Lindy Lee : « J’ai embrassé toutes les expériences et je me suis réconciliée avec mon identité raciale »

1653301896171 China News
En septembre 2021, la National Gallery of Australia a dépensé 14 millions de dollars australiens pour commander à Lindy Lee, artiste australienne d'origine chinoise, la création d'une sculpture en acier inoxydable : Ouroboros.  Il s'agit de la commande la plus chère de l'histoire du musée, qui espère établir une nouvelle norme pour l'art public australien une fois l'oeuvre de Lindy Lee achevée, en 2024.

En tant qu'artiste contemporaine influente en Australie, Lindy Lee  se présente souvent comme « mi-Chinoise, mi-Australienne ». Ayant grandi à la fin de la période de la politique de l'Australie blanche (1901-1973), elle était désorientée quant à son identité raciale. Mais au cours de sa carrière, elle s'est progressivement réconciliée avec son identité. De sorte que son identité chinoise et son sentiment d'appartenance à l'Australie ne sont plus des carcans, mais une réalité qui lui a permis d’embrasser dix mille expériences, et c’est ce qui la rend unique.

Dans un entretien accordé à  China News, Lindy Lee a présenté la façon dont elle conçoit  son identité d’immigrée chinoise et expliqué son regard sur le métissage et l'apprentissage mutuel entre différentes cultures.

Birth & Death

Longtemps, une sensation de confusion et un complexe d’infériorité ont habité Lindy Lee, conséquence de la politique de l’Australie blanche. À la fin du XIXe siècle, de nombreux Blancs locaux s’étaient plaints que l'arrivée d'immigrés asiatiques, notamment chinois, avait fait baisser le coût de la main d’œuvre, ce qui les avait conduits à fustiger les traditions culturelles chinoises. En 1901, après la création du Commonwealth d'Australie, le premier gouvernement conservateur instaure la  politique de l'Australie blanche comme politique nationale fondamentale, n’autorisant, exclusivement, que l’entrée d’immigrés de race blanche. Celle-ci sera abolie en 1973 par le gouvernement travailliste de l'époque.

Née en 1954 à Brisbane, au milieu de la période de la politique de l'Australie blanche, Lindy Lee pense que « c'était une mauvaise politique qui rendait presque impossible l'entrée des Chinois en Australie ». Elle déclare : « Je me souviens avoir été profondément bouleversée d'être Chinoise et c'était la conséquence directe de cette politique. Je pense que ces idées sont injustes, mais je ne pouvais rien faire d’autre que de les subir» Et elle ajoute se souvenir d’avoir lutté très longtemps avec des problèmes d'identité et d'appartenance : « À l'époque j'étais jeune, et je me sentais très mal à l’aise dans des événements organisés en public, que ce soit en Australie ou en Chine. »

Life of Stars 02

Lorsque, en 1973, « les derniers vestiges de la politique de l’Australie banche ont disparu », Lindy Lee avait 19 ans. La voilà comme ressuscitée. Pour elle, l'abolition de la « politique de l'Australie blanche » a directement favorisé la transformation de sa perception de soi. « Quand l'Australie s'est tournée vers le multiculturalisme et vers sa diversité, cela a commencé à m’insuffler un sentiment merveilleux ! Je savais enfin que des gens comme moi peuvent être reconnus et disposer d’un droit légal dans la culture australienne, au lieu de vivre en marge de ce pays. Cela m'a inspiré davantage de confiance pour poursuivre une vie qui semblait impossible à quelqu'un comme moi : celle d'un artiste, qui peut faire entendre sa voix» En 1975, son diplôme de la Kelvin Grove CAE School en poche, elle se rend à Londres. C'est dans les musées d'art en Europe qu'elle a découvert le travail de la peintre baroque italienne Artemisia Gentileschi. Elle a alors compris qu'il était possible et raisonnable pour une femme de devenir artiste.

De retour en Australie et bien décidée à se lancer dans la création artistique, Lindy Lee s’est largement inspirée des reproductions de l'art de la Renaissance, en particulier de l'œuvre d'Artemisia Gentileschi. Peu à peu, ses œuvres ont commencé à être reconnues.

Les changements dans l'environnement extérieur ont également provoqué des changements chez Lindy Lee. L’acceptation de son « double héritage », de la Chine de ses ancêtres et de son Australie natale, s’est progressivement faite jour en elle. Ses visites en Chine au début des années 1990 lui ont permis de mieux comprendre sa mère et sa grand-mère, et les histoires qu'elles avaient vécues avant sa naissance. Pendant cette période, elle s’est initiée à la culture Zen du bouddhisme, qui a commencé à influencer sa création artistique et l’a aidée à accepter ses « racines chinoises ».    

Open as the sky

En 1995, elle crée pour la Art Gallery of New South Wales l'installation extrêmement colorée intitulée No Up, No Down, I Am the Ten Thousand Things (« Ni haut ni bas, je suis 10 000 choses »). C'est aussi la première œuvre qui reflète la pensée de Lindy Lee. Derrière ce travail s'inscrit sa réflexion profonde sur son identité : elle est la combinaison de 10 000 choses, et pas seulement un moi individuel.

Artiste célèbre en Australie, Lindy Lee enseigne depuis plus de vingt ans au Sydney College of the Arts. Selon elle, la transformation de la perception de soi chez les Chinois, mais aussi les autres Asiatiques vivant en Australie, n’est pas un phénomène isolé.

« Avec l'abrogation de la politique de l'Australie blanche, de nombreux préjugés liés à la différence raciale ont également disparu. Ce contexte a permis à la nouvelle génération d'Australiens d’origine chinoise de grandir en liberté. Ayant enseigné à beaucoup d’étudiants d’origine asiatique, j'ai remarqué qu'au fil des générations, ils sont de plus en plus à l'aise avec ce qu’ils sont », explique-t-elle.

La politique de l'Australie blanche est abolie depuis près d'un demi-siècle et la recherche du multiculturalisme est devenue une valeur revendiquée en Australie. Cependant, du fait de la pandémie de Covid-19, les Chinois d'Australie sont une fois de plus victimes de discrimination raciale. L'Ouroboros de Lindy Lee prône précisément la tolérance.

« Explorer le lien profond entre l’humain et l'univers est au cœur de ma création », affirme Lindy Lee. « Mon idée est de créer une immense sculpture, qui mette en valeur le concept d'inclusivité et offre une profonde et intime expérience avec toutes les choses dans l'univers. »

George Street

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photos : site de l’artiste (lindylee.net)

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