[Interview] Deng Li, ambassadeur de Chine en France, trace la voie d'un partenariat sino-européen durable
Dans un entretien exclusif à Nouvelles d’Europe, l’ambassadeur de Chine en France, M. Deng Li, revient sur les temps forts de la coopération bilatérale sino-française, les perspectives des relations sino-européennes, les récentes avancées dans le dialogue économique avec les États-Unis, ainsi que sur le rôle croissant des entreprises chinoises en France.
Nommé en début d’année ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République populaire de Chine en France et à Monaco, Deng Li, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, connaisseur des relations sino-européennes, est un diplomate chevronné. Sa prise de fonctions coïncide avec le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France en 1964, et un moment de recomposition de l’ordre mondial où Pékin entend affirmer son rôle de puissance responsable. Dans ce contexte, l’entretien qu’il accorde dessine les contours d’une relation sino-française, et plus largement sino-européenne, appelée à se renforcer dans un monde traversé par l’incertitude.
Un an après la visite d’État de Xi Jinping en France, quel bilan tirez-vous des relations sino-françaises et de leurs perspectives ?
Cette visite a été riche en résultats : les deux parties ont publié quatre déclarations conjointes et signé près de vingt accords de coopération bilatérale. Les deux chefs d’État et leurs épouses ont eu un échange restreint dans les Hautes-Pyrénées, créant un nouveau moment fort dans la diplomatie entre les dirigeants chinois et français.
Un an plus tard, ces consensus sont en cours de mise en œuvre : la Chine a soutenu fermement la France dans l’organisation des Jeux olympiques de Paris ; en 2024, 343 300 Français se sont rendus en Chine, soit le double de 2023, et un million de touristes chinois ont visité la France ; une liaison aérienne directe Marseille-Shanghai a été ouverte ; le premier satellite astronomique codéveloppé par la Chine et la France a été lancé avec succès ; et le parc national des pandas géants en Chine et le parc national des Pyrénées en France ont officiellement établi un partenariat.
La visite du président chinois a également apporté son lot d’opportunités aux Pyrénées. Dans une interview avec les médias chinois, le préfet Jean Salomon s’est réjoui que le bureau du tourisme local soit devenu l’interlocuteur privilégié des touristes chinois. Les vins locaux ont fait leur entrée sur le marché chinois et les démarches d’exportation du jambon de porc noir de Bigorre vers la Chine avancent activement.
Depuis le début de l’année, le vice-Premier ministre Zhang Guoqing, représentant spécial du président Xi Jinping, s’est rendu en France pour participer au sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle ; le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a effectué une visite réussie en Chine ; à l’occasion du dixième anniversaire de l’accord de Paris, la Chine et la France ont publié une déclaration conjointe sur le changement climatique ; le vice-Premier ministre He Lifeng a coprésidé avec la partie française le 10e dialogue économique et financier de haut niveau sino-français à Paris ; enfin, trois singes dorés venus de Chine — Jindou, Jinbao et Jinhua — se sont installés au zoo de Beauval… La coopération bilatérale dans tous les domaines continue de produire des résultats.
Vous avez pris vos fonctions alors que la Chine et la France célèbraient encore le soixantenaire de l’établissement de leur relations diplomatiques. Quelles sont vos premières impressions depuis votre arrivée ?
En quatre mois, une chose s’impose avec clarté : certains repères restent inchangés. Premièrement, l’esprit d’indépendance de la relation n’a pas changé. C’est le fondement de la relation diplomatique entre les deux pays. Être indépendant, c’est gérer ses affaires en fonction de ses intérêts fondamentaux. Récemment, j’ai rencontré de nombreux responsables et anciens dirigeants français, et ce que j’ai le plus entendu, c’est : « Nous devrions faire quelque chose ensemble. » Tous appellent à renforcer la coordination et la coopération sino-française et sino-européenne face aux évolutions de la situation mondiale, faisant preuve d’une lucidité stratégique, sans se laisser aveugler par les apparences.
Quelle que soit l’évolution du monde, la Chine et la France doivent penser à leur développement à long terme et définir de manière autonome leur politique intérieure et extérieure. Quelle que soit la reconfiguration des rapports de force internationaux, nos deux pays doivent résister aux pressions, tenir tête à l’unilatéralisme, dépasser les divergences idéologiques, se concentrer sur les intérêts communs de nos deux nations et sur le bien-être de l’humanité, et développer leurs relations sur la base de l’égalité et du respect mutuel, en se tenant résolument du bon côté de l’histoire.
Deuxièmement, l’esprit de coopération pragmatique reste le fil conducteur. En 2024, le volume des échanges commerciaux bilatéraux sino-français a atteint 79,6 milliards de dollars, et les investissements croisés ont dépassé 27 milliards de dollars. Des entreprises françaises comme Airbus, Schneider Electric, STMicroelectronics, Valeo ou encore L’Oréal réalisent d’excellentes performances en Chine.
Lors de mes récents échanges avec les milieux d’affaires français, j’ai clairement ressenti qu’ils considèrent que la coopération avec la Chine est une voie bien plus prometteuse que le repli sur soi. Ils croient au développement économique à long terme de la Chine, considèrent son marché comme incontournable, et souhaitent renforcer leur présence en Chine. Certes, il existe certains problèmes dans la coopération économique bilatérale, mais ces problèmes naissent de la coopération, et c’est également par la coopération qu’ils doivent être résolus.
La Chine a complètement supprimé les restrictions d’accès des capitaux étrangers dans le secteur manufacturier, a ouvert de manière autonome des secteurs comme les biotechnologies, l’informatique en nuage, les télécommunications à valeur ajoutée, et les hôpitaux à capitaux exclusivement étrangers. Le niveau global de ses droits de douane a été ramené à 7,3 %, proche de celui des pays développés. La Chine et la France doivent maintenir leur orientation coopérative, encourager les entreprises des deux pays à élargir leurs échanges et faire progresser la coopération sur une base toujours plus solide.
Troisièmement, l’estime mutuelle entre nos deux peuples est restée vive et sincère. Je n’occupe mes fonctions que depuis peu de temps et n’ai pas encore eu l’occasion de visiter toutes les régions françaises, mais lors de ma récente visite en Bretagne, à l’invitation de mes hôtes, j’ai clairement perçu une forte volonté des collectivités locales de renforcer les échanges et la coopération avec la Chine. La Chine d’aujourd’hui est un pays où fleurissent les idées innovantes, où traditions et modernité s’entrechoquent pour produire des possibilités infinies. Nous espérons que nos amis français, et tout particulièrement les jeunes, se rendront nombreux en Chine, pour voir, découvrir et embrasser ce pays en pleine transformation.
Comment envisagez-vous l’avenir des relations diplomatiques Chine–UE à l’heure du 50e anniversaire de leur établissement ?
Les cinquante années de relations diplomatiques sino-européennes ont été un processus au cours duquel deux grandes entités politiques internationales ont progressivement établi une confiance mutuelle dans le respect et la coopération ; un processus au cours duquel deux grandes entités économiques ont avancé chacune sur leur propre voie en se soutenant par la coopération ; et un processus au cours duquel deux grandes civilisations ont approfondi leur compréhension réciproque par le dialogue.
Le commerce bilatéral entre la Chine et l’UE est passé de 2,4 milliards de dollars, au moment de l’établissement de leurs relations, à plus de 780 milliards de dollars l'an dernier. Le stock d’investissements croisés est passé de presque rien à 260 milliards de dollars. L’accord sino-européen sur les indications géographiques a donné lieu à la publication d’une deuxième liste de 175 produits pour chaque partie, ce qui permet à un nombre croissant de produits de qualité d’entrer sur les marchés respectifs et de finir sur les tables des consommateurs. Les échanges culturels et humains entre la Chine et l’Europe sont de plus en plus étroits : les deux parties ont conjointement organisé une année culturelle et une année du tourisme Chine-UE, et la politique d’exemption unilatérale de visa mise en place par la Chine concerne désormais 24 États membres de l’UE.
Nous nous réjouissons de constater que les deux parties consolident de plus en plus leur consensus sur le développement futur des relations sino-européennes. La récente décision conjointe de la Chine et du Parlement européen de lever totalement les restrictions aux échanges mutuels en est un signe positif. La prochaine étape sera de traduire ce consensus en actions concrètes.
Quel regard portez-vous sur les résultats de la récente rencontre économique de haut niveau entre la Chine et les États-Unis à Genève ?
Les discussions ont été franches, approfondies et constructives. Les deux parties ont reconnu l’importance des relations économiques et commerciales sino-américaines pour les deux pays et pour le monde. Elles ont convenu d’établir un mécanisme de consultation bilatéral sur les questions économiques et commerciales en désignant des responsables respectifs. Enfin elles ont accepté de réduire considérablement les droits de douane bilatéraux. Ainsi les États-Unis ont supprimé 91 % des surtaxes imposées à la Chine, et la Chine a supprimé en réponse 91 % de ses mesures de rétorsion douanières ; les États-Unis suspendent 24 % de certains droits de réciprocité, et la Chine en fait de même avec les droits et mesures non tarifaires correspondants.
Cette réunion très attendue a une portée symbolique forte. La position chinoise sur la guerre commerciale est constante. « Celui qui a noué le nœud doit le défaire » : si on nous attaque, nous répondrons ; mais si l’on veut dialoguer, notre porte est ouverte. Depuis avril, les États-Unis ont multiplié les surtaxes envers la Chine, ce qui leur a causé des dommages internes : au premier trimestre, le PIB américain a reculé de 0,3 % en rythme trimestriel, les risques de récession ont augmenté, la pression inflationniste s’est accrue, l’activité portuaire a diminué, et le secteur des services a été touché. Cela démontre que la mondialisation économique est une tendance irréversible, et que les problèmes qui en découlent ne peuvent être réglés que par la coopération. La route à venir ne sera peut-être pas sans obstacles, mais les deux pays doivent prendre cette réunion comme un nouveau point de départ.
Quelle est votre vision du développement des entreprises chinoises en France et en Europe ? Quel message souhaitez-vous adresser aux Chinois d’outre-mer vivant en France ?
Il y a plus de quarante ans, la politique de « réforme et d’ouverture » a offert de grandes opportunités de développement aux entreprises françaises et européennes en Chine. Aujourd’hui, le stock des investissements français en Chine atteint environ 22,6 milliards de dollars, avec plus de 2 000 entreprises françaises opérant sur le territoire chinois. Ces entreprises ont prospéré grâce au développement rapide de la Chine, tout en contribuant, en retour, à l’économie et à la société françaises.
D’un autre côté, la croissance rapide de la Chine a permis à ses entreprises d’acquérir progressivement la capacité d’investir en France et en Europe. Actuellement, le stock d’investissements directs chinois en France s’élève à environ 4,8 milliards de dollars, et près de 1 000 entreprises chinoises y exercent leurs activités. Dans l’ensemble, la coopération mutuellement bénéfique entre la Chine, la France et l’Europe entre dans une nouvelle phase et je suis confiant dans les perspectives de développement des entreprises chinoises en France et en Europe. J’encourage ces entreprises à approfondir leur coopération avec leurs partenaires français et européens dans les domaines de l’énergie verte, de la fabrication intelligente, de la biopharmacie et de l’intelligence artificielle, afin de produire davantage de résultats concrets.
Les Chinois d’outre-mer gardent un profond attachement à la patrie et se sentent sincèrement fiers de son développement continu. Depuis toujours, les membres de la communauté chinoise en France perpétuent les traditions de leur peuple, s’intègrent activement à la société locale, soutiennent l’unité et le développement de leur pays d’origine, et, tout en développant leur propre carrière et contribuent de manière significative aux relations sino-françaises.
Leur histoire constitue un chapitre du grand récit de la Chine en marche, un petit ruisseau nourrissant le fleuve de l’amitié sino-française. L’ambassade continuera, comme toujours, à se soucier de ses compatriotes en France et à être leur soutien solide.
Interview traduite et adaptée du chinois.
Photo : Deng Li, ambassadeur de Chine en France et à Monaco © ambassade de Chine en France.
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