
Les mystérieux bâtiments « Jiageng » : un trésor architectural méconnu qui unit l’Orient et l’Occident
Il y a plus de cent ans, Chen Jiageng (Tan Tah Kee, 1874 - 1961), célèbre figure parmi les Chinois immigrés en Asie du Sud-Est, nourrissait le rêve de renforcer son pays natal, la Chine, par l’éducation. Au cours de ses investissements dans l'enseignement, il planifia et construisit personnellement des bâtiments alliant styles chinois et occidentaux, connus sous le nom d'architecture « Jiageng ».
À Xiamen, ces bâtiments, principalement situés dans le village académique de Jimei et sur le campus de l'université de Xiamen, sont devenus des symboles emblématiques de la ville.
Comment se définit ce style architectural ? Pourquoi sont-ils devenus les vecteurs de l'esprit d’initiative de cet homme d'affaires ? À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Chen Jiageng, Chen Zhihong, doyen de la faculté d'architecture de l'université des Chinois d'outre-mer, membre de la Société chinoise d’architecture répond à ces questions.
Qu'est-ce que l'architecture Jiageng ? Quelles sont ses caractéristiques ?
En 1984, le professeur Chen Congzhou de l'université Tongji publiait dans le Xiamen Daily un article intitulé Un architecte d’exception : monsieur Chen Jiageng, introduisant pour la première fois le concept d'architecture « Jiageng ». Ce terme désigne les bâtiments éducatifs construits grâce aux dons de Chen Jiageng au début du XXe siècle, dont il a dirigé la planification, le design et la supervision des travaux. Parmi eux, le village académique de Jimei et l'université de Xiamen en constituent aujourd'hui les représentants les plus complets et les mieux préservés.
Ancien site de l'école Tao Nan à Singapour
Les bâtiments du village académique de Jimei sont principalement répartis en cinq zones : la zone de l’Institut maritime (bâtiments Wen, Yungong, Chongjian, Haitong, Kerang) ; la zone de la faculté d’économie et de finance (bâtiments Shangzhong, Songshi, Dunshu, etc.) ; la zone de l’Institut des études chinoises (bâtiments Nanyang 1, 2, 3, 4, 13, 14, 15, 16, ainsi que la porte sud et d'autres structures) ; la zone du lycée de Jimei (bâtiments Yanping, Daonan, Nanxun, Limin, etc.) ; et la zone commémorative de Jiageng (résidence de Chen Jiageng, Guilaitang, Aoyuan, etc.). On peut aussi citer le musée des sciences, le bâtiment Yangzheng et l’ancien site de l’école d’agriculture et de foresterie de Jimei.
L’architecture Jiageng fusionne les éléments des bâtiments des communautés chinoises d’outre-mer avec des traditions locales, créant un style architectural harmonieux et innovant, alliant Occident et Orient. Ces bâtiments sont des représentants exceptionnels de cette culture architecturale des Chinois d’outre-mer. Ils reflètent la vision de Chen Jiageng, qui, tout en honorant les traditions culturelles chinoises, a adopté une approche ouverte, intégrant diverses influences culturelles avec un esprit de tolérance et d’innovation.
Dans sa conception, Chen Jiageng insistait sur l'intégration des bâtiments dans leur environnement naturel. Il recherchait une harmonie entre la beauté artificielle et naturelle. Les constructions étaient adaptées au relief, souvent situées entre mer et montagne pour maximiser les avantages de l’environnement. L’organisation des bâtiments favorisait des espaces ouverts et mettait en valeur les façades principales, grâce à des agencements linéaires autour de grands espaces. L’ordre dans la disposition reflétait une hiérarchie architecturale inspirée à la fois des traditions orientales et occidentales. Une attention particulière était accordée au design des paysages et des éléments décoratifs extérieurs.
Les bâtiments Jiageng se distinguent par leurs détails raffinés et le soin apporté à l’utilisation des matériaux. À leurs débuts, la plupart des matériaux étaient importés de l’étranger. Cependant, à partir des années 1920, les matériaux locaux, comme la brique rouge et la pierre, sont devenus prédominants, intégrant les techniques artisanales traditionnelles chinoises aux styles architecturaux occidentaux. Cette fusion a donné naissance à des murs en briques et en pierres riches en variations esthétiques.
En outre, les bâtiments des écoles de Jimei et de l’université de Xiamen ont largement utilisé les « tuiles Jiageng », une innovation de Chen Jiageng, qui combinait les techniques des tuiles traditionnelles du sud du Fujian et des tuiles occidentales.
Quelle est la valeur de ces bâtiments ?
Le professeur Chen Congzhou les a décrits comme des expressions de « la pensée et de l’art de Chen Jiageng, où les émotions pour sa terre natale et sa réflexion pour la nation transparaissent dans ces bâtiments ». Ainsi, leur préservation est cruciale pour la transmission et la promotion de cet « esprit ».
Bâtiment Qunxian de l'Université de Xiamen
C’est un témoignage matériel de cet esprit ainsi que des réalisations éducatives et architecturales de Chen Jiageng. En tant que figure éminente des communautés chinoises d’outre-mer de l’époque moderne, Chen Jiageng a grandement contribué à l’éducation, à la politique, à l’économie et à des œuvres philanthropiques en Chine. Les bâtiments Jiageng reflètent le développement de son projet éducatif, jouant un rôle significatif dans l’histoire des Chinois d’outre-mer, de l’éducation et de l’architecture.
Les bâtiments Jiageng possèdent un style architectural unique, représentant une expression localisée de la renaissance des architectures traditionnelles chinoises. Leur conception se distingue par l’harmonie entre l’espace et la couleur, la composition des façades, les textures des matériaux, les formes structurelles, les procédés de construction ainsi que les détails et les motifs décoratifs. En introduisant des éléments et des formes architecturales occidentales tout en utilisant des matériaux et savoir-faire locaux, les bâtiments Jiageng incarnent une véritable fusion entre les cultures architecturales orientales et occidentales.
C’est un témoignage historique de l’engagement de Chen Jiageng en faveur de l’éducation, incarnant la culture des Chinois d’outre-mer et leur philosophie d’« éducation pour sauver la nation ». Ils sont également des symboles d’identité et de transmission culturelle pour la diaspora chinoise. Leur préservation contribue à renforcer les liens entre les communautés chinoises d’outre-mer et leur pays d’origine.
L’université des Chinois d’outre-mer a pris en charge de nombreux travaux de restauration des bâtiments Jiageng. Comment les protéger de manière ciblée pour leur insuffler une nouvelle vitalité ?
L’équipe de conception de l’université a récemment entrepris plusieurs projets de restauration des bâtiments Jiageng, notamment La tombe de Chen Jiageng, son ancienne résidence ; Le parc et le pavillon Guilaitang ; L’ancien site de l’école d’agriculture et de foresterie de Jimei ; L’ancien site de l’école normale rurale de Jimei ; L’ancien site de l’école Le’an du district de Jimei ; La porte sud de l’école de rattrapage pour les étudiants chinois d’outre-mer à Jimei.
Lors des travaux de restauration, l’équipe a accordé une grande importance à l’exploration et à la conservation des informations historiques. L’équipe a mené des études détaillées et des relevés sur site afin d’analyser l’état des bâtiments. Les restaurations respectent l’authenticité des bâtiments en employant des matériaux et des techniques traditionnels, préservant ainsi leur valeur historique et architecturale. Les éléments comme l’agencement des bâtiments, leurs relations avec le terrain, leurs plans, leurs toitures, leurs façades, la composition des murs, et les matériaux utilisés ont été étudiés en détail pour orienter les travaux.
Le Jiannan Building Group de l’Université de Xiamen, niché entre les montagnes et la mer
Comment relier les bâtiments Jiageng en Chine et à l’étranger pour en faire un patrimoine culturel transfrontalier ?
Outre sa contribution à la région de Xiamen et ses alentours, Chen Jiageng a mené d’importants projets éducatifs à l’étranger, notamment à Singapour, où il a participé à la fondation de la Tao Nan School et initié la création du Nanyang High School of Singapore, parmi d’autres établissements de langue chinoise. Ces bâtiments, marqués par un style architectural distinctement « Jiageng », ont été classés monuments nationaux à Singapour.
Ces bâtiments, répartis en Chine et en Asie du Sud-Est, témoignent du parcours de cet homme, depuis son village natal dans le sud du Fujian jusqu’à ses initiatives éducatives en Asie du Sud-Est. Il a construit un système éducatif complet englobant l’éducation préscolaire, primaire, professionnelle et supérieure.
Tant en Chine qu’à l’étranger, ces bâtiments partagent des liens étroits dans leur agencement spatial, leur fonction, leur histoire humaine et les événements majeurs qu’ils ont accueillis. Ensemble, ils forment un tout organique indissociable, racontant une histoire complète de l’éducation et de l’architecture Jiageng. De plus, nombre de ces bâtiments continuent à remplir une fonction éducative. Ils se présentent comme un patrimoine culturel transfrontalier intégral, illustrant un dialogue constant entre traditions locales et influences internationales.
La participation de différents pays à la construction d’un récit commun autour du patrimoine historique et culturel peut favoriser la coopération dans la préservation des patrimoines culturels transnationaux. Cela encourage également les échanges et l’apprentissage mutuel entre nations, ethnies et cultures. La protection conjointe des bâtiments éducatifs Jiageng, répartis entre la Chine et l’étranger, offre une opportunité de créer de nouvelles voies de coopération et de dialogue culturel.
Le patrimoine architectural des Chinois d’outre-mer, représenté par les bâtiments Jiageng, témoigne des luttes et du développement des communautés chinoises dans le monde. Ces bâtiments incarnent aussi la rencontre entre la culture chinoise et diverses cultures locales, mettant en lumière l’innovation et la capacité d’inclusion de la culture chinoise. En tant que centres culturels des communautés chinoises d’outre-mer, ces bâtiments jouent un rôle clé dans la diffusion internationale de la culture chinoise, notamment à travers l’organisation d’événements et de célébrations traditionnelles, devenant ainsi des plateformes de dialogue entre civilisations.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Jimei School Village à Xiamen
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