle elle a été progressivement abrogée. Encore aujourd’hui, l’intégration des Asio-américains dans la société américaine est limitée. Certaines familles asio-américaines, qui vivent aux États-Unis depuis plusieurs générations, sont toujours considérées comme des « étrangers permanents » et indignes de confiance. Ce n’est pas le cas avec les immigrants blancs d’Europe. Malgré tout, de nombreux Américains, y compris des descendants d’origine asiatique, ignorent ce pan de l’histoire.

Comment se déroule le processus, entre l’adoption du projet de loi et la mise en œuvre du projet ? Combien de temps cela devrait-il prendre ?

Il aura fallu sept ans, entre 2015, date à laquelle la membre du Congrès américain Grace Meng a proposé l’idée d’un Musée national de l’histoire et de la culture des Américains d’Asie et du Pacifique, et la signature de la loi par Joe Biden.

Il y a deux ans, nous avons monté un hall d’exposition sur l’histoire de la Chine au Musée de l’État de Californie. La planification a également pris quatre ou cinq ans après la mise en place du financement et la gestion des problèmes connexes, et ce musée était beaucoup plus petit. Il faudra au moins dix ans pour construire ce musée national.

Outre la création du Musée de l’histoire et de la culture d’Asie et du Pacifique, quelles autres initiatives contribuent au dialogue et à l’intégration entre les différents groupes ethniques aux États-Unis ?

La série de violences et de conflits sociaux survenus ces dernières années illustre la complexité et la persistance des relations raciales aux États-Unis. Étudier l’histoire, comprendre les racines historiques du racisme et de la suprématie blanche, reconnaître les dangers de la haine raciale et des préjugés pour la société est une étape importante pour faire tomber les barrières raciales. Ce que les États-Unis ont réalisé aujourd’hui est le fruit des efforts collectifs de personnes de toutes les races. Les peuples indigènes des Amériques ont vécu sur cette terre pendant 10 000 ans, bien avant la prétendue « découverte du Nouveau monde ». L’oppression et l’exclusion historiques auxquelles ils ont été soumis, à l’instar des Africains, Asiatiques et Hispaniques, ne doivent pas être oubliées. Ce n’est qu’en éliminant les préjugés et la haine à l’encontre des personnes de couleur qu’il sera possible de construire une société véritablement libre, démocratique et harmonieuse.

Depuis le mouvement des droits civiques, dans les années 1960 et 1970, le statut des Asio-américains s’est amélioré et ils ont gagné le titre de « minorité modèle ». Cependant, les préjugés à l’égard des personnes de couleur dans la société n’ont pas évolué. Les stéréotypes, la méfiance et les récents incidents de haine à l’encontre des Asiatiques montrent que l’amélioration du statut social des individus ne garantit pas leurs droits. Les Asio-américains se doivent d’exprimer leurs revendications politiques et de lutter pour l’égalité raciale.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn. 

Photos : Unsplash


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