60 ans de relations franco-chinoises : du général de Gaulle à Emmanuel Macron, retour sur les voyages des présidents français en Chine - 1er volet : des années 60 à la fin de la Guerre froide -

1700486785511 Le 9 Emmanuel Lincot
Depuis la reconnaissance de la République populaire de Chine, tous les présidents français – à l’exception du général de Gaulle – se sont déplacés en Chine, tantt pour renforcer la coopération franco-chinoise, tantt dans un climat de défiance stratégique. Retour sur ces dernières décennies alors que la France et la Chine s’apprteront en 2024 à célébrer l’anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Les relations entre la France et la Chine ont varié depuis la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par le Général en 1964, mais les visites successives des présidents français ont presque toujours suscité beaucoup d'attentes. Historiquement, il est toujours utile de revenir sur ces voyages emblématiques des chefs d'État français en Chine.

L’héritage gaullien

En 1964, le général de Gaulle décide de mettre un terme à la politique du cordon sanitaire autour du régime politique chinois et reconnaît la République populaire de Chine au détriment de Formose (Taïwan), une première pour la plupart des puissances occidentales, mme si la Grande-Bretagne et la Suède avaient déjà établi des relations diplomatiques avec Pékin. C’est le général Guillermaz, sinologue chevronné, à qui revient d’approcher les autorités chinoises. Il aura été précédé par le député et ministre Edgard Faure mais aussi une kyrielle d’intellectuels (Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir...) et d’artistes (Gérard Philippe...). Il partage avec l’hte de l’Élysée la volonté neuve d’entamer un virage diplomatique qui fera entrer l’initiative française dans l’histoire. Pour de Gaulle, même communiste, c’est une hérésie de ne pas reconnaître un État, la Chine, qui a déjà à cette époque 600 millions d’habitants. Stratégiquement, et de par son geste, de Gaulle rappelle aussi son attachement à la souveraineté de la France. Ni vassale de Washington ni de Moscou, la France est, selon de Gaulle, indépendante dans ses choix diplomatiques.

Le vice-Premier ministre chinois Deng Xiaoping invité au banquet offert par le président de la République française Valéry Giscard-d'Estaing au Palais de l'Élysée, le 13 mai 1975. © Xinhua

Elle peut d’autant se le permettre qu’elle a réussi à se débarrasser de son fardeau colonial, qu’elle est une puissance nucléaire et que sa voix médiane peut tre largement entendue partout dans le monde et ce, au-delà des clivages entre les blocs. Cté Chine, la reconnaissance par de Gaulle lui permet de se sortir d’un isolement délétère qu’a provoqué sa rupture diplomatique avec Moscou. En dépit des protestations vives de l’administration américaine, la reconnaissance par de Gaulle servira de précédent au rapprochement entamé par le républicain Richard Nixon avec Mao Zedong. De Gaulle projetait sans doute d'aller en Chine mais la conjoncture chinoise, avec les troubles engendrés par la Révolution culturelle (1966-1976), l’en a empché. Rétrospectivement, de Gaulle a finalement raison trop tt et ne récolte pas les fruits de son choix politique, trop précoce. Et paradoxalement, s'il n'y a jamais mis les pieds, c'était peut-être le président qui avait le mieux compris la Chine. Car de Gaulle avait lu les auteurs de la pensée chinoise classique durant sa captivité en Allemagne pendant la première guerre mondiale, et comprenait bien la manière chinoise très intuitive et expérimentale de faire de la politique.

Il faut attendre 1973 pour le premier voyage officiel d'un chef d'État français en Chine. Trois ans après la mort du général de Gaulle, Georges Pompidou est accueilli par le Premier ministre Zhou Enlai avec tous les honneurs qu’il réservait déjà à son prédécesseur. Cette visite est l'occasion d'un vrai rapprochement entre les deux pays avec notamment des choix de coopération stratégique, notamment sur le nucléaire civil. Par l’intermédiaire de son ambassadeur Étienne Manac’h, la France espérera aussi beaucoup de la médiation chinoise vis-à-vis de ses alliés Khmers Rouges lorsque ces derniers prendront le pouvoir en 1975 au Cambodge. En vain. Pour autant, la présidence de Valéry Giscard d'Estaing s’inscrit dans la continuité des précédentes sur la relation franco-chinoise, et dès les premières années durant lesquelles Deng Xiaoping est au pouvoir, la Chine développe une immense activité sur le plan international. Elle se traduit par un nombre impressionnant de rencontres, de visites à Pékin, de voyages chinois à travers le monde. La France, membre du Conseil de sécurité de l'ONU, rejointe par la Chine en 1971, reste un interlocuteur primordial pour Pékin. Valéry Giscard d'Estaing reste convaincu que la Chine doit « jouer un rle important » dans le concert des nations. Et les deux pays se rejoignent dans leur vision d'un monde multipolaire.

Le tournant des années François Mitterrand

Le nouveau tournant des relations franco-chinoises intervient sous la présidence de François Mitterrand qui se rend à Pékin deux ans après son élection, en 1983. Lors de ce déplacement, qui n'est pas le premier, puisque le dirigeant socialiste s'y était déjà rendu en tant que candidat à l'élection présidentielle, mais aussi à l'occasion d'un voyage d'étude après lequel il publia un livre (La Chine au défi), le président français affiche une volonté de rapprochement économique et culturel avec le régime communiste. Mais les efforts de ce premier septennat tourné vers la Chine seront contrecarrés, d’abord, par un rapprochement avec l’île rebelle, Taïwan, à qui Paris n’hésite pas à vendre des armes, mais aussi une volonté – comme en Afrique – de subordonner l’aide économique franaise à une démocratisation préalable des pays partenaires. Si Pékin et son régime sont loin d’emprunter ce chemin, on le sait, Franois Mitterrand aura été le président qui aura le plus écorné le mythe de la reconnaissance gaullienne. À l’inverse du président socialiste, Jacques Chirac prendra la mesure de l'évolution de la Chine vers un statut de grande puissance à qui on ne fait plus la leçon.

Le 4 août 1958, l'ex-président du Conseil français Pierre Mendès-France (premier à gauche) discute avec le directeur d'une aciérie lors d’une visite au 9e haut fourneau de la Compagnie du Fer et de l'Acier d’Anshan, au nord-est de la Chine. © Xinhua

Réaffirmant dans une déclaration commune lors d'une visite à Pékin la volonté de construire un monde multipolaire, la France investit énormément dans les relations franco- chinoises, au-delà même des espérances chinoises. C’est dans ce contexte notamment que la France effectue des transferts de technologies, à l'issue d’un voyage officiel en 2004. Surtout, au-delà des intérts d'un rapprochement économique et diplomatique, Jacques Chirac est un vrai sinophile reconnu. Celui qui, petit parisien, aimait arpenter le musée Émile Guimet en présence de son grand-père, aimait beaucoup les arts asiatiques et avait un intérêt sincère pour la « Chine éternelle », pour le dire d'une manière gaullienne. Le président français effectue trois voyages officiels en Chine.

L’euphorie des années Jacques Chirac

Il faut dire que la dernière décennie du XXe siècle semble particulièrement heureuse pour la politique étrangère française. Élargissement de l’Europe avec en toile de fond une crise grave provoquée tant en Russie que sa périphérie par l’effondrement du régime soviétique, auquel s’ajoute la nécessité de se réinventer dans un monde qui n’est plus bipolaire. Bien que la Chine entretienne encore de bonnes relations avec les États-Unis, des voix s’élèvent déjà dans le camp démocrate contre Pékin et sa politique jugée trop ambitieuse. C’est dans ce contexte que Jiang Zemin décide de se rapprocher de Moscou et des Européens, dont la France, pour contrebalancer une hégémonie américaine jugée dangereuse. Un événement conforte Pékin dans son choix lorsqu’en 1999, alors que la Yougoslavie est traversée par une guerre civile des plus préoccupantes, l’OTAN bombarde l’ambassade de Chine à Belgrade. L’opinion chinoise s’en émeut et exige des excuses de Washington. C’est le prélude à une détérioration sensible des relations sino-américaines que la diplomatie française n’aura de cesse de vouloir contrebalancer. Et pourtant, Paris et Pékin vont connatre quelques turbulences et bien des incompréhensions sous la présidence de Nicolas Sarkozy…

Emmanuel Lincot est l’auteur de Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique aux PUF. Il enseigne l'histoire politique et culturelle de la Chine à l'Institut catholique de Paris.

Photo du haut : Huang Zhen, premier ambassadeur de la République populaire de Chine en France après la présentation de ses lettres de créance au général de Gaulle, au Palais de l’Élysée, en compagnie du ministre franais des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville, en juin 1964. © Xinhua

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