Les Chinois de Singapour : comment la « localisation » et la « transnationalité » influencent-elles la recherche d’identité ?

1680700143130 China News Wu Kan

Dans le cadre de la politique ethnique singapourienne de « l’unité dans la diversité », quels changements ont eu lieu en matière de reconnaissance sociale des nouveaux immigrants chinois au cours de la dernière décennie ? Comment les processus de « localisation » et de « transnationalité » des nouveaux immigrants chinois s'entremêlent et interagissent entre eux ? Comment la culture chinoise influence-t-elle la construction identitaire des Chinois d’outre-mer ? 

Le professeur Liu Hong, vice-président associé de l'Université de technologie de Nanyang (NTU) et directeur du Centre d'administration publique de Nanyang (NCPA) à Singapour, a récemment accordé une interview exclusive à China News sur ce sujet.

En quoi le modèle de « l’unité dans la diversité » de Singapour diffère-t-il de celui de la nation chinoise ?

La politique d'immigration du gouvernement singapourien s'inscrit dans une double logique. Tout d'abord, il s'agit d'une logique économique et démographique, car les nouveaux immigrants peuvent compléter le capital humain indispensable à la nouvelle stratégie de développement économique, et également contribuer à relever les défis posés par le taux de fécondité qui demeure faible. La seconde est une logique politique et identitaire, qui impose au pays de veiller à ce que les nouveaux immigrants soient profondément intégrés dans l'environnement socioculturel cosmopolite du pays.

Compte tenu de ces deux logiques, le gouvernement singapourien a développé ces dernières années une série de mesures autour des nouveaux immigrants. Elle a pour but de largement favoriser l’intégration des nouveaux immigrants, dont ceux d’origine chinoise, dans une société cosmopolite et de promouvoir et renforcer l'identité chinoise spécifique à Singapour. En parallèle, le gouvernement les encourage aussi à établir des réseaux commerciaux transnationaux avec la Chine et d'autres communautés chinoises d'outre-mer.

Je pense que la politique ethnique de Singapour illustre les caractéristiques et la recherche de « l'unité dans la diversité ». Ce concept a été formulé par le célèbre sociologue chinois Fei Xiaotong, à la fin des années 1980. Il explique les caractéristiques du « modèle de l’unité dans la diversité de la nation chinoise » à partir de trois aspects. Tout d’abord, les 56 groupes ethniques représentent le niveau primaire et la nation chinoise le niveau supérieur. Puis, les Chinois han jouent un rôle central de cohésion dans la transformation de la pluralité fragmentée en unité. Pour finir, la reconnaissance des différents niveaux ne s’exclut pas mutuellement et chacun développe ses propres caractéristiques pour former un ensemble multilingue et multiculturel. 

Le concept de « l’unité dans la diversité » de Singapour est, certes, quelque peu similaire à celui de la Chine, mais il présente des différences significatives. Singapour est la seule nation multiethnique en dehors de la Chine à avoir une population majoritairement d’origine chinoise. Ils représentent environ 75 % de sa population totale. Mais les Chinois d’outre-mer, leur langue et leur culture n'ont pas été le facteur d'unification permettant la transformation de la diversité à l'unité. Sur la base du maintien des langues des différentes ethnies, Singapour adopte l'anglais comme lingua franca et accorde une place centrale au multiculturalisme afin de réunir l'ensemble du pays. Autrement dit, la diversité mentionnée dans le concept singapourien de « l’unité dans la diversité » fait référence à une pluralité d’ethnies, de langues, de cultures et de religions, tandis que « l’unité » désigne une identité nationale unifiée. Il s’agit non seulement de la base de l'intégration de la communauté multiethnique, mais aussi du cadre politique global mis en place par le pays pour la communauté des nouveaux immigrants.

Dans le processus d'établissement d'une identité chinoise spécifique à Singapour, les nouveaux immigrants chinois sont confrontés à deux processus : la « localisation » et la « transnationalité ». Comment ces deux processus s'entremêlent-ils et interagissent-ils entre eux ?

Lorsque les nouveaux immigrants émigrent à l'étranger, ils sont confrontés simultanément à deux processus sociaux, à savoir la « localisation » et la « transnationalisation ». La zone géographique concernée par la localisation est généralement le pays d’accueil des immigrants étrangers. La localisation fait référence à une série d'adaptations et de changements que les immigrants chinois connaissent lorsqu'ils s'adaptent aux sociétés des pays dans lesquels ils ont immigré. La transnationalité est le mécanisme et le processus par lesquels les immigrants forment et entretiennent de multiples relations sociales entre leur pays d’immigration et leur pays d'origine.

À Singapour, la localisation et la transnationalité des nouveaux immigrants chinois vont de pair, et ne sont pas un « jeu à somme nulle ». Au contraire, ces processus se renforcent et se promeuvent mutuellement. Tout en s'efforçant de s'intégrer dans les pays où ils ont immigré, les immigrants chinois maintiennent des liens étroits avec la Chine sur divers aspects, que ce soit au niveau de leur famille, leur vie quotidienne, leur carrière et leur culture. Cependant, la localisation et la transnationalité n'ont pas exactement la même profondeur et la même importance. Les nouveaux immigrants chinois ont toujours pour orientation et objectif principal leur intégration dans la société singapourienne.

Comment la culture chinoise influence-t-elle la construction identitaire des Chinois d’outre-mer ?

Au cours de la dernière décennie, dans le contexte de la nouvelle norme politique et économique de Singapour, l'identité sociale des nouveaux immigrants chinois a connu quelques changements. Tout en conservant les caractéristiques passées de leur diversité, leur attention s'est de plus en plus déplacée vers l'identité locale. Parallèlement, les liens ancestraux et les réseaux commerciaux mondiaux jouent toujours un rôle non négligeable.

En réalité, ces changements sont un phénomène tout à fait naturel, car la plupart des Singapouriens d'origine chinoise sont nés à Singapour et ont donc des liens géographiques affaiblis avec leur pays ancestral et d'origine. Toutefois, leurs liens culturels restent importants. Par exemple, en mai 2022, le service de l'immigration de Singapour avait retiré la mention de l'origine ethnique des parents sur les actes de naissance des nouveau-nés. Mais suite aux retours de la population, notamment de la communauté et des associations chinoises, le service d'immigration a décidé de réintroduire, à partir du 1er septembre, la mention de l'origine ethnique, qui a une profonde signification historique et culturelle.

La culture chinoise possède une longue histoire et exerce une influence profonde et durable sur les Chinois d’outre-mer. Après deux siècles d’évolution, la communauté chinoise de Singapour a intégré des éléments de son pays de résidence et d'Asie du Sud-Est. Elle revêt des éléments localisés et a formé une culture chinoise distinctive, qui se manifeste sous divers aspects tels que la langue, la culture, les habitudes et les modes de pensée. Par exemple, les Chinois de Singapour conservent l’habitude de célébrer les fêtes traditionnelles chinoises, mais certaines caractéristiques culturelles de leur pays d’accueil ont été intégrées à ces fêtes et coutumes (par exemple, la tradition du Lao yusheng au nouvel an chinois qui consiste à mélanger des morceaux de poissons cru et des légumes râpés en les soulevant le plus haut possible avec des baguettes, tout en prononçant des vœux de bon augure). Au niveau linguistique, les Chinois de Singapour emploient également des mots anglais ou malais dans leur usage quotidien du chinois. Cela aboutit progressivement à la formation d’une culture sino-singapourienne dynamique et ancrée dans une société multiethnique. Dans le même temps, le gouvernement reconnaît également que la culture chinoise est un élément important de la société singapourienne et s'attache à préserver, transmettre et promouvoir la culture chinoise à l’aide de divers moyens.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn. 

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.