La discrimination menstruelle : une injustice passée sous silence ?

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En 2014, l’ONG allemande Wash United a lancé la journée internationale de l’hygiène menstruelle. Le but était de briser le silence et de rappeler qu’une injustice persiste dans la condition féminine à travers le monde aujourd’hui : leur droit à la santé et à la dignité dans le domaine des menstruations. Cette journée, organisée le 28 mai, fut cette année l’occasion de souligner la difficulté et le manque d’accès des femmes aux protections et aux soins hygiéniques, un phénomène que l’on appelle la « précarité menstruelle ». 

En plus du critère de la pauvreté, subsiste celui du regard de la société sur l’hygiène menstruelle, un regard marqué par les tabous, les stéréotypes et les aprioris. Pour aborder cette question, le média China News est allé à la rencontre de Justine Coulson, représentante en Chine de l'UNFPA, l’agence directrice des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, mais aussi de Wang Hongtan, blogueuse et animatrice d’une émission scientifique sur le site chinois Kuaishou. Comment résoudre le problème de la précarité menstruelle ? Comment promouvoir une action internationale contre la discrimination dont font l’objet les femmes à ce sujet ? Comment la Chine et les autres pays peuvent-ils résoudre ce problème ? 

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Comment peut-on expliquer que les menstruations soient encore perçues comme un sujet « honteux » dans beaucoup de régions du monde aujourd’hui ? Peut-on affirmer que cette discrimination est un phénomène grave ?

Justine Coulson : Tous les jours, dans les pays pauvres comme dans les pays riches, de nombreuses femmes sont discriminées ou traitées injustement en raison de leurs menstruations. Cela est lié à des tabous culturels, ou à une forme de stigmatisation des menstruations, mais ce phénomène peut aussi s’expliquer par le fait que beaucoup de femmes n'ont pas les moyens de se procurer des produits sanitaires en général. Dans certaines cultures, on considère que les femmes, pendant leurs règles, sont malpropres ou inconvenantes. C’est évidemment une idée fausse. Les discriminations qu’elles subissent peuvent prendre plusieurs formes, comme le harcèlement en milieu scolaire, par les garçons par exemple, mais cela peut aller jusqu’à la définition d’un critère pour justifier le mariage précoce ou forcé. Dans certaines sociétés, certaines jeunes filles sont considérées comme prêtes à être mariées dès qu’elles ont leurs règles. On peut donc bien dire que c’est un sujet grave. 

Wang Hongtan : Dans l’histoire, le registre de la honte associé aux menstruations découle bien souvent du manque de connaissances scientifiques au sein des sociétés. Les menstruations sont, de fait, un sujet tabou, ne serait-ce parce qu’elles sont liées à la sexualité et à l’intimité des femmes. Aussi le traitement des femmes pendant leurs règles a très tôt pris la forme d’une stigmatisation. À l’époque de la Rome antique, certains allaient jusqu’à affirmer que si une femme touchait du fer pendant ses règles, celui-ci rouillait, ou que si elle touchait du blé, celui-ci se flétrissait. Ce n’est qu’avec le développement de la médecine moderne que l’on a vraiment pris conscience que les menstruations sont un phénomène physiologique normal. En dépit de cela, la perception des individus reste bien souvent marquée par des facteurs culturels. C’est pour cela qu’il est important de miser sur l’éducation aujourd’hui, et de mettre en place des dispositifs pour sensibiliser au plus tôt les enfants et les adolescents sur ce sujet. 

Que signifie le terme « précarité menstruelle » ? Comment la coopération internationale peut-elle apparaître comme une solution à ce problème ?

J. C. : La précarité menstruelle désigne le fait, pour les femmes ou les adolescentes, de ne pas avoir les moyens financiers d’accéder aux protections et aux soins hygiéniques, de ne pas avoir accès aux médicaments contre la douleur, ou tout simplement de ne pas avoir les moyens de s’acheter de nouveaux sous-vêtements. On pourrait penser que ce problème touche surtout les pays en développement, mais il n’en est rien : c’est un problème qui persiste dans tous les pays du monde.  Dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, dans mon pays, on estime que plus d’une fille sur dix n'a pas les moyens d’accéder à ce dont elle a besoin chaque mois. C’était encore plus vrai pendant la crise sanitaire de la Covid-19, alors que de nombreux ménages subissaient une pression financière supplémentaire. 

Il faut en plus rappeler que lorsque les filles ont besoin de ces produits, mais qu’elles n'ont pas les moyens de les acheter, elles peuvent parfois être amenées à faire face à d’autres difficultés, comme le fait de cesser d’aller à l’école, voire pire, dans certains cas de devoir mener des activités illégales. C’est pour résoudre ce problème de la précarité menstruelle que certains gouvernements dans le monde ont décidé de réduire, voire de supprimer la TVA sur les produits d'hygiène et des soins intimes. Il y a encore du travail à faire dans ce domaine : en Orient comme en Occident. Enfin, il ne faut pas oublier que les discriminations que les femmes et jeunes filles subissent pendant leurs règles peuvent affecter leur psychologie. À ce titre, chaque pays doit mettre en place des dispositifs qui lui sont propres. On pourrait par exemple songer à la diffusion de l’internet, des conseils en ligne, qui pourraient être utiles pour les jeunes générations dans certains pays du monde à l’avenir. 

Comment se passe la coopération entre l’agence directrice des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive (UNFPA) et la Chine ?

J. C. : L’UNFPA travaille en étroite collaboration avec le gouvernement chinois depuis plusieurs décennies, notamment pour renforcer les services de santé maternelle. La qualité des soins de santé maternelle en Chine s'est considérablement améliorée et les taux de mortalité maternelle et infantile y ont sensiblement diminué. Nous avons également beaucoup travaillé avec des partenaires locaux dans les communautés de jeunes et de personnes en situation de handicap, notamment pour promouvoir l'éducation sexuelle. L’UNFPA travaille enfin avec le gouvernement chinois pour réduire les influences négatives de la culture « patriarcale ». Je pense d’ailleurs que la Chine a fait beaucoup de progrès dans ce domaine. 

En Chine, on dit parfois que le fait de boire de l'eau chaude peut aider les femmes à supporter leurs menstruations. Que peut-on faire pour promouvoir une approche un peu plus scientifique dans la société ? 

J. C. : Dans le monde, environ 20 % des femmes se sentent faibles et douloureuses pendant leurs règles. Il faut donc favoriser l’accès des femmes aux moyens de soulager la douleur. Si boire de l'eau chaude pendant les règles peut permettre à certaines d’entre elles de se sentir mieux, alors il n’y a aucun mal à le faire. Mais dans tous les cas, il faut toujours s’appuyer sur des informations fiables. 

W. H. : Certaines des méthodes qui sont préconisées sur internet s’agissant des menstruations sont souvent non scientifiques. Le fait de boire de l'eau ou des boissons chaudes pendant les règles, peut avoir, en soi, un certain effet sur les menstruations et soulager certaines douleurs, mais cela ne marche pas pour toutes les femmes. Il faut surtout veiller à ne pas acheter aveuglément toutes les lotions et produits recommandés en ligne. Certaines lotions peuvent préserver la santé, mais il faut aussi faire attention à leur fréquence d’utilisation. 

Finalement, nous constatons que certaines idées fausses se transmettent de génération en génération, surtout à l’ère des réseaux sociaux, où circulent toutes sortes de rumeurs et idées préconçues. Il faut que l’Orient et l’Occident renforcent leur coopération en faisant par exemple la promotion de la diffusion des connaissances scientifiques à l’école. Il faut prendre le mal à la racine, et empêcher les discriminations des filles pendant leurs règles. Je pense qu’il faut favoriser le dialogue entre toutes les composantes de la société civile, et accorder plus d’importance à la sécurité des femmes dans les milieux défavorisés.  

Que peuvent faire les hommes pour participer à la lutte contre les « discriminations menstruelles » ?

J. C. : Lorsque j'étais à l'école il y a 40 ans, au moment où les filles avaient atteint l'âge de 12 ans, elles étaient emmenées pour un « entretien » dans le hall de l’école. Nous devions alors écouter un bref exposé de 30 minutes sur les menstruations, sans avoir même la possibilité de poser la moindre question. C'est comme cela que les enseignants présentaient les menstruations aux jeunes à l'époque. Après cette « discussion » de 30 minutes, je n'ai jamais eu aucune autre occasion de discuter de la santé et de l’hygiène intime à qui que ce soit à l’école pendant les cinq années qui ont suivi. Les garçons n'avaient reçu aucune information à ce sujet. Je pense que plus personne ne devrait aujourd’hui avoir à vivre l'expérience que j'ai vécue à l'âge de 12 ans. Il est grand temps de mettre en place de vrais dispositifs, dans des cours consacrés à la biologie ou à l’éducation sexuelle, afin que les garçons, comme les filles, puissent apprendre ensemble ce que sont les menstruations. Il faut qu’ils comprennent très tôt qu’il s’agit d’un processus biologique normal et qu’il n’y a aucune raison d’en faire un tabou.

Photo du haut : Unsplash

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