Le gouvernement local, pierre angulaire du miracle économique chinois

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L'empire du Milieu a su conjuguer ses traditions de la bureaucratie millénaire, ainsi que l’économie du marché et la mondialisation, concepts chers à l’Occident, avant de réussir une innovation institutionnelle, observe Zhou Li'an, économiste influent de l'Université de Pékin et inventeur du concept « championnat de gouvernance locale », dans sa chronique pour China News.

Zhou Li’an, économiste influent de l’Université de Pékin et inventeur du concept « championnat de gouvernance locale ». DR

Steven Cheung, le très célèbre économiste américain, s’est longuement interrogé sur le miracle économique chinois : malgré de très nombreux facteurs défavorables, pourquoi la Chine a pu maintenir une forte croissance durant si longtemps ? Comment y parvient-elle ? Questions troublantes,  car selon beaucoup de spécialistes, la Chine se situe dans les dernières places du classement des pays suivant certains critères, tels qu’un gouvernement limité, une justice indépendante ou encore une protection de la propriété privée.

Pour tenter de répondre à ces questions, il faut revenir sur la capacité du gouvernement, qui comporte deux aspects : la capacité d’engagement, ainsi que l’aptitude à mener à bien différents projets, grâce à un mécanisme d’incitation efficace. Depuis les années 1990, si les économistes du monde entier s’intéressent de près aux points communs et différences entre la Russie et la Chine dans leur transformation du modèle économique, c’est Andrei Shleifer, économiste russo-américain confirmé et professeur d’économie de l’Université Harvard, qui a abordé ce sujet, sous un angle nouveau, en évoquant la gouvernance locale, ainsi que son rôle dans le développement économique des deux pays. Selon lui, les gouvernements locaux de la Russie, au lieu de faciliter les démarches des entreprises privées, ne cesse de les harceler et de les réprimer, alors que leurs confrères chinois préfèrent jouer un rôle d’accélérateur dans la création et le développement des entreprises.    

Quel est le modèle « officiels + marché » ?

Par rapport à la Russie, pourquoi les pouvoirs publics locaux en Chine demeurent-ils au chevet des entreprises ? Pour aborder ce sujet, nous devons introduire de nouveaux champs de recherches, dont le concept « officiels + marché », qui pourrait bien résumer les rapports originaux entre la gouvernance locale et les entreprises privées dans l’empire du Milieu.

L’originalité du modèle « officiels + marché » porte notamment sur le signe « + », symbole des interactions, à la chinoise, entre politique et économie. Si la concurrence est monnaie courante aussi bien au sein des personnels de la fonction publique que dans un marché, les officiels tissent pourtant avec les entreprises un lien de dépendance, car la carrière des premiers est étroitement liée à la prospérité économique de leur fief. Ainsi les officiels locaux seraient les premiers à mobiliser toutes les ressources, à la fois administratives et financières, pour soutenir le développement des entreprises. Ainsi ces deux parties forment, de fait, un « destin commun politico-économique », autrement dit, une alliance de croissance régionale. Néanmoins, les différentes collectivités peuvent également se livrer à une concurrence acharnée, ce qui ressemble à un « championnat chinois de gouvernance locale », garant des partenariats sains entre officiels et entreprises, pour éviter au maximum des situations de conflits d’intérêts ou de corruption.    

Mécanisme d’incitation et contraintes du pouvoir

Le modèle « officiels + marché » fait preuve de son efficacité dans trois domaines. Tout d’abord, il propose un puissant mécanisme d’incitation aux officiels locaux pour qu’ils stimulent la croissance économique locale. Dans le même temps, il permet également de limiter l’arbitraire du pouvoir public local, car dans une économie libérale, les entreprises ont droit de choisir leur siège en fonction des conditions d’investissement, ce qui pousse les officiels à éviter le plus possible les décisions arbitraires. Finalement, le modèle garantit un relai essentiel d’information et un apprentissage par essai-erreur dans la coopération entre officiels et entreprises, qui est constamment mise à l'épreuve du marché.

L’intérêt principal du modèle porte sur l’alliance entre élites politique et économique locales, pour qu’elles travaillent ensemble de manière cohérente et dynamique afin d'améliorer la compétitivité régionale. Sur le plan économique, la Chine, déjà bien intégrée dans le commerce international, ressemble à une fédération comprenant différentes « petites économies ouvertes » qui s'ouvrent l'une à l'autre tout en se livrant une âpre concurrence.

Originalités du modèle économique chinois

Si les États-Unis, marqués par le fédéralisme financier, et l'UE qui se compose de 27 pays membres, partagent également de nombreux points communs du modèle de la Petite économie ouverte, la Chine se distingue de ces deux premiers pour trois raisons. Tout d’abord, en Occident, les chefs de « petites économies ouvertes » sont élus grâce aux suffrages des électeurs, alors que leurs confrères chinois sont désignés par le gouvernement central ou une hiérarchie supérieure. De plus, en Chine, la corrélation entre la carrière des chefs locaux et le développement économique de leur région s’avère plus forte et directe que celle en Occident. Leurs interventions économiques et capacités politiques ne sont pas les mêmes non plus : contrairement aux gouvernements limités en Occident, les pouvoirs publics locaux chinois, dotés d'une gouvernance verticale, assoient leur autorité sur tous les fronts.

Si le modèle « officiels + marché » est cent pour cent « made in China », ses piliers principaux, tels que le mécanisme d’incitation au sein de la fonction publique, les contraintes du pouvoir imposées de l’extérieur, le mécanisme de rétroaction et les relations étroites entre politique et économie, demeurent pourtant universels et pourraient être exploités par d’autres pays. Autrement dit, la Chine a su fusionner ses traditions de la bureaucratie millénaire, ainsi que les concepts de l’économie du marché et de la mondialisation, déjà très développés dans l’Occident, avant de réussir une innovation institutionnelle. La concurrence aussi politique qu'économique permet d'assurer le bon fonctionnement du gouvernement et du marché, jetant ainsi les bases institutionnelles pour la forte croissance constante durant les quatre dernières décennies. S’il fait exception dans le paysage mondial, le modèle, avec ses limites et ses forces, est loin d'être parfait et devrait trouver des moyens pour innover et se perfectionner.

Zhou Li’an, 56 ans, est vice-directeur de l’école de commerce Guanghua School of Management de l’Université de Pékin et professeur en économie appliquée. Diplômé de l’Université de Pékin et de Stanford, il a publié en 2017 « Gouvernements locaux en transition : incitation et gouvernance », livre de référence sur le mécanisme d’incitation dans la fonction publique et la gouvernance locale en Chine.  

« Gouvernements locaux en transition : incitation et gouvernance », livre de référence sur le mécanisme d’incitation dans la fonction publique et la gouvernance locale en Chine

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut : Unsplash

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