
En Chine, c’est possible ! Plaquer les études pour ouvrir une ferme…
C’est un phénomène nouveau : de plus en plus de jeunes citadins chinois s’installent à la campagne une fois leurs études terminées. Engagés pour un monde meilleur, ils lancent des fermes durables, stimulent l’emploi local et redynamisent les coins perdus. Certains abandonnent même une carrière que de grandes études leur avait pourtant promise.
Il y a quelques années, il ne se serait jamais imaginé s’installer à Wenxi, ce village caché au fin fond du district autonome de l’ethnie Miao dans la province reculée du Hunan. Ma Xiao avait tout de l’étudiant modèle : diplômé d’architecture, il a passé six ans en Australie à l’Université de Queensland. Il aurait pu faire une grande carrière et gagner plutôt bien sa vie, mais il a choisi un tout autre destin.
La ferme durable : un engagement citoyen
Aujourd’hui, Ma Xiao a fondé une ferme durable dans son village natal. Pour y accéder depuis les frontières du district, il doit marcher des dizaines de kilomètres en pleine montagne. Mais il en faut plus pour l’impressionner. Ma Xiao a en effet placé toutes ses espérances dans sa nouvelle vie : en 2014, il a fondé sa propre start-up, quitté ses habitudes de citadin et son emploi d’architecte. Il a tout plaqué pour revenir s’installer à Wenxi, où il a investi plus de 4 millions de yuans (513 000 euros) jusqu’en 2020 : « Je voulais fonder une ferme pour assurer une alimentation saine aux enfants du village. Je m’efforce désormais de cultiver des aliments bio, parce que je veux que mon entourage soit nourri avec les meilleurs aliments possibles. » Aujourd’hui, les autorités viennent régulièrement effectuer des contrôles de qualité dans les eaux et dans les sols dans la ferme de Ma Xiao. Il met un point d’honneur à ce que rien ne soit pollué. La mère de Ma Xiao peut en témoigner : il y a un an, à défaut d’avoir été traitées aux insecticides, les rizières de son fils étaient totalement ravagées : « Il ne voulait pas utiliser de traitements, cela aurait été en totale contradiction avec ses principes. » Il avait même fallu attendre 2018 avant que sa ferme ne devienne rentable.
« Je voulais fonder une ferme pour assurer une alimentation saine aux enfants du village. Je m’efforce désormais de cultiver des aliments bio, parce que je veux que mon entourage soit nourri avec les meilleurs aliments possibles. »
La ferme de Ma Xiao est aujourd’hui devenue une référence dans deux produits locaux : le riz bio et le canard. Chaque année, l’exploitation produit trois tonnes de riz pour 38 yuans le kilo. Deux variétés de canards y sont élevées, pendant deux et trois ans, pour un prix de vente de 200 à 300 yuans l’unité (25 à 38 euros). Au Nouvel An chinois 2021, la taille de la ferme s’est encore accrue, atteignant les 800 acres, dont 400 consacrés à la culture du riz. Elle emploie désormais plus de 30 villageois, contribuant ainsi aux objectifs de lutte contre la pauvreté définis dans l’agenda gouvernemental. La ferme s’est diversifiée, et produit à présent des kiwis, des roses ou encore du bois précieux. Ma Xiao veut maintenant s’engager pour toute la communauté : « Il faut que tous les villageois s’enrichissent pour que la pauvreté recule, et qu’il n’y ait plus de laissés pour compte. Ici les entreprises peuvent embaucher les jeunes. »
De Saint-Pétersbourg à Loudi
Xiao Yuan dans sa ferme © Nouvelles d'Europe
À seulement 26 ans, Xiao Yuan était elle aussi promise à un tout autre avenir. Diplômée de l’Université de Moscou et titulaire d’un Master de littérature à l’Université de Saint- Pétersbourg, elle est partie en Russie, où elle a étudié pendant plus de 7 ans. Pourtant, en 2019, elle a aussi tout abandonné pour rentrer dans son village natal, à Loudi, dans le Hunan. Avec l’aide de son père, Xiao Yuan a elle aussi créé sa ferme durable, basée sur des techniques de récolte traditionnelles. Elle n’utilise pas d’herbicides et applique l’ancienne méthode de fertilisation en forant des trous dans le sol : « Au début, les villageois étaient un peu perdus avec ces outils d’un nouveau genre. Mais avec un peu de démonstration, ils s’y sont habitués. » En 2020, la surface de la ferme de Xiao Yuan est passée de 1 000 à 2 400 acres. Elle s’est spécialisée dans la production de riz. Malgré des débuts un peu compliqués, sa ferme s’est finalement bien lancée : « Avec l’épidémie de Covid-19, 2020 a constitué un tournant pour la sécurité alimentaire mondiale. Même avec peu ou pas de profit, il m’était impossible de laisser ce lieu abandonné.»
En 2021, Xiao Yuan a demandé le soutien du gouvernement local. Sa ferme l’a obtenu, et réunit aujourd’hui pas moins de 24 producteurs au sein d’une même coopérative. Xiao Yuan est actuellement présidente d’un consortium qui gère plus de 15 000 acres de terrains, et qui rassemble 38 villages. Présente dans plusieurs villages, la société de Xiao Yuan emploie plus de 25 salariés à l’année, 47 sur des contrats courts et 192 saisonniers. Comme le souligne Xiao Yuan, de telles conditions de vie étaient inenvisageables il y a encore quelques années : « Dans la plupart des familles pauvres, on possède rarement plus d’une ou deux têtes de bétail. Je me souviens encore que certains pouvaient marcher pendant des kilomètres, juste pour faire examiner leur cochon par un vétérinaire. » Dans la ferme de Xiao Yuan, les salaires sont plutôt élevés. Pourtant, il reste encore du chemin à parcourir pour l’égalité salariale : les hommes sont payés environ 4 500 yuans par mois (580 euros), contre... 2 800 pour les femmes (360 euros). Dans les campagnes chinoises, certaines mauvaises « traditions » ont la vie dure.
Certes, l’industrie, la science et les technologies ont totalement bouleversé la société rurale en Chine. De plus en plus, les transports, les communications, les transferts de technologies permettent de rompre avec des décennies de développement inégal. Les jeunes Chinois qui reviennent dans leurs villages avec des techniques nouvelles, font figure de pionniers. Pourtant, aujourd’hui encore, la Chine présente un taux d’urbanisation de seulement 60 % : un chiffre peu élevé qui suggérerait que de nombreux Chinois des campagnes sont susceptibles de partir pour les villes. Les exodes dans le sens inverse, comme ceux de Ma Xiao et Xiao Yuan, restent donc très isolés.
Article publié en partenariat avec L’Humanité-Dimanche.
Ma Xiao dans sa ferme © Nouvelles d'Europe
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