[Géopolitique] Chine - Angleterre : une relation complexe

1679405225449 Le 9 Emmanuel Lincot

Si le Premier ministre britannique Rishi Sunak annonçait dans son premier grand discours de politique étrangère prononcé à la fin de l’année dernière que « l’ge d’or avec la Chine » était terminé, il n’en restait pas moins vrai que Pékin continuait à être le troisième partenaire commercial du Royaume-Uni. Une relation essentielle donc et souvent tumultueuse marquée par une période d’humiliations pour la Chine au XIXe siècle et la rétrocession éminemment symbolique de Hongkong, ancienne colonie britannique, à la Chine en 1997. Ces relations que l’on croyait apaisées durant la mandature de David Cameron connaissent depuis plusieurs années déjà des tensions grandissantes ; lesquelles ne cessent de s’accentuer depuis le Brexit.

De la méconnaissance à la reconnaissance

Nonobstant l’impératif gaullien de la singularité française, la France n’a pas été le premier pays occidental à reconnaître en 1964 la Chine communiste. L’hypothèque indochinoise d’une part, sa tradition catholique d’autre part l’en ont longtemps dissuadée. Dans les faits, la Grande Bretagne l’avait précédée dès 1950. Préservation de ses intérts à Hongkong, approche pragmatique des relations internationales en déléguant plus d’une fois à travers son histoire une partie de sa politique étrangère à ses hommes d’affaires (la Compagnie britannique des Indes orientales hier, ceux de la City aujourd’hui), insularité géographique enfin qui, d’un point de vue des représentations, lui confère le statut d’une puissance européenne comparable à celui qu’occupe le Japon en Asie : ce sont là autant de facteurs qui expliquent une vision britannique le plus souvent opposée à celle tenue par la France. C’est d’ailleurs la Grande Bretagne qui cristallise toutes les passions de la propagande chinoise durant les premières décennies du régime communiste. « Rattraper l’Angleterre », slogan maoste caractéristique de cette période tragique qu’est le Grand Bond en avant (1958), exprime à la fois un désir de revanche sur l’histoire, une affirmation tiersmondiste, le retour d’un réflexe impérial aussi. Il se manifeste dès la conférence de Genève en 1954 à laquelle participe le chef de la diplomatie chinoise, Zhou Enlai. Si cet événement scelle le départ des Français du Vietnam, il est aussi un avertissement adressé à la Grande Bretagne – laquelle, en Asie mme, a amorcé sa décolonisation – dans la volonté chinoise à vouloir peser dans le jeu des relations internationales, et de sa périphérie proche, en pleine guerre froide.

De fait, les années cinquante signent le retour de la diplomatie chinoise sur la scène internationale. En quête de respectabilité et de reconnaissance, elle n’a de cesse de vouloir effacer les humiliations passées et celles tout particulièrement correspondant au siècle de la honte et des guerres de l’opium au XIXe siècle. Loin paraît l’épisode de Macartney, ambassadeur de George III, qui avait refusé de se prosterner devant l’empereur de Chine. Les représentants de la Chine communiste traitent désormais sur un pied d’égalité avec leurs homologues britanniques. Pragmatiques, les Britanniques savent aussi qu’une période se referme. Bien que vainqueurs de la seconde guerre mondiale, leur empire est sorti exsangue de ce conflit et Londres n’a absolument pas d’autres moyens que de rechercher des compromis ; la priorité de ses choix en matière de politique étrangère et de défense étant l’Union soviétique. Bien que communiste, la Chine n’apparat pas comme une menace. Elle sera considérée au contraire à partir des années 80 et de la mandature de la « dame de fer », Margaret Thatcher, comme un partenaire. Le néo-libéralisme n’aura alors jamais fait aussi bon ménage avec le communisme chinois. Cette lune de miel sino-britannique trouvera son apogée en 2015 avec David Cameron et mme si Londres s’est depuis ravisée sur cette politique tous azimuts qui l’avait caractérisée dans son choix de rapprochement avec Pékin, la Couronne reste très prudente dans le choix de ses déclarations.

Scène de célébration du Nouvel An chinois à Londres, Trafalgar Square, 2022 © Nouvelles d’Europe / Yan Zhenyu

La Chine : « facteur géopolitique le plus significatif » pour la transformation des équilibres mondiaux

C’est ainsi qu’est désignée dans la Revue intégrée de politique étrangère du Royaume-Uni, la Chine. Comme le rappelle une note de l’Institut Montaigne, le langage britannique n’utilise ni le terme de rival, à l’européenne, ni la tonalité conflictuelle de la posture américaine. Il leur préfère « défi systémique » (systemic challenge) pour qualifier l’adaptation nécessaire de la politique étrangère du Royaume-Uni au changement d’échelle et de posture de la Chine de Xi Jinping. C’est un langage qui relève de la synthèse entre la posture affichée par les Européens à l’encontre de la Chine et celle, moins agressive, tenue par l’administration américaine. Le thétre d’opérations le plus immédiat de la sécurité économique énoncé par Londres est la prévention des transferts intangibles de technologie. Il est toutefois rappelé que le Royaume Uni a intérêt à préserver une position d’équilibre face à la Chine ; laquelle demeurera un acteur majeur de la croissance mondiale dans les années à venir. La conciliation entre résilience et prospérité demandera donc de nombreux arbitrages sensibles. Un exemple très concret est celui des étudiants chinois présents dans les universités britanniques. Avec plus de 120 000 étudiants au Royaume-Uni en 2019, la Chine formait le premier contingent d’étudiants étrangers, loin devant l’Inde. Et dans l’ensemble, l’opinion publique britannique reste attachée à l’ouverture internationale du Royaume en matière d’éducation et de recherche. Ainsi, d’après un sondage du British Foreign Policy Group, 30 % des Britanniques voyaient dans la présence des étudiants chinois au sein des universités britanniques un domaine d’engagement qu’ils souhaitent avec la Chine à l’avenir.

Il en va de même pour des sujets plus stratégiques comme l’Indopacifique. Bien sr, le Royaume-Uni est partenaire de discussion avec les Européens, le Japon et les États-Unis sur cette politique et demeure un acteur incontournable de la coopération sécuritaire transatlantique mais des divergences sont apparues plus d’une fois sur la politique à tenir vis-à-vis de la Chine entre travaillistes et conservateurs. Mme un Boris Johnson a cultivé dans le rang des conservateurs une attitude souvent beaucoup plus nuancée que celle de ses collègues vis-à-vis de Pékin et des plus réservées si on la compare à celle, beaucoup plus antagoniste, à laquelle a recours la diplomatie américaine. Ces précédents sont importants à rappeler même si l’actualité nous montre aussi que la méfiance semble davantage s’installer entre Pékin et Londres sur des questions jugées cruciales. Ainsi, le Premier ministre britannique Rishi Sunak et son homologue japonais Fumio Kishida ont signé le 11 janvier dernier à Londres un « accord d'accès réciproque » permettant aux armées de chacun des deux pays de se déployer sur le territoire de l'autre, alors que les rapports entre le Japon et la Chine se sont considérablement dégradés ces dernières années. Il a été souligné qu’avec ce traité, le plus important en matière de défense entre les deux pays depuis l'alliance anglo-japonaise de 1902 contre la Russie, le Royaume- Uni deviendra le premier pays européen à disposer avec le Japon d'un tel accord. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, avait aussitôt réagi en affirmant le fait que « la région Asie-Pacifique est un haut lieu de développement pacifique, pas une arène pour des jeux géopolitiques ».

Le chef du gouvernement britannique, qui montre une posture de plus en plus ferme face à la Chine, comparée à celle de ses prédécesseurs, a, lui, insisté sur le besoin de coopérer face aux « défis mondiaux sans précédent de notre époque ». Une faon de dire que la Grande-Bretagne semble définitivement emboîter le pas en confortant les décisions prises par ses alliés européens et américains mais aussi japonais avec lesquels les Britanniques, avec le concours de Rome, collaborent de concert à la fabrication d’ici 2035 d’un avion de combat de nouvelle génération. Le futur avion de combat est vu comme un successeur du japonais Mitsubishi F-2, conu avec l'américain Lockheed Martin et mis en service en 2000. Son développement devrait notamment intégrer les avancées du projet d'avion de combat Tempest, porté par le Royaume-Uni, et dont un pré-prototype est annoncé dans les cinq prochaines années. Ironie s’il en est : plus d’un siècle après les tragédies vécues par l’Extrême-Orient, l’histoire semble bégayer de plus belle...

Emmanuel LINCOT est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.

Photo du haut : scène de la guerre de l'opium, par Edward Duncan, Destroying Chinese war junks, 1843. / Wikimedia Commons.

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