Indignation anti-raciste légitime ou fièvre nationaliste outrancière ? Le cliché de Dior qui divise

1639477045718 Chine-info Hu Wenyan

En Chine, Dior s’est attiré les foudres à cause d’une photo présentée lors de l’exposition Art’n’Dior à Shanghai. Les critiques y verraient une œuvre empreinte de stéréotypes racistes, prenant à partie la photographe chinoise Chen Man, lui reprochant sa « soumission » aux marques occidentales. 

L’exposition Art’n’Dior à Shanghai.© Dior

Encore une polémique provoquée par une marque de luxe occidentale en Chine : le 12 novembre, la maison Dior a inauguré son exposition Art’n’Dior dans le West Bund Artistic Center à Shanghai. Pour y faire la promotion de son sac iconique Lady Dior, la marque tricolore a invité six artistes chinois à présenter leur œuvre inspirée de ce produit de luxe. Dans ce projet mi-commercial, mi-artistique, baptisé « Lady Dior As Seen By », la photo réalisée par la désormais célèbre Chen Man a tellement divisé l'opinion publique que Dior a dû la retirer de son exposition. 

Cheveux gras, yeux très bridés, le regard sombre, une jeune femme aux tâches de rousseurs tient un sac Dior Lady en regardant intensément l'objectif. La photo met mal à l’aise un grand nombre de Chinois. Pour les détracteurs, l'œuvre, intitulée Une réserve de fierté, serait très loin des standards de beauté de la femme chinoise. Elle évoquerait ces stéréotypes que l'Occident orientaliste projette sur les Asiatiques, courant dans le domaine de la mode. De plus, le cliché se distinguerait radicalement des œuvres de la photographe star, commanditées par les grands titres de mode chinois qui subjuguent habituellement le grand public. En un mot : l’artiste déraperait quand elle collabore avec l’Occident.

Des internautes iront plus loin dans leur molestation en déterrant une autre série de Chen Man de 2012 pour le magazine i-D : douze portraits de femmes chinoises à l’allure un peu trop « exotique ». Son œuvre Les pionnières et le grand barrage des trois gorges, présentant des filles en uniformes jugées trop sexualisées, se trouve aussi sur le banc des accusés. L’affaire provoque ainsi un énième débat sur les standards de beauté en Chine. Certains défenseurs de Chen Man condamneront la verve des bloggeurs nationalistes qui instrumentalisent une démarche à l’origine artistique « pour générer des clics ». D’autres plaideront pour la diversité esthétique en condamnant le diktat de la femme « blanche, jeune et mince » ainsi que les filtres photos omniprésents sur Douyin (TikTok), devenus la nouvelle norme. Mais les critiques l’emporteront : Chen Man chercherait à plaire à ses clients au risque de bafouer la « déontologie ». La polémique révèle le rapport délicat et conflictuel entre l’Orient et l’Occident : si l'appréciation esthétique est subjective, le beau demeure un produit de conditions sociologique, économique et politique. Même le média de mode Jing Daily cèdera en ce sens : « le style visuel exagérément mis en scène de Chen renvoie à une esthétique ancienne qui n'est plus à la mode chez les jeunes d'aujourd'hui – témoignant du déclin de la domination du statu quo raciste de l'Occident. » 

Le 23 novembre, la photographe fera son mea-culpa, rappelant sa mission de devoir, « en tant qu'artiste chinoise, se documenter pour transmettre la culture chinoise et démontrer la beauté de la Chine ». Le même jour, Dior publiera un communiqué précisant que l’œuvre d’art en question n’était en aucun cas une publicité commerciale. Contrairement à ce que beaucoup ont prétendu, la firme n’aura fait aucunes excuses. Une gestion de crise jugée réussie pour la marque française, mais qui aura porté préjudice à l’artiste. Depuis son ouverture, l'exposition Art’n’Dior attire toujours autant de foules à Shanghai (jusqu’au 20 janvier 2022).

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.