Les nouvelles performances tous azimuts de la technologie chinoise
L’année 2024 aura été marquée par des prouesses technologiques de grande ampleur pour la Chine et ses savants. Non seulement plus d’un seuil qualitatif aura été franchi dans le domaine du spatial ou celui des TGV de nouvelle génération mais il s’agit bien sûr pour Pékin de prendre le flambeau de ces innovations, dans un contexte de plus en plus tendu qui l’oppose à Washington. Les images de Cai Xuzhe et Song Lindong comptent parmi celles qui ont été les plus diffusées par les media nationaux. Et pour cause : les deux spationautes illustrent l’un des plus grands succès remportés par la Chine depuis ces dernières années. Elles illustrent la très grande vigueur et le dynamisme qui sont à l’œuvre en Chine en matière de recherche et de réalisations scientifiques. Elles s’avéreront décisives pour les années à venir.
De la maîtrise du spatial à celle du TGV et de l’écologie automobile intelligente
Cai Xuzhe et Song Lindong, membres de la mission Shenzhou-19 auront réussi le 17 décembre dernier à battre de quelques minutes le record de sortie dans l’espace des Américains James Voss et Susan Helms en 2001. Le duo chinois aura réussi une sortie de plus de neuf heures en apesanteur autour de la station Tiangong pour y installer des dispositifs de protection contre les débris spatiaux, chaque année plus nombreux. Les deux jeunes Chinois ne limitent pas leur prouesse à cette sortie. Ils auront posé en 2019 un rover collecteur d’échantillons de roches sur la face cachée de la Lune et un autre sur Mars en 2021. La Chine confirme ainsi sa contribution désormais incontournable dans l’exploration de l’espace, s’imposant ainsi comme principal défi face à la NASA et à la puissance américaine. Cette tendance confirme le diagnostic du président Xi Jinping qui, le 4 mai 2018, pour le 200e anniversaire de Karl Marx déclarait : « La Chine a obtenu en quelques décennies ce que l’Occident a mis plusieurs siècles à accomplir, la modernisation technologique du pays ». À l’horizon 2030, Pékin devrait envoyer deux spationautes sur la Lune et, dans le cadre de la mission Tianwen-3, rapporter des échantillons de la planète Mars. Mais ces performances ne se limitent pas à la conquête de l’espace. Ainsi, le 29 décembre dernier, un record de vitesse a été établi par un modèle de la prochaine génération des trains à grande vitesse. Le futur train le plus rapide du monde, appelé le CR450, a atteint 450 km/h. Cette vitesse est sensiblement plus élevée que celle de la gamme CR400 Fuxing et Hexie qui opère à 350 km/h, initialement développée grâce à des transferts de technologie en provenance de l’Europe (Alstom et Siemens), du Japon (Kawasaki) et du Canada (Bombardier).
Par comparaison, le TGV français atteint les 320 km/h et le réseau ferroviaire chinois est devenu le deuxième au monde, avec plus de 144 000 km de voies (chiffres de 2020), soit une multiplication par sept depuis 1949. Lorsqu’il fallait près de trois jours, il y a encore trente ans, pour rallier la côte du Shandong à la frontière du Kazakhstan, il ne faut plus que quelques heures de traversée de cet État-continent en TGV. Non seulement, les régions les plus reculées du pays, tels que le Xinjiang et le Tibet, sont reliées par le chemin de fer mais les interconnexions internationales se sont développées. Que ce soit avec le Trans-mongol ou à travers l’axe reliant le Yunnan (sud de la Chine) respectivement au Vietnam et au Laos ou encore via les hauteurs tibétaines jusqu’au Népal. Avec 2 500 gares majeures et 132 villes millionnaires desservies, c’est près de vingt milliards de passagers que les services ferroviaires acheminent d’un point à l’autre du pays. Mais cette nouvelle gamme de TGV chinois, prochainement commercialisée, ne doit pas nous faire oublier qu’en 2021 un prototype de train encore expérimental à ce jour et lancé à Chengdu (province du Sichuan), glissant sur des rails magnétiques équipés d’électro-aimants, a atteint les 620 km/h. Cette maîtrise chinoise dans la très haute technologie se vérifie aussi dans le développement de la connectivité des véhicules intégrés au système de positionnement spatial et à la 5G. Entre autres innovations, des véhicules de nouvelle génération équipés du système mis au point par Huawei transforme les parebrises en écrans d’affichage semblables à ceux des avions. À présent, les marques chinoises ont toutes basculé vers le tout électrique ou vers les hybrides rechargeables ; les constructeurs étrangers étant directement confrontés à ce nouveau rapport de forces. La Chine est en mesure d’aligner des modèles hyper-compétitifs proposés par de grands groupes, et présentant une très grande diversité de marques. Se distinguent : les marques des groupes publics. Contrôlées par le gouvernement central, elles ont pour nom FAW, Dongfeng ou Changan. S’ajoutent les marques sous la coupe des pouvoirs locaux comme SAIC motors, Chery, Guangxi Automotive Group et une dizaine d’autres, sans oublier une trentaine de groupes indépendants dont les plus connus sont BYD, Geely, Great Wall motor, Leapmotor, XPeng, Airways. L’avancée de ces constructeurs est telle qu’elle incite un certain nombre de grands groupes occidentaux à rechercher des alliances avec les Chinois pour tirer parti de leur supériorité technologique dans le secteur. Le point principal de la rivalité entre les marques et qui oriente un très grand nombre d’investissements porte sur la modernisation des batteries, qu’il s’agisse des LFP (Lithium-Fer-Phosphate) ou NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt). Les premières, moins chères et moins exposées aux risques de surchauffe ont néanmoins une autonomie moindre que les secondes. Et alors que la part des constructeurs purement chinois était de 43 % en 2020, cette part a atteint 62 % en 2024.
Être à la pointe de l’innovation et se positionner contre Washington
De remarquables succès ont aussi été enregistrés dans l’énergie, la biotechnologie, la physique quantique et l’exploration des grandes profondeurs. Ainsi, le 24 juin 2012, le sous-marin Jialong est le premier à avoir atteint la profondeur de 7 015 mètres dans la fosse des Mariannes. La Chine est par ailleurs le leader mondial pour l’énergie solaire et éolienne. En génétique, ses savants sont parvenus au clonage de singes. Le domaine le plus important sans doute pour l’avenir est celui de l’utilisation industrielle de la physique quantique y compris à des fins militaires. Il est estimé que la physique quantique a un potentiel de développement quasi infini dans les secteurs de l’informatique et de la communication. Au reste, sous l’égide de l’Académie des sciences, la Chine est sur le point de rendre opérationnel le premier ordinateur quantique avec un calculateur dont la puissance équivaudrait à une puissance un million de fois supérieure à celle de tous les ordinateurs combinés existant dans le monde. Quoi qu’il en soit, la percée de la Chine dans les domaines les plus sensibles, tels que les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) est spectaculaire. Elle n’avait qu’une trentaine de superordinateurs il y a quinze ans mais selon le classement Top500 de novembre 2022, elle détenait le record mondial de la puissance de calcul avec 162 superordinateurs contre 127 pour les États-Unis.
Elle est en avance dans les capacités de reconnaissance faciale et des paiements mobiles tandis que la zone Amérique du Nord se voit reléguée dans l’archaïsme d’un autre âge où le paiement par pièces demeure souvent la règle. La Chine investit par ailleurs massivement dans l’intelligence artificielle. En 2020, elle déposait dans ce secteur 208 000 brevets, au coude-à-coude avec les États-Unis (226 000). Notons toutefois qu’elle a dépassé les États-Unis dès 2017 en nombre d’articles scientifiques publiés. Elle peut compter sur les immenses bases de données de ses BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), rivaux des GAFAM américains, et elle s’appuie sur des plateformes incomparables qui ont à leur tour développé des médias sociaux, en Chine même comme Weibo mais aussi à l’étranger, au moyen de TikTok et WeChat (un milliard d’utilisateurs par mois), qui offrent toutes sortes de services en ligne et sont devenus l’indispensable de la génération Z, partout dans le monde. Pour autant, de l’aveu même du président Xi Jinping qui s’adressait aux savants des académies chinoises des sciences et de l’ingénierie, le 28 mai 2018, celui-ci faisait le constat que les capacités d’innovation, l’allocation des ressources et les politiques conduites n’étaient pas encore adaptées aux enjeux. Force est de constater que c’est encore le cas aujourd’hui. Et plus particulièrement dans deux domaines clés : les semi- conducteurs et la recherche fondamentale. Bien que la Chine réalise 36 % de la production mondiale de produits électroniques, sa part de marché pour les semi-conducteurs n’est que de 10 % ; les plus performantes des puces étant importées. Enfin, la recherche fondamentale reste sous- dimensionnée. Elle ne représente que 6 % de la R&D (contre 18 % aux États-Unis et 12 % au Japon). La recherche appliquée et le développement absorbent la plus grande partie des ressources. Cette lacune explique sans doute le décalage manifeste entre d’une part les progrès réalisés et d’autre part, le nombre si limité de prix Nobel chinois. Ces deux aspects lacunaires n’empêchent pas la Chine de s’affirmer sur le plan scientifique et de finir par imposer ses normes auprès d’un nombre croissant de partenaires, quitte à devoir être confrontée à des réactions fortes ; lesquelles vérifient l’adage que l’on prête à Bismarck : « Le drapeau suit le commerce ».
Emmanuel Lincot est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.
Photo : Le superordinateur Tianhe-2. © Xinhua
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