[Entretien] La Chine vue de l’Europe : un prisme aux multiples facettes

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Dans un entretien accordé à China News, Eberhard Sandschneider, spécialiste de la Chine et chercheur allemand en relations internationales met en lumière les relations sino-européennes, qui sont marquées par une grande complexité et évoluent dans un contexte de mondialisation et de géopolitique en constante mutation.

Dans un contexte de mondialisation accélérée et de complexité géopolitique croissante, les relations entre la Chine et l'Europe sont au cœur des enjeux internationaux. La perception de la Chine au sein de l'Union européenne est toutefois loin d'être homogène, les États membres affichant des visions souvent divergentes, façonnées par leur histoire, leurs intérêts économiques et leurs positions géopolitiques. Cet entretien avec Eberhard Sandschneider, spécialiste de la Chine et chercheur allemand en relations internationales, nous permettra d'explorer en profondeur les nuances de ces relations, en nous concentrant notamment sur le cas de l'Allemagne, partenaire économique majeur de la Chine.

Quelle est la perception de l’Europe vis-à-vis de la Chine ?

Dans les relations internationales, il est crucial d'analyser les perceptions réciproques pour saisir la complexité des interactions entre États. Or, en matière de relations sino-européennes, la notion de « perception européenne » est trompeuse. En effet, chaque État membre de l'Union européenne entretient une relation spécifique avec la Chine.

Bien que l’Occident ait multiplié les discussions approfondies sur la Chine, les malentendus persistent. Avant les réformes économiques dans les années 1980, les pays occidentaux considéraient la Chine comme repliée sur elle-même, avant de l’assimiler au bloc des pays de l’Europe de l’Est. L’erreur des Occidentaux résidait dans leur conviction que le régime socialiste chinois ne pouvait pas mener à la prospérité économique, une hypothèse fondée sur l’échec des régimes politiques de l’URSS, des pays de l’Europe de l’Est et de l’Allemagne de l’Est. Or, cette analyse s'est avérée erronée, la Chine ayant réussi à s'adapter et à prospérer en adoptant des réformes économiques audacieuses.

L'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001 a marqué un tournant dans les relations économiques internationales. Perçue initialement comme une simple plateforme de production à bas coût, la Chine s'est rapidement imposée comme un acteur incontournable de la mondialisation. Ses initiatives, telles que les Nouvelles Routes de la Soie ou le RCEP (projet d'accord de libre-échange entre quinze pays autour de l'océan Pacifiqu), s'inscrivent dans une stratégie plus large visant à renforcer le soft power de la Chine et à consolider sa position de puissance mondiale. Parallèlement, la montée en puissance de la Chine dans le domaine technologique a surpris de nombreux observateurs. Il est temps pour l’Europe d'adopter une approche plus stratégique et plus pragmatique vis-à-vis de la Chine.

La pianiste chinoise Yuja Wang accompagnée de 120 musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Berlin lors d’un concert symphonique le 26 juin 2024 à Shanghai.

Quel regard portez-vous sur les relations sino-allemandes ? Comment la Chine et l’Allemagne peuvent-elles rééquilibrer les bénéfices économiques et réduire les divergences politiques ?

L'Allemagne, pilier de l'Union européenne, se trouve à un carrefour délicat dans ses relations avec la Chine. Deux tendances inquiétantes se dessinent. D'une part, on assiste à une recrudescence des idéologies, tant en Chine qu'en Allemagne. Les débats politiques allemands, autrefois pragmatiques, tendent aujourd'hui vers une polarisation idéologique, rendant les échanges avec la Chine plus difficiles. Or, l'histoire nous enseigne que la diplomatie allemande a souvent brillé par son pragmatisme, comme en témoignent les mandats des deux anciens chanceliers allemands Willy Brandt et Helmut Schmidt, qui ont su concilier fermeté sur les principes et ouverture au dialogue.

Deuxièmement, la confiance mutuelle, jadis solide entre l'Allemagne et la Chine, s'est érodée. Si des désaccords existaient par le passé, ils étaient généralement surmontés grâce à un climat de confiance qui permettait un dialogue franc et ouvert. Aujourd'hui, cette confiance semble s'étioler, ce qui rend les échanges plus difficiles et accroît le risque de malentendus. Or, un dialogue constructif est essentiel pour gérer les divergences et trouver des solutions mutuellement bénéfiques. Il est regrettable de constater que, dans ce contexte, c'est souvent la Chine qui semble faire preuve d'une plus grande ouverture au dialogue.

En Allemagne, la politique vis-à-vis de la Chine est marquée par une profonde ambivalence. D'un côté, les préoccupations politiques, notamment liées à la dépendance économique, poussent à adopter une approche plus prudente, voire à envisager une réduction des risques. De l'autre, les acteurs économiques, conscients de l'importance stratégique du marché chinois et de son avance technologique, plaident en faveur d'un renforcement des liens commerciaux et d'une collaboration accrue. Cette dualité reflète la complexité des enjeux liés aux relations germano-chinoises.

Ainsi, alors que les préoccupations politiques quant à la dépendance économique envers la Chine s'intensifient, les entreprises allemandes, attirées par le potentiel du marché chinois, cherchent à maintenir et à renforcer leurs positions. Cette dualité d'approches pourrait déboucher sur un compromis, où les intérêts économiques et les préoccupations politiques seraient mieux pris en compte, favorisant ainsi une relation bilatérale plus équilibrée.

Quels sont les points de divergence dans la politique menée par l’Union européenne vis-à-vis de la Chine ?

L'Union européenne ne dispose pas d'une politique unifiée vis-à-vis de la Chine. Les États membres affichent des approches divergentes. À titre d'exemple, tandis que la Hongrie, sous l'impulsion de Viktor Orbán, privilégie une relation pragmatique et s'est fortement engagée dans les projets chinois tels que les Nouvelles Routes de la Soie, les pays baltes adoptent une position plus critique, souvent en phase avec les États-Unis. De manière générale, les pays nordiques tendent à partager cette perspective plus méfiante envers la Chine.

L'Allemagne occupe une position centrale dans les échanges commerciaux avec la Chine au sein de l'UE. Des villes comme Duisbourg, avec ses liaisons ferroviaires directes vers la Chine, et Wolfsburg, siège de Volkswagen, illustrent parfaitement l'importance des relations économiques sino-allemandes. Ces échanges commerciaux ont généré de nombreux emplois en Allemagne, renforçant ainsi le soutien populaire en faveur de ces relations. Néanmoins, dans d'autres régions, où les liens économiques avec la Chine sont moins intenses, les opinions publiques sont plus partagées, voire méfiantes à l'égard de ce partenariat.

La Chine est un pays complexe et diversifié, tout comme l’Europe. Depuis la création de l’Union européenne, celle-ci aspire à parler d’une seule voix sur la scène internationale. Toutefois, cet objectif demeure difficile à atteindre dans la pratique. Bien que l’Europe ait réalisé des avancées remarquables dans de nombreux domaines, sa véritable force réside précisément dans sa diversité. Cette diversité, cependant, complique la construction d’une position politique unifiée. Ainsi, l’Europe continuera probablement à fonctionner comme une « chorale » où plusieurs voix coexistent, parfois en harmonie, parfois en désaccord.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : 24e Foire internationale de l'investissement et du commerce de Chine (CIFIT) le 8 septembre 2024 à Xiamen. © CNS

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