[Géopolitique] L'Afrique du sud, un partenaire incontournable de la Chine sur le continent africain

1710153365000 Le 9 Emmanuel Lincot
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa évoque régulièrement ses liens avec ses alliés des pays du Sud, et notamment la Chine, son premier partenaire commercial, et la Russie, après avoir tenu des exercices militaires maritimes conjoints.

Par la voix de son président, l’Afrique du Sud a également rappelé son refus de voir se livrer « une compétition entre puissances mondiales » à l’occasion du 15e sommet des BRICS, événement qu’elle avait accueilli sur son territoire en aot dernier. Réunis à Johannesburg, dans un contexte de non-alignement et de tensions internationales attisées par la guerre en Ukraine, les membres fondateurs historiques des BRICS ont été rejoints par l'Iran, l'Argentine, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, à compter du 1er janvier 2024. Sur les grands dossiers internationaux, il s’agissait pour l’Afrique du Sud, au mme titre que pour la Chine, de favoriser la voie du dialogue, tout en privilégiant un engagement politique qui est celui du non-alignement.

L’Afrique du Sud et la Chine ou l’histoire d’un rapprochement continu

Puissance majeure, l’Afrique du Sud a l’une des diasporas chinoises les plus anciennes du continent. Des émigrés cantonais, ou en provenance de l’île de Taïwan, y sont installés pour certains d’entre eux depuis le XVIIe siècle. Cette communauté compte environ 300 000 personnes aujourd’hui. Pendant la guerre froide, la Chine qui était occupée à contrecarrer l’influence soviétique dans son propre camp, disposait de peu de moyens pour soutenir le parti politique anti-apartheid : le African National Congress (ANC). Elle lui avait en revanche octroyé une assistance financière, une formation militaire et un appui diplomatique. Une façon pour elle de souscrire à l’esprit d’une coopération afro-asiatique initiée à Bandung (1955) et partant, au soutien qu’elle avait apporté au parti néo-Destour tunisien comme au gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).

Près de 4 000 salariés dépendent aujourd’hui des industries textiles établies par la Chine en Afrique du Sud. Ce n’est pourtant qu’en 1998 que des relations officielles furent établies avec la République populaire de Chine. En 2011, fort de ces antériorités historiques, le troisième sommet des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) s’est tenu à Sanya, sur l’le de Hainan en Chine, et c’est à cette occasion que l’Afrique du Sud a été invitée à rejoindre cet ensemble qui devint dès lors les BRICS. Cette participation de l’Afrique du Sud est une reconnaissance de son rôle économique et politique sur la scène internationale. Elle permet, surtout après de longues années d’ostracisme pour cause d’apartheid, de quitter un certain isolement, et de peser plus activement sur la scène internationale.

Entre 1998 et 2011, les exportations vers la Chine sont multipliées par plus de six et ont été constituées à la hauteur de 90 % de minerais et de métaux. Les statistiques montrent que les investissements directs de la Chine en Afrique du Sud ont été depuis multipliés par 80, dépassant les 10,2 milliards de dollars. Cette évolution est liée à l’élection à la présidence de la République en mai 2009 de Jacob Zuma, lequel a donné une nouvelle orientation à la diplomatie de Pretoria. La Chine, perçue du temps de la guerre froide, comme beaucoup de pays communistes, avec une certaine méfiance, est désormais devenue un interlocuteur privilégié. Cette convergence de vues et l’existence d’intérts économiques mutuels expliquent les gestes amicaux de Pretoria envers Pékin, comme le refus des autorités sud-africaines d’accorder un visa au dala-lama, et ce malgré les exhortations de l’une des grandes figures de la lutte contre l’apartheid, Monseigneur Desmond Tutu. Fondamentalement, Pékin convoite le pays pour ses savoir-faire, dans le domaine industriel et l’exploitation minière, mais aussi pour sa situation géostratégique. Avec ses ports en eaux profondes (Durba, Sadanha Bay, Richard’s Bay) et sa position sur la route entre l’Asie et l’Europe, l’Afrique du Sud demeure un pays clé. Malgré leur proximité de vues et leur coopération importante, l’Afrique du Sud ne cesse d’accumuler un déficit commercial dans ses échanges avec Pékin. Cyril Ramaphosa, successeur de Jacob Zuma à la tête de l’État, obtient, en 2018, un engagement de 14 milliards d’investissements en Afrique du Sud pour les vingt prochaines années de la part de son homologue chinois Xi Jinping. La Chine vient au secours de plusieurs entreprises publiques sud-africaines en difficulté. Pour ne citer qu’un exemple, le géant de l'électricité Eskom, au bord de la faillite, conclut à cette occasion un prt de 2,5 milliards de dollars auprès de la Banque de développement de Chine. Des voix se sont élevées contre un piège de la dette qui risquerait de se refermer sur la première puissance industrielle du continent africain, déjà devancée, en termes de PIB, par le Nigéria, avec ses 510 milliards de dollars (contre moins de 400 milliards pour l'Afrique du Sud). C’est dans ce contexte difficile que le président Cyril Ramaphosa entend trouver une nouvelle dynamique, par un développement des relations multilatérales et ce, par le truchement des BRICS.

La coopération par les BRICS

La promotion d’un dialogue Sud-Sud, dont le format des BRICS constitue le plus éloquent des espaces diplomatiques et commerciaux non-occidental, promeut, au-delà du dialogue bilatéral, une alternative à l’ordre international tel qu’hérité depuis 1945. Les BRICS se sont dotés en 2014 d’une Nouvelle Banque de développement (NDB) ainsi que d’un Fonds de réserve contingent. Le Fonds de réserve prévoit un montant de 100 milliards de dollars américains — dont 41 fournis par la Chine — pour combattre entre autres les fuites de capitaux dans le cas où un pays membre entrerait en situation de crise monétaire. Ensemble, les pays fondateurs représentent plus de 40 % de la population de la planète et 27 % du PIB mondial. Selon les estimations, les BRICS auraient été à l’origine de plus de 50 % de la croissance mondiale au cours des dix dernières années. Quatre des cinq BRICS font également partie des dix premières puissances économiques mondiales (Brésil, septième, Russie, huitième, Inde dixième et Chine seconde). L’Afrique du Sud, première puissance du continent africain, est aussi classée parmi les 30 plus importantes économies de la planète (29e rang). La viabilité des BRICS a, depuis, été plus d’une fois pointée du doigt. Non seulement parce que les économies russe et brésilienne stagnent, mais aussi parce que la Chine traverse depuis la pandémie de la Covid-19 un ralentissement significatif de sa croissance.

L’économie de l’Afrique du Sud est basée sur les exportations vers des pays qui sont aujourd’hui de moins en moins portés sur la consommation. Le nouveau modèle proposé par les BRICS, né de la globalisation, pourrait donc traverser une période de crise dans les années à venir. Pourtant, l’alliance pourrait aussi faire preuve d’une certaine résilience. Elle dispose de ses fonds propres et peut bénéficier d’une aide conséquente en provenance de la Banque Asiatique d’Investissements pour les Infrastructures (BAII). Probablement, la Russie de Vladimir Poutine voudra également rompre l’isolement de son pays consécutif aux sanctions économiques occidentales, lorsque la guerre en Ukraine sera finie. Les BRICS constituent en cela un atout non négligeable dans leur association au projet des Nouvelles Routes de la soie que Pékin aura sans doute à cœur de relancer.

L’Afrique du Sud : une tête de pont entre les pays du « Sud Global »

La motivation énergétique de la Chine est grande : l’Afrique possède 10 % des réserves mondiales de pétrole. Pékin est particulièrement présente dans les pays producteurs tels que le Soudan, la Libye ou encore le Nigéria et l’Angola, bien que la pandémie de la Covid-19 y ait sensiblement diminué les exportations pétrolières à destination de la Chine. À cet intért pétrolier s’ajoute une motivation minière : ce qui intéresse la Chine particulièrement, ce sont les minerais stratégiques (or, titane, etc.) que l’on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud, régions des grands lacs...). D’où le soin de la diplomatie chinoise à créer un maillage de relations dont l’une des réalisations institutionnelles n’est autre que le Forum de Coopération Chine-Afrique (FOCAC), dont la dernière édition a eu lieu en novembre 2021 à Dakar. Celui-ci consacrait la montée en puissance de la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique. Le FOCAC est aussi devenu le symbole des capacités et des ambitions diplomatiques chinoises, faisant de l’Afrique un territoire particulièrement important dans sa politique internationale. Avec le sommet des BRICS qui a eu lieu en août 2023 à Johannesburg, Pékin poursuit finalement sa stratégie de transformation de la gouvernance mondiale et consacre une place de choix à l’Afrique du Sud. Deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis, la Chine continue aujourd’hui de se voir comme un pays en développement. En Afrique du Sud, c’est la carte que Xi Jinping joue. Et il la joue avec un succès indéniable.

Emmanuel Lincot est l’auteur de Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique aux PUF. Il enseigne l'histoire politique et culturelle de la Chine à l'Institut catholique de Paris.

Photo : une cargaison de maïs arrive en provenance d’Afrique du Sud au port de Mayong, dans la province du Guangdong en Chine, le 4 mai 2023. © Liu Dawei/Xinhua

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