Avec une consommation de café en plein
essor, la Chine s’impose comme un acteur majeur de l’industrie mondiale du
café. Alors que sa production se standardise et s’oriente vers des produits
hauts de gamme, le pays attire l’attention des exportateurs de café,
notamment en Afrique et en Amérique du Sud. He Feifei, professeur associé à
l’Université du Yunnan et expert en culture du café, revient sur
l’évolution de cette industrie en Chine et ses implications pour les marchés
internationaux.
Lors du récent sommet du Forum sur la coopération sino-africaine, le
café en provenance du Yunnan a été particulièrement apprécié par les
invités africains. Comment le café, originaire du continent
africain, a-t-il pu s’enraciner si loin, dans le Yunnan, en Chine ? He Feifei, professeur associé à la faculté d’agriculture de l’Université du
Yunnan, explique l’impact que le développement de l’industrie du café en
Chine a pu avoir sur la chaîne d’approvisionnement mondiale du café et les
échanges interculturels.
Comment le café s’est-il propagé au Yunnan
et comment cette province est-elle devenue l’une des principales régions
productrices de café dans le monde ?
Le café est populaire dans le monde entier, mais on considère
généralement que l’arbre à café est originaire d’Éthiopie, en Afrique.
Avec l’expansion coloniale, le commerce transfrontalier et la mobilité des
populations, le café s’est répandu sur tous les continents. En 1884, des
semis de café ont été introduits à Taïwan par des commerçants britanniques, puis le café a été progressivement cultivé dans
plusieurs régions de Chine, notamment à Ruili et Binchuan dans le Yunnan, à
Wenchang dans l’île de Hainan et à Xiamen dans la province du
Fujian, par différentes voies. Concernant l’origine du café au Yunnan,
plusieurs versions existent, mais la communauté académique reconnaît
davantage les récits de 1893, où des villageois de la région de Jingpo à
Ruili auraient introduit le café en provenance de Birmanie. Dans les années
1950, dans le cadre du développement de l’économie des régions chaudes,
l’industrie du café en Chine a commencé à se développer avec le soutien de
l’État et du gouvernement. En 1952, des rapatriés de Malaisie ont créé une
ferme collective de café à Xinglong, sur l’île de Hainan. La même année,
des experts de l’Institut de recherche sur les cultures économiques
tropicales et subtropicales de l’Académie des sciences agricoles du Yunnan
ont rapporté des plants de café de la maison de villageois de la région de
Dehong, à la frontière sino-birmane, à Mangshi pour les cultiver, dont la
moitié a été plantée à Luxi Ba dans la ville de Baoshan, marquant le
début de la production à grande échelle. En 1958, le café arabica de
Baoshan Luxi a été exporté sur le marché londonien, où il a été classé
comme de « première qualité ». En 2023, la Chine a dépassé les
États-Unis, devenant le pays avec le plus grand nombre de cafés de marque
dans le monde, et la consommation de café par habitant en Chine a triplé
entre 2010 et 2022.
Quel rôle le café
joue-t-il, au-delà de sa circulation en tant que marchandise, dans les
échanges culturels et les mouvements de population ?
Avec la diffusion du café, les professionnels de l’ensemble de la
chaîne, ainsi que les normes techniques et les concepts de développement, se
déplacent également. Par exemple, le café arabica originaire d’Éthiopie
s’est répandu au Yémen, où les conditions de culture variées, le climat
aride et le séchage au soleil après la récolte ont conféré au café une
saveur chocolatée prononcée. Le port de Mokha au Yémen, un port commercial
majeur de la mer Rouge, a donné son nom à ce café, qui est aujourd’hui
souvent associé au café latte au chocolat, connu sous le nom de « café moka
». Un autre exemple est l’émergence des « chercheurs de grains » dans
l’industrie du café, des professionnels parcourant les différentes régions
productrices de café et les plantations du monde entier à la recherche des
meilleurs grains. La marque chinoise Luckin Coffee a organisé une campagne de
voyages à la recherche de grains, explorant successivement trois des
principales régions productrices de café au monde : l’Éthiopie, le Panama
et l’Indonésie, avant de se rendre dans le Yunnan en mars 2024. De plus, les
lieux de consommation sont devenus des lieux de socialisation, comme le café
Greco à Rome, autrefois fréquenté par des géants littéraires tels que
Dickens et Mark Twain, aujourd’hui un lieu incontournable pour les touristes.
Cela montre que le développement et la circulation de l’industrie du café
ont non seulement stimulé la croissance économique, mais ont également
contribué à la formation d’une culture du café unique à travers le monde,
facilitant ainsi les échanges et l’enrichissement des civilisations grâce au
café comme vecteur.
Avec le développement de l’industrie du
café, quels changements la culture du café a-t-elle connu en Chine ?
J’ai des parents à Luxi Ba, dans la ville de Baoshan, l’une des
principales régions productrices de café du Yunnan, qui vivent de la culture
du café. Je me souviens de la scène lors de ma visite au début des années
1990 : pour boire du café, il n’y avait pas d’ustensiles de préparation ; la
poudre de café était simplement mise dans de l’eau bouillante sans notion de
proportion entre l’eau et le café, ni de durée d’infusion. Tout se faisait
au jugé, et une fois le café prêt, on le filtrait à travers un tissu. Bien que l’odeur pendant la
préparation soit agréable, le café était très amer à boire, ce qui
obligeait à ajouter beaucoup de sucre blanc. À cette époque, les
producteurs de café en Chine cultivaient le café uniquement pour vendre les
grains, sans avoir l’habitude d’en consommer eux-mêmes. Le développement de
la culture du café en Chine est étroitement lié à l’augmentation du niveau
de vie dans le pays. Dans les années 1980, Nestlé a lancé son café
instantané « 1+2 » en Chine, marquant ainsi le début du marché moderne du
café en Chine et la première connaissance du café pour beaucoup de Chinois.
Depuis le début des années 2000, avec le développement économique rapide
du pays et l’amélioration du niveau de vie des habitants, le café
instantané traditionnel ne satisfait plus les attentes des consommateurs en
matière de qualité. Ils recherchent désormais des cafés aux saveurs plus
raffinées.
Ce qui est intéressant, c’est que la culture du café en Chine se
manifeste de manière très différente selon qu’on se trouve dans une région
productrice ou consommatrice. Dans les régions productrices de café du
Yunnan, principalement habitées par des minorités ethniques, les cultures
sont riches et diversifiées, et le café s’est subtilement intégré à la
vie quotidienne. Nous pouvons boire du café dans des maisons sur pilotis chez
les Dai (une ethnie locale), acheter du café sur les marchés aux fleurs et
de légumes, déguster des banquets préparés à base de feuilles et de
fleurs de caféier, et savourer des cafés créatifs utilisant des
ingrédients locaux tels que le lait de vache et la truffe noire. En revanche,
dans les grandes villes, qui sont les principales zones de consommation, les
cafés indépendants à la mode et élégants sont devenus le symbole de la
vie urbaine.
Quelles tendances observe-t-on dans
l’industrie et la culture du café en Chine, et quels impacts cela aura-t-il
sur l’industrie du café en Afrique et dans le monde ?
Tout d’abord, la Chine apporte au monde un immense marché de
consommation de café. En 2023, la taille du marché du café en Chine a
atteint environ 265,4 milliards de yuans, avec un taux de croissance annuel
composé de 17,14 % au cours des trois dernières années. Il est prévu que
d’ici fin 2024, le marché atteindra 313,3 milliards de yuans. De nombreux
pays producteurs de café à l’étranger accordent une grande importance au
marché chinois. Par exemple, le Brésil a exporté 422 000 sacs de café vers
la Chine en 2022, et ce chiffre est passé à 1,5 million de sacs en 2023, une
croissance sans précédent dans l’histoire du café brésilien. Dans ce
contexte, la coopération avec les régions productrices de café à
l’étranger constitue une stratégie gagnant-gagnant. Par exemple, l’Afrique,
dont le développement économique est relativement lent, a besoin d’un vaste
marché de consommation, tandis que ses riches ressources en matériel
génétique de café sont un atout considérable. Actuellement, je participe
à un projet de collaboration entre la Chine et l’Éthiopie concernant la
conception d’un produit d’assurance basé sur l’indice météorologique pour
le café, l’analyse des préférences et l’évaluation des politiques. Les
résultats de cette recherche bénéficieront aux deux pays.
Article
traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Unsplash
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