[Interview] Jean Pégouret : « C’est de la société civile française qu’il faut attendre le renforcement des liens entre la France et la Chine pour préparer le monde multipolaire à venir »

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À l’occasion de la visite du président chinois Xi Jinping en France le 6 et 7 mai 2024, Jean Pégouret répond aux questions de Nouvelles d’Europe.

Que pensez-vous de la visite du président Xi Jinping en France et qu'attendez-vous du développement des relations entre la Chine et la France ?

La visite du Président Xi Jinping en Europe, notamment en France, a lieu dans une période particulièrement critique du contexte international. Le choix des pays visités, France, Hongrie et Serbie est loin d’être neutre. Il est au contraire très porteur de sens.

Il est évident que le Président Xi Jinping a choisi de visiter les trois pays européens les plus susceptibles de prendre leur distance avec les velléités américaines, dans le contexte de la guerre par procuration que mène l’OTAN en Ukraine et des nouvelles sanctions engagées par les États-Unis contre la Chine sous des motifs fallacieux et des motivations constantes d’hégémonie.

Le Président Macron avait déclaré, à son retour de sa visite à Canton en 2023, que « l’Union Européenne devait réduire sa dépendance aux États-Unis et ne pas être entraînée dans une confrontation entre les États-Unis et la Chine sur Taïwan ».

La Hongrie est soumise à des pressions de l’Union Européenne face à son refus de se plier à appliquer une certaine vision des Droits de l’Homme, à accepter d’accueillir des migrants et à soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie pour le compte de l’OTAN. Par ailleurs, la Hongrie est pour la Chine une porte d’entrée vers les pays d’Europe centrale et orientale dans le cadre du projet de la Ceinture et la Route dans lequel elle s’est engagée.

La Serbie se débat contre les pressions de l’OTAN qui cherche à l’intégrer dans l’Union Européenne alors qu’elle lui a déjà arraché le Kosovo. La Chine n’oublie pas le bombardement de son ambassade à Belgrade par l’OTAN en mai 1999.

Les trois pays se trouvent en position fragile pour des raisons spécifiques mais bien réelles.

La préparation de la réunion des côtés français et chinois a montré les difficultés à s’entendre des objectifs communs d’agenda.

La Chine arrive avec des propositions concrètes et positives de collaboration, telles qu’exprimées par le ministres des Affaires étrangères Wang Yi : ouverture au multilatéralisme et aux coopérations gagnant-gagnant, préparation d’un destin et d’un avenir commun pour l’humanité, attente d’une position commune franco-chinoise pour la paix et la stabilité mondiale, espoir que la France défendra une attitude pragmatique et positive à l’égard de la Chine, attente que la France confirme son opposition à la division du monde et à une logique de blocs.

Le Ministère des Affaires étrangères a déjà exposé que la France demanderait à la Chine de rééquilibrer son commerce extérieur et de faire pression sur son partenaire russe pour obtenir une position favorable à l'Ukraine.

Il faut noter, pour éclairer l’état d’esprit de la visite en France du Président Xi Jinping, le contraste entre les situations en Chine et en Russie où les dirigeants ont été reconduits très confortablement à leur poste pour poursuivre leur action de développement du pays, et la situation de campagne électorale européenne en France où les attaques contre la Chine et la Russie sont des arguments soulevés pour diaboliser des adversaires politiques et masquer des enjeux intérieurs. On relèvera le paradoxe lorsque ce sont justement ceux qui dénoncent des ingérences extérieures de la Chine qui impliquent la Chine dans le débat politique intérieur.

Mais heureusement qu’au-delà des politiques et des médias, il existe en France de nombreux amis de la Chine qui travaillent activement au-delà des polémiques à la construction de liens solides à travers des collaborations universitaires, linguistiques, touristiques, artistiques, industrielles et personnelles.

C’est pourquoi, si le contexte international et les pressions intérieures et extérieures auxquels sont soumis les dirigeants français laissent attendre peu de résultats pour 2024, c’est de la société civile française qu’il faut attendre le renforcement des liens entre la France et la Chine pour préparer le monde multipolaire à venir.

Que pensez-vous de la proposition de Xi Jinping d’ « un monde multipolaire équitable et ordonné et d’une mondialisation économique inclusive » face à la coopération internationale multidisciplinaire et aux conflits internationaux ?

Le Président Xi Jinping s’inscrit dans la démarche qui a démontré ses  bénéfices, celle de « l’esprit de Shanghai » qui inspire l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) depuis sa création.

Lors de sa dernière réunion des chefs de gouvernements à Bichkek en octobre 2023, les membres de l’OCS se sont engagés à défendre et à renforcer « un système commercial multilatéral ouvert, transparent, équitable, inclusif et non discriminatoire, fondé sur des principes et des règles internationales généralement acceptés et favorisant le développement d'une économie mondiale ouverte ».

Ce sont en substance les termes de la proposition du Président Xi Jinping, qui n’est pas de nature purement idéologique, mais au contraire pragmatique : elle se base sur une démarche qui a démontré son caractère positif et constructif depuis plus de vingt ans. Reprenant les conclusions du 11e Congrès du Parti Communiste Chinois en 1977, « le critère de la vérité, c’est l’épreuve des faits ».

L’application de la Charte de l’OCS a démontré qu’il était possible que des États puissent collaborer positivement sans que l’un impose à l’autre son système politique comme préalable à toute discussion et fasse des différences un motif de pression. Il a été démontré que les différends pouvaient être réglés par la négociation et pas par la pression du plus fort sur le plus faible. Il a été démontré que des coopérations gagnant-gagnant pouvaient être mises en place en valorisant les compétences spécifiques et les différences des participants sans qu’elles soient des prétextes de pressions pour obtenir des avantages compétitifs.

À l’inverse, il a été confirmé par l’observation de la conduite d’autres États extérieurs à l’OCS que les ingérences dans les affaires intérieures et la logique de blocs conduisaient à la perte de souveraineté des peuples et à la guerre.

Comment pensez-vous que les centaines d'échanges culturels qui auront lieu pendant l'Année de la culture et du tourisme contribueront à la compréhension mutuelle des civilisations et aux échanges entre les peuples ?

La base de la coopération entre nations est la compréhension mutuelle, qui  commence par l’engagement dans la démarche de s’intéresser à l’autre. Le premier mot des Entretiens de Confucius est 学 (xué), « étudier ». C’est la clef pour qu’un homme devienne un « homme de bien », un 君子 (jūnzi), qui considère tout étranger comme un hôte de marque.

Faire cet effort, c’est s’intéresser à la pensée et à l’environnement des hommes différents. C’est revêtir ses mains de « gants blancs » de l’humilité pour lire leurs ouvrages, c’est prendre sa canne de voyageur pour visiter leurs fleuves et leurs montagnes, leurs demeures, leurs ateliers et leurs champs, c’est s’asseoir à leur table pour découvrir et apprécier leur façon de préparer et de déguster leur nourriture.

L’année franco-chinoise des échanges culturels et touristiques répond parfaitement à cet esprit et ne peut apporter que du positif dans la compréhension mutuelle entre les peuples français et chinois.


Jean Pégouret est expert en géopolitique et président de Saphir Eurasia Promotion.

Photo : Xinhua

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