Démographie : les mères chinoises porteuses d’avenir
Depuis l’année dernière, le gouvernement chinois abandonne de plus en plus la politique de restriction des naissances pour lui préférer des politiques natalistes. Réforme dans le domaine de la garde d’enfant, de la santé, politiques d’incitations économiques et réforme du système éducatif, tout y est. Cette initiative se heurte cependant à des obstacles sociétaux importants, comme les nouvelles conceptions de la famille chez les jeunes femmes.
La Chine est en proie à une crise démographique. La population vieillit et le nombre de célibataires ne cesse d’augmenter, et surtout, les ménages ne veulent pas forcément faire plus d’enfants, même avec la politique d’assouplissement des naissances. Le gouvernement met en place des politiques natalistes, visant l’économie, l’éducation, le monde du travail, la santé ou la garde des enfants. Il reste pourtant encore un problème à résoudre : la représentation du mariage et de la famille chez les jeunes, qui a durablement évolué au cours des dernières années. Un nouveau défi pour les autorités, qui ne pourront plus désormais se contenter de jouer sur le levier démographique.
La Chine en proie à une crise démographique
Le 31 mai 2021, le gouvernement chinois a annoncé un nouvel assouplissement de la politique de la planification familiale en Chine, en autorisant les ménages à avoir un troisième enfant. Cette décision intervient 6 ans seulement après l’autorisation d’un deuxième enfant, qui a mis fin, en 2015, à près de 35 ans de politique de l’enfant unique. Malgré ces réformes, la situation démographique de la Chine ne s’améliore pas. En 2018, le pays enregistrait son plus bas taux de natalité depuis 1960, avec seulement 10 millions de naissances. Aujourd’hui, près de 80 % des femmes chinoises en âge de procréer et résidant en ville n’ont qu’un seul enfant. Les parents chinois sont en effet peu incités à agrandir la famille. À titre d’exemple, en 2019, le coût moyen nécessaire pour élever un enfant jusqu'à l'âge de 18 ans en Chine a été évalué à 485 000 yuans (69 000 euros), soit 6,9 fois le PIB annuel par habitant (cf. Le 9 n°49, avril 2022). L’autorisation d’avoir plus d’enfants ne suffit plus, et c’est pour cela que le gouvernement chinois veut mettre en place de nouvelles politiques natalistes.
Une réforme des modes de garde
Le manque de solutions de garde d’enfants en bas âge explique en grande partie le renoncement des parents chinois à élever un deuxième ou troisième enfant. Selon un récent sondage de China Youth Daily, plus de 75 % des couples entre 20 et 30 ans en Chine considèrent que les services de garde d’enfants sont trop chers. Résultat, la garderie reste un privilège des plus aisés. Selon Xinhua, en décembre 2020, la Chine comptait plus de 47 millions d’enfants de moins de 3 ans, dont seulement 5 % d’entre eux avaient accès à une garderie. Le gouvernement avait déjà mis en place des systèmes de garde avec des prix régulés, mais cela ne comprend que 20 % du total des garderies en Chine. La plupart des familles chinoises n’ont donc tout simplement pas les moyens de faire garder leur enfant en bas âge.
Le gouvernement chinois a donc décidé de réagir. En mars 2021, le Conseil des affaires de l'État a annoncé que les places disponibles dans les garderies augmenteront de 150 % d’ici 2025, pour atteindre une moyenne de 4,5 places en garderie pour 1 000 enfants, soit 6,3 millions de places dans toute la Chine. Le gouvernement a aussi annoncé mettre en place plus de garderies avec des tarifs conventionnés. Des services de garderie à l’école vont même être imposés pour faciliter la situation des ménages dont les deux parents travaillent à temps-plein.
Congés et horaires de travail
Depuis plus d’un an, les autorités locales ont aussi pris les devants. Ainsi les provinces du Sichuan, du Guizhou et du Jiangxi ont mis en place de nouvelles régulations en matière de congé parental pour les employés d’entreprises privées. Les mesures comprennent notamment 10 jours de congés annuels supplémentaires pour les parents jusqu’au troisième anniversaire de leur(s) enfant(s), délai étendu au sixième anniversaire pour les salariés de la province de l’Anhui. De son côté, la province du Hainan a promis de réduire le temps de travail quotidien d’une heure, pour tous les parents ayant un ou plusieurs enfants de moins de 3 ans.
Aides médicales
Parmi les mesures destinées à encourager les naissances, les autorités de santé de Pékin ont indiqué en février dernier inclure 16 technologies de reproduction assistée dans les frais pris en charge par la sécurité sociale chinoise. Depuis ce mois de mars, l’assurance maladie chinoise couvre les inséminations intra-utérines (IIU) ainsi que les fécondations in vitro de deuxième et troisième génération (FIV). Selon Xinhua, l'État pourrait bientôt rembourser jusqu’à 11 000 yuans (environ 1 500 euros) sur les 40 000 yuans que coûte une FIV de seconde génération.
« Ni mecs ni enfants », ou lorsque le célibat devient la norme
Le volontarisme des nouvelles politiques familiales en Chine témoigne en réalité de certains grands blocages qui caractérisent la société chinoise. 40 ans de politique de l’enfant unique, combinée à la pression des valeurs familiales issues du confucianisme, ont durablement impacté le rapport des Chinois à la famille. Il est en effet compliqué d’exiger des jeunes générations qu’elles opèrent un virage à 180°. En Chine, une grande partie de la société s’est en quelque sorte habituée à la politique de l’enfant unique. C’est notamment le cas des jeunes femmes, pour qui le fait de concilier vie familiale et professionnelle est un poids plus que jamais lourd à porter. C’est pour cela que certaines d’entre elles ont décidé de ne plus répondre aux injonctions traditionnelles. Beaucoup ne veulent plus ni de mari, ni d’enfant. D’autres font même le choix du retour au foyer familial.
En clair, beaucoup de jeunes femmes entendent à présent assumer leur célibat. Finie donc, l’époque des « femmes délaissées », celles que tout le monde pointait du doigt parce qu’elles étaient célibataires après 27 ans. Dorénavant l’expression « ni mecs, ni enfants » fait le buzz, et n’a pas manqué de faire réagir les internautes chinois, dont beaucoup la considèrent comme un brin provocatrice.
Il n’en reste pas moins qu’elle reflète une vision de plus en plus assumée par la jeunesse chinoise au sujet du mariage et de la famille. Résultat, le nombre de célibataires en pleine augmentation en Chine. Selon un récent bilan démographique publié par les autorités, le pays comptait donc plus de 240 millions de célibataires en 2019. De 2013 à 2019, le nombre de couples mariés a même diminué d'un tiers pour s’établir à 9,3 millions.
Des blocages économiques et sociaux
Là encore, cette nouvelle tendance sociétale s’explique aussi par des raisons économiques. L’éducation des enfants coûte un prix faramineux, l’immobilier est souvent lui aussi presque inabordable, et le rythme de travail effréné rend de toute façon très compliquée une vie de couple ou tout projet de fonder une famille. Les autorités sont conscientes de ces problèmes depuis longtemps : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles ont récemment décidé de démanteler le secteur très lucratif des cours particuliers, de réguler le marché immobilier ou encore de déclarer illégales les cadences infernales de travail « 996 » (cf. Le 9 n°47, février 2022).
Le coût de la vie ou le rythme de travail ne sont pourtant pas les seuls facteurs qui bloquent la natalité en Chine aujourd’hui. La preuve, les nouvelles politiques d’incitation économique mises en place récemment ne suffisent pas encore à inverser la tendance. En réalité, les problèmes sociétaux sont tout aussi nombreux et importants, surtout s’agissant de la condition des femmes en Chine : féminicides, infidélité masculine, traite des femmes (on peut ici songer à la récente affaire de la femme enchaînée dans un village chinois, qui avait choqué l’opinion en février dernier)... Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que de nombreuses jeunes femmes remettent en question leur vision du mariage.
Dans ce contexte, de nombreuses jeunes Chinoises se montrent plus que jamais sceptiques.C’est ainsi que des internautes chinois ont même inventé l'expression des « quatre tragédies » : s’occuper de son mari comme une mère, servir la famille comme une bonne, élever un enfant comme une divorcée, et vivre en couple comme une veuve. Selon Mao Daqing, entrepreneur et membre du cabinet de conseil The Center for China and Globalization, les jeunes actives diplômées et bien loties, sont aujourd’hui encore plus exigeantes dans leurs critères pour choisir un conjoint, elles n’envisagent plus forcément le mariage, pour elles il est synonyme de sacrifices.
Les femmes de la génération Z : le retour au foyer ?
En 2018, Zhang Guimei, professeure et fondatrice du premier lycée gratuit pour filles dans le Yunnan, l’une des régions les plus pauvres de Chine, a refusé une donation de la part de l'une de ses anciennes élèves. La raison ? L’élève en question est devenue femme au foyer après avoir fait des études supérieures. « Quel gâchis après toutes ces années d'études ! » l'avait-elle sermonée. Une anecdote qui avait à l'époque défrayé la chronique et scandalisé de nombreux internautes chinois, mais qui n'en était pas moins révélateur du dilemme des mères chinoises.
Cent ans ont passé en Chine depuis la première révolte progressiste du mouvement du 4 mai 1919 qui s'érigeait contre le poids des traditions. Aujourd’hui, l'indépendance financière est jugée essentielle pour l’égalité femmes-hommes. Les femmes représentent un tiers de l’effectif des cadres supérieurs en Chine, plaçant l’empire du Milieu devant de nombreux autres pays d’Asie. Face à la difficulté de concilier leur vie professionnelle et familiale, beaucoup d’entre elles préfèrent donc maintenant quitter leur travail pour se consacrer entièrement à leur famille. Selon le Livre blanc sur les familles chinoises, publié par la société Baobaoshu, les ménages dont un parent reste au foyer représentent maintenant 58,8 % du nombre total des ménages en Chine. On estime que 82 % des femmes au foyer sont issues de la génération Z (nées entre 1997 et 2010). Ailleurs, selon le cabinet chinois iiMedia, les femmes au foyer issues de la génération Z seraient 2,5 fois plus nombreuses que celles nées dans les années 1970. Selon le média chinois The Paper, de ces deux rapports ressortirait l'idée que l'envie de retourner au foyer devenir mère à plein temps serait plus forte chez ces jeunes femmes nées après 1995...
« Filles uniques » ou le mythe contemporain de Mulan
S’il y a bien une légende qui incarne à elle seule tout le débat sur la place des femmes en Chine dans une société patriarcale, c’est bien celle de Mulan.
Popularisée en Occident par Disney, la légende de Mulan raconte l’épopée d’une jeune tisseuse qui, habillée en homme, prend la place de son père au combat. L’histoire se termine d’une manière qui correspond bien aux canons de la tradition : Mulan, après avoir combattu en héroïne, revient à sa vie de femme au foyer... Les jeunes Chinois d’aujourd’hui veulent lire une autre histoire, c’est ainsi que l’écrivaine chinoise Qi Daojun propose une version un peu plus moderne dans son Web-roman Mulan n'a pas de frère aîné, paru en 2016. Elle propose une fin plus triste et plus révélatrice du défi sociétal auquel la Chine est aujourd’hui confrontée. Après son retour au foyer, Mulan, héroïne militaire, a finalement raté sa vie en tant que femme. Elle ne parvient pas à se marier ni à fonder une famille.
Beaucoup de jeunes Chinois et Chinoises voient dans cette histoire une parfaite allégorie de la génération des « filles uniques ». Celles-ci doivent réussir leurs études et leur carrière, exactement comme un garçon dans une famille traditionnelle chinoise, sauf qu’une fois mariées, la société les renvoie à leur condition de femme traditionnelle, celle d’une femme au foyer qui doit s’occuper de sa famille. Un double discours et une double injonction parmi lesquelles beaucoup de femmes ne veulent plus avoir à choisir.
Les politiques d'assouplissement des naissances ne seront peut-être pas suffisantes. Le gouvernement en prend conscience et réagit en mettant en place des politiques natalistes, visant à accroître les incitations à avoir un second ou un troisième enfant. Cette initiative se heurte encore à des blocages sociétaux, la Chine est encore très marquée par la tradition et par les conséquences de la politique de l’enfant unique. La clé se trouve entre les mains des principales concernées : les femmes, qui ne veulent plus répondre aux injonctions des traditions paternalistes. C’est finalement là certainement que se trouve le nouveau défi pour la Chine : adapter les nouvelles politiques natalistes à ces changements sociétaux.
Photos © Xinhua
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