Le Parti Communiste Chinois : 100 ans et 91 millions de militants

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La Chine prépare les festivités du centenaire du Parti communiste chinois (PCC), qui se tiendront au mois de juillet. Fondé en 1921, le parti dirigeant de la République populaire de Chine depuis 1949 bat un record de longévité. Plus de 91 millions de Chinois en sont membres, un chiffre en constante augmentation. Preuve que le PCC reste attractif, et semble bien parti pour un second centenaire.

Deuxième plus grand parti du monde en nombre de militants, derrière le Bharatiya Janata Party indien, le PCC fêtera son centième anniversaire ce 23 juillet. Lorsqu’il fut fondé dans la concession française de Shanghai, il réunissait seulement quelques militants qui avaient pris part au mouvement anticolonialiste et progressiste du 4 mai 1919. Son idéologie n’a depuis jamais fondamentalement changé. C’est en effet pour moderniser la Chine que le PCC s’est inspiré des théories marxistes.

Le PCC, héritier d’un mouvement anticolonialiste


Les dates clés de l'histoire du PCC

2021 : le PCC compte plus de 90 millions de membres et dirige le pays le plus peuplé du monde. Cent ans plus tôt, lorsqu’ils terminaient leur tout premier congrès sur un petit bateau au milieu d’un lac de la ville de Jiaxing, dans la province du Zhejiang, les premiers membres du PCC ne s’imaginaient certainement pas ce qu’allait devenir leur organisation. Plus de 50 délégués, venus de toutes les provinces de la République de Chine, s’étaient retrouvés à Shanghai, en pleine concession française. Ils étaient poursuivis par les autorités, l’engagement communiste étant illégal à l’époque. C’est donc dans une Chine bien différente de celle d’aujourd’hui que le PCC a été fondé. Le traité de Versailles, signé en 1919, avait en effet conduit au partage de territoires chinois entre les grandes puissances occidentales, victorieuses de la Première Guerre mondiale (les intérêts conquis dans la province du Shandong par les Japonais avaient été ainsi transférés à l’Allemagne). La ville de Shanghai, dans laquelle les membres du PCC s’étaient retrouvés en secret, était divisée en plusieurs concessions, allemande, française, anglaise, russe, italienne, japonaise et américaine. Ces communistes chinois de la première heure avaient alors un seul objectif : libérer la Chine de l’impérialisme et la sortir de la misère dans laquelle elle était plongée depuis la fin de l’Empire. Sur ces points, ils rejoignaient donc les revendications du mouvement du 4 mai 1919, formé en réponse au traité de Versailles. Des milliers de jeunes Chinois s’étaient alors réunis pour manifester à Pékin, parmi lesquels défilaient de nombreux patriotes et communistes, dénonçant la situation d’une Chine qui aurait perdu sa souveraineté depuis les Guerres de l’Opium et les « Traités inégaux ». À leurs yeux, la dernière dynastie Qing, dans ses dernières années avant la Révolution nationaliste de 1911, s’était révélée incapable de moderniser le pays et n’avait pas pu faire face aux envahisseurs. Cette même révolution nationaliste menée en 1911 par Sun Yat-Sen, qui a été à la Chine ce que la Révolution de 1789 a été à la France, qui n’avait pas suffi. Il fallait trouver autre chose : le communisme apparaissait à certains de plus en plus comme la seule voie possible.

Le fil directeur de l’idéologie du PCC est toujours resté le même depuis 100 ans. Les communistes chinois ont toujours considéré que la Chine avait raté le wagon de la modernité à la fin du XIXe siècle.

Ce tout premier congrès fondateur du PCC, qui s’était tenu le 23 juillet 1921, réunissait plusieurs grandes figures du tout jeune mouvement. Parmi les 50 délégués présents se trouvaient Chen Duxiu, Li Dazhao, ou encore Mao Zedong. Le premier avait grandement participé au mouvement du 4 mai. Il avait réalisé ses études au Japon et s’était très tôt intéressé aux théories marxistes, avant de lancer un journal qui allait diffuser les idées rationalistes occidentales en Chine : le quotidien Nouvelle Jeunesse (Xin qingnian 新青年). Le second avait également fait ses études au Japon et critiquait le pouvoir autoritaire de la Chine nationaliste, alors dirigée d’une main de fer par Yuan Shikai. Le troisième, que l’on ne présente plus, allait devenir l’un des plus importants dirigeants du XXe siècle.

100 ans de continuité idéologique

Le fil directeur de l’idéologie du PCC est toujours resté le même depuis 100 ans. Les communistes chinois ont toujours considéré que la Chine avait raté le wagon de la modernité à la fin du XIXe siècle, alors même que partout dans le monde, les idées des Lumières empreintes de modernisation s’étaient comme inéluctablement propagées. En 1921, la Chine était encore majoritairement rurale et pauvre, tandis qu’une classe ouvrière ne s’y développait que très lentement. Pour les communistes chinois, il fallait donc que la Chine combatte en priorité la féodalité, avant de passer au socialisme et au communisme. C’est pourquoi ils étaient prêts à s’allier avec la « bourgeoisie nationale » chinoise, qui comprenait les intellectuels, les scientifiques, ou encore de nombreux lettrés de l’époque impériale. Une alliance résumée sous le terme de « démocratie nouvelle » (xin minzhu zhuyi 新民主主义), théorisée par Mao Zedong, symbolisée par ailleurs sur le drapeau de la République populaire de Chine : la grande étoile correspond au Parti communiste, qui trône au milieu des quatre autres étoiles, représentant la paysannerie, la classe ouvrière, la petite bourgeoisie et les capitalistes patriotes. Le communisme chinois s’est ainsi très tôt distingué du communisme d’autres pays comme l’Union soviétique, faisant de la modernisation et de la production économique le fer de lance du PCC. Ce n’est donc pas un hasard si la « politique de réforme et d’ouverture » lancée par Deng Xiaoping dans les années 1980 a réhabilité le « rôle progressiste » de la bourgeoisie chinoise. Une formule qu’il a résumée par la fameuse répartie : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, du moment qu’il attrape la souris ». Sans se départir toutefois de quatre principes fondamentaux : le maintien du socialisme, le maintien de la dictature démocratique populaire, ainsi que le maintien du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao.

En continuité avec cette théorie, Jiang Zemin, son successeur, issu de la nouvelle génération post-maoïste, a lancé, en l’an 2000, la théorie des trois représentativités (san ge daibiao 三个代表). À compter de cette date, le Parti devait représenter le besoin de développement des forces productives les plus avancées du pays, la culture la plus avancée du pays, et enfin les intérêts fondamentaux du peuple dans son ensemble, et non plus seulement ceux du prolétariat. Par la suite, ses successeurs chercheront à contrebalancer les effets négatifs associés au rétablissement d’une économie de marché. On peut ainsi évoquer la théorie de la « société harmonieuse » (hexie shehui 和谐社会) lancée par Hu Jintao en 2004, visant à combattre la corruption et à donner plus d’importance à la justice sociale. De même, l’actuel secrétaire général du Parti, Xi Jinping, a renforcé la mission historique du Parti communiste chinois à travers sa théorie du « grand renouveau de la nation chinoise » (zhonghua minzu weida fuxing 中华民族伟大复兴). En clair, le Parti communiste chinois fonctionne comme un bloc idéologique, composé de plusieurs sédiments qui se superposent et dont la trame reste dans l’ensemble inchangée depuis 1921. Une recherche d’équilibre et d’avancée par tâtonnements, qui se résume par cette expression que tous les Chinois connaissent : « Rechercher la vérité par les faits » (shishi qiushi 实事求是).

Le fonctionnement du PCC

Encore aujourd’hui, plus de la moitié de ses 91 millions de membres appartiennent à la catégorie des employés, des ouvriers et des agriculteurs.

Le fonctionnement du PCC est directement inspiré du Parti communiste d’Union soviétique. Il repose sur le principe du « centralisme démocratique », théorisé par Lénine, que l’on peut résumer par la formule : « liberté dans la discussion, unité dans l’action ». Les discussions entre les membres se font à huis clos, tandis que l’application des principes décidés lors du congrès doit être rigoureusement observée. Ainsi, depuis 1921, le PCC a organisé plus de 19 congrès (le dernier s’étant tenu en 2017). Aujourd’hui pleinement institutionnalisé, le « Congrès national du Parti » détermine l’orientation politique du pays pour une période de 5 ans. Il rassemble les délégués élus par 91 millions de membres, eux-mêmes répartis au sein d’une structure pyramidale. La Chine s’appuie sur un maillage très dense de comités locaux : 31 au niveau régional, 397 au niveau municipal, 2 774 au niveau du district (xian 县), 8 636 au niveau du sous-district (chengshi jiedao 城市街道), 31 062 au niveau des bourgs et cantons (xiang, zhen, , 镇), et enfin 105 257 au niveau des quartiers (shequ 社区). Le PCC peut également s’appuyer sur ses organisations de base (jiceng dang zuzhi 基层党组织) dans les entreprises privées ou dans les établissements publics. En 2019, le pays ne comptait pas moins de 4,7 millions d’organisations de base, soit 71 000 de plus qu’en 2018.

Des adhésions en pleine augmentation

Les chiffres clés sur les membres du PCC

Aujourd’hui, pour les Chinois, le fait d’intégrer le PCC n’a rien d’anodin. L’adhésion se fait sur la base d’une candidature qui nécessite de passer par un concours. Une fois admis, certains membres suivent encore une formation à l’intérieur même du PCC. En 2019, le Parti comptait près de 91 millions de membres, soit plus de 1,3 million de plus qu’en 2018. Près de 18,9 millions de Chinois avaient candidaté, et seulement la moitié d’entre eux a pu y entrer. 27,9 % du PCC sont composés de femmes, 7,4 % de minorités ethniques, et 50,7 % de diplômés d’études supérieures.

Historiquement, le PCC représente en priorité les intérêts du monde du travail. Encore aujourd’hui, plus de la moitié de ses 91 millions de membres appartiennent à la catégorie des employés, des ouvriers et des agriculteurs. Rappelons par ailleurs que ces derniers ne sont pas de grands propriétaires terriens, dans la mesure où les terres relèvent de la propriété collective ou étatique, et que les fermes sont le plus souvent de minuscules structures familiales. Cette composition sociologique contraste avec l’idée, souvent répandue, que le PCC serait devenu un parti d’élite. Les cadres du secteur privé, qui ont pu intégrer le PCC depuis le mandat de Jiang Zemin, sont en réalité largement minoritaires.

La politique de réforme et d’ouverture lancée par Deng Xiaoping n’est pas synonyme d’un désenchantement idéologique ou d’une dépolitisation des nouvelles générations. De nombreux Chinois qui n’avaient pas connu la période maoïste ont continué d’adhérer au PCC : parmi ses 91 millions de membres, 49 millions avaient moins de 50 ans en 2019.

Un engagement au plus près du terrain

Comme le résumait la formule de Mao Zedong : « Tout révolutionnaire doit être parmi les masses comme un poisson dans l’eau. » Au niveau local, en particulier au niveau des comités de quartiers, les membres du PCC jouent ainsi un rôle crucial dans de nombreux aspects de la vie sociale. Ils ont distribué les paniers-repas pendant la crise de la Covid-19, posent des digues lors des inondations, recensent les populations dans les démarches de sécurité sociale ou de lutte contre la pauvreté. Dans les organisations de base, ils travaillent pour diffuser les idées du Parti et pour assurer l’application des décisions prises lors du congrès national. À l’heure où le PCC fête ses 100 ans, le rôle des militants de base est de plus en plus important. Qu’elle procède de la quête d’un prestige social ou d’un dévouement moral, la motivation des Chinois à intégrer le PCC est toujours plus importante : la part des membres du Parti dans la population totale de la Chine est d’ailleurs en augmentation. Le PCC ne serait-il pas bien parti pour fêter un second centenaire ?



Article initialement paru dans  Le 9  magazine n°40, Juin 2021.

Photo : OU Dongqu/Xinhua








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