
« A Lifelong Journey » : une saga familiale à succès sur fond de Révolution culturelle
Le succès de la série A Lifelong Journey montre l’intérêt porté par les jeunes chinois à l’évolution sociale et l’histoire contemporaine de leur patrie, observe Liang Xiaosheng, auteur du roman éponyme de la série, dans un entretien accordé à China News.
1970, nord-est de la Chine. Dans la famille Zhou, la mère vit seule avec son fils cadet, car le père est parti dans le sud-ouest pour construire le projet d'infrastructures militaires de grande ampleur dasanxian. Le fils aîné, étudiant et zhiqing, littéralement « jeune instruit », est envoyé à la campagne tandis que leur fille, à un âge rebelle, s’installe avec son mari poète dans le sud de la Chine. Durant un demi siècle, la famille vit des hauts et des bas, dans une Chine en plein bouleversements économique et social : le fils aîné finit par se consacrer à la politique et mènera de grandes réformes dans sa région, la fille décroche son diplôme de doctorat et vit pendant 12 ans en France et le fils cadet, ouvrier puis artiste, subit un licenciement économique avant de sauter dans le grand bain du capitalisme. Une véritable épopée dans la Chine des cinquante dernières années, dressant le portrait d’une famille du dongbei, région composée des trois provinces du nord-est : Heilongjiang, Jilin et Liaoning.
Adaptée du roman éponyme du célèbre écrivain chinois Liang Xiaosheng, la série A Lifelong Journey, de 60 épisodes, diffusée depuis fin janvier sur la chaîne de la Télévision Centrale de la Chine, a battu le record d'audience inégalé depuis huit ans. Un succès inattendu même pour Liang Xiaosheng, qui revient, dans un entretien accordé à China News, sur la genèse du livre et s'interroge sur la passion que la série télévisée a pu déchaîner chez la jeune génération dans l’empire du Milieu.
China News Service : Quel est votre personnage préféré dans A Lifelong Journey ?
Liang Xiaosheng : J’aime tous les personnages sous mes plumes, car c’est moi qui ai mis de la chair autour de l’os pour ces hommes et femmes, différents dans leurs manières d'être et issus de tous les horizons de la société. Néanmoins j’ai un faible pour les trois enfants de la famille Zhou. Zhou Bingkun, fils cadet, demeure toujours fidèle et défenseur de ses amis. Moi-même, je suis quelqu’un qui s’attache beaucoup à l'amitié, notamment durant ma période de zhiqing à la campagne. Quant à Zhou Bingyi, fils aîné de la famille, sa façon d'envisager les choses de manière globale me plaît beaucoup. C'est un intellectuel, nourri de différents courants littéraires dans les années 80, ce qui constitue un atout fort dans sa vie d'homme politique. J’aime aussi beaucoup Zhou Rong, femme active diplomée qui se soucie du destin de son pays.
CNS : Les séries adaptées de vos romans, telles que Nianlun (1992) et A Lifelong Journey (2022) ont toutes remporté un grand succès à travers la Chine. Les spectateurs d'aujourd'hui sont-ils différents de ceux d'il y a trente ans ?
Liang Xiaosheng : Pour moi, les séries télévisées sont des créations artistiques à part entière, qui prennent en compte plusieurs éléments, par exemple le nombre d'épisodes, alors que je suis beaucoup plus libre dans l'écriture de romans. À vrai dire, je suis étonné par l'accueil chaleureux de A Lifelong Journey auprès de la jeune génération. Même lors de la publication du roman, je n'étais pas du tout sûr de sa réception par le grand public. Le succès de la série montre peut-être l’intérêt porté par les jeunes d’aujourd’hui à l’évolution sociale et l’histoire contemporaine de leur pays.
CNS : Beaucoup de personnages de vos romans nous renvoient à la période de zhiqing que vous avez vous-même vécue…
Liang Xiaosheng : Mes romans sont des fictions. Bien sûr que je m’inspire beaucoup de ce
qui s’est passé dans ma propre vie. Il est vrai que la vie de zhiqing que vit Zhou Bingyi ressemble
beaucoup à la mienne, et que mon père a également travaillé pour le projet dasanxian et que mon frère cadet était
ouvrier dans une usine de sauce de soja. Tout cela constitue des sources
d'inspirations pour moi. Je tente de rattraper une histoire perdue, par ces
romans sur la période de zhiqing,
empreints d’ailleurs de beaucoup de réalisme.
CNS : La famille est au centre de la culture chinoise, au point qu’on érige la famille et l'État sur le même plan. Par rapport aux écrivains occidentaux, dans quelle mesure la vision chinoise sur la famille pourrait-elle influencer les romanciers chinois dans leur écriture ?
Liang Xiaosheng : En Occident, les écrivains tentent d’analyser, même depuis l’antiquité, la psychologie des individus confrontés à l’âpre réalité, tels que Médée de la mythologie grecque, Salomé des légendes bibliques, ou encore le prince danois sous les plumes de Shakespeare. Cependant, en Chine, pendant très longtemps, les auteurs mettent souvent leurs personnages dans un contexte moral pour dresser leur portrait. Le sujet que les écrivains chinois traitent dans leurs livres concerne souvent les rapports, soit entre individus, soit entre l’homme et la société. C’est peut-être l’une des principales différences entre les créations littéraires occidentale et chinoise dans une époque lointaine. Preuve que l’intégration culturelle entre différentes civilisations n’a jamais été simple. Pour moi, il est important qu’on garde notre propre culture tout en explorant les créations artistiques des autres et de trouver un juste milieu entre curiosité de « l’autre » et inspiration.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn
Photos © compte Weibo de la série
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