Mathématiques : Zhang Yitang tente de prouver que « les points zéro n’existent pas »

1676888650022 China News Huo Siyi

Le 4 novembre 2022, Zhang Yitang a soumis un article de 111 pages intitulé « Discret mean estimates and the Landau-Siegel zero » au serveur de prépublication arXiv, qui n’a pas encore été examiné par ses pairs. Il prouve, entre autres, que les points zéro de Landau-Siegel n’existent pas. 

Cette publication pourrait être encore plus significative que celle sur la conjecture des nombres premiers jumeaux qui a rendu Zhang Yitang « célèbre » en 2013. Si les recherches de Zhang Yitang s’avèrent exactes, elles pourraient conduire à des progrès dans tous les domaines mathématiques.

« Je rêvais de prouver que les points zéro n’existent pas »

Quel problème soulève la conjecture des zéros de Landau-Siegel ? Zhang Yitang a dit un jour que son rêve était de « prouver que de tels points zéro n’existent pas », car cela ébranlerait toute la conjecture de Riemann.

La conjecture de Riemann et l’hypothèse de Riemann généralisée visent toutes deux à résoudre le problème de la répartition des nombres premiers. Un nombre premier est un nombre entier naturel divisible uniquement par un et par lui-même. L’étude des nombres premiers est un problème fondamental de la théorie des nombres. Si le mystère de leur répartition venait à être résolu, de nombreuses hypothèses existantes seraient élucidées.

Dès le XVIIIe siècle, l’Homme a prouvé qu’il existe une infinité de nombres premiers, mais leur répartition restait très confuse. Au XIXe siècle, Riemann a élaboré la fonction zêta et a soutenu que la répartition des nombres premiers n’est liée qu’à un seul type de zéros de la fonction zêta. La conjecture originale de Riemann était que tous ces points zéro étaient répartis sur une droite verticale dont la partie réelle était égale à sa moitié.

Après la formulation de la conjecture de Riemann, le mathématicien allemand Dirichlet a introduit la fonction L de Dirichlet en 1837, équivalente à la forme généralisée de la fonction zêta de Riemann. Les mathématiciens ont posé l’hypothèse que les zéros de la fonction L de Dirichlet se trouvent également tous sur une droite dont la partie réelle est égale à sa moitié, telle la conjecture de Riemann généralisée. Si l’hypothèse de Riemann généralisée était démontrée, cela reviendrait à prouver la conjecture de Riemann.

Bien que la conjecture de Riemann et l’hypothèse de Riemann généralisée n’aient jamais été démontrées, les mathématiciens acceptent largement leur véracité, à une exception près, le point zéro de Landau-Siegel. Le mathématicien allemand Siegel et son directeur de thèse Landau ont étudié la fonction L de Dirichlet et ont trouvé un contre-exemple, soit un point zéro anormal potentiellement non réparti sur cette droite. Cela a permis de renverser en partie l’hypothèse de Riemann généralisée.

Landau et Siegel ont par la suite prouvé par certaines méthodes qu’il n’existe pas plus d’un zéro contre-exemple, mais les mathématiciens se sont efforcés de prouver qu’un tel contre-exemple n’existe pas.

Depuis plus d’un siècle, le problème des points zéro constitue une étape difficile pour la résolution de nombreux problèmes de la théorie des nombres. De nombreux experts s’y sont attelés, sans succès.

En quoi la démonstration de Zhang Yitang est-elle une innovation ?

David Ruan, étudiant doctorant de Zhang Yitang et désormais chercheur postdoctoral à l’université Queen’s au Canada, a expliqué à notre journaliste que Zhang Yitang a utilisé une stratégie de preuve classique, la « preuve par contradiction ». Il a commencé par supposer que les zéros de Landau-Siegel « existaient sous une forme faible » et a constaté que cela conduisait à ce que les autres zéros de la fonction L de Dirichlet soient répartis à intervalles très réguliers, « comme une procession de soldats dans une parade militaire ».

En réalité, explique David Ruan, ces points zéro devraient être répartis de manière aléatoire, avec des intervalles imprévisibles, « comme des véhicules sur une autoroute : parfois, deux voitures sont séparées de quelques kilomètres, parfois, elles sont pare-chocs contre pare-chocs ». Cette extrême régularité dans l’espacement des points zéro prouve que les points zéro de Landau-Siegel n’existent pas.

En résumé, une hypothèse a conduit à des résultats contradictoires, prouvant ainsi son invalidité.

Liu Jianya, vice-président de l’Université du Shandong engagé depuis longtemps dans la recherche sur la théorie des nombres, a déclaré lors de l’interview que Zhang Yitang a utilisé une approche classique, en termes d’argumentaire. Toutefois, il a poussé cette approche à l’extrême pour parvenir à des innovations et des avancées « extraordinaires ». « L’approche classique s’est aguerrie et peaufinée au fil du temps : si vous voulez faire une percée dans ce domaine, vous devez voir plus loin que les autres. »

Il reste encore un long chemin à parcourir avant que la conjecture de Riemann soit résolue

Xi Ping, professeur à l’École de mathématiques et de statistiques de l’Université Jiaotong de Xi’an, a déclaré que Zhang Yitang a désormais prouvé que les points zéro n’existent pas dans un « échantillon légèrement petit », beaucoup plus grand que l’échantillon précédent. D’un point de vue purement mathématique, il s’agit d’un bond quantique. Ces travaux, s’ils sont confirmés, auront des applications dans les problèmes fondamentaux liés aux nombres premiers et la méthodologie qui en résultera révolutionnera la théorie analytique des nombres.

Cependant, il fait également remarquer que la démonstration de la conjecture de Riemann et de l’hypothèse de Riemann généralisée est un processus dans lequel les mathématiciens se rapprochent de plus en plus de la droite dont la partie réelle est égale à sa moitié. Selon la méthode actuelle de Zhang Yitang, on est encore loin de cette droite, ce qui signifie qu’il y a encore peu d’espoir de résoudre réellement la conjecture de Riemann et l’hypothèse de Riemann généralisée. 

Le « grand problème » qu’il a toujours voulu résoudre dans sa jeunesse

La dernière fois que Zhang Yitang a apporté des résultats aussi significatifs, c’était en 2013, lorsqu’il est passé de l’ombre à la lumière avec son article « Écarts limités entre les nombres premiers » (« Bounded distances between prime numbers »), établissant par la même occasion le record de la révision la plus rapide au cours de ce siècle dans la meilleure revue de mathématiques, Annals of Mathematics. Néanmoins, il reconnaît lui-même que son travail sur la conjecture des nombres premiers jumeaux ne faisait que « prendre la tangente » par rapport au problème des zéros de Landau-Siegel. Cette fois, il est revenu sur la route principale et a enfin résolu le « grand problème », qu’il rêvait d’élucider depuis sa jeunesse.

Comparées à l’éclair qui l’a traversé lorsqu’il a percé la conjecture des nombres premiers jumeaux, ses recherches sur les zéros de Landau-Siegel ont plus ressemblé à une longue errance. Il a connu la solitude, a été en proie à la lassitude et ne voyait aucune lueur d’espoir.  Malgré tout, il a continué à avancer, pas à pas, jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, il entrevoit le bout du chemin.

Photo du haut : Unsplash

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