[Passeurs Chine-Europe] Le spéléologue français Jean Bottazzi, explorateur de la plus longue grotte de Chine

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Pourquoi gravir le mont Everest au risque de sa vie ? « Parce qu'il est là. » Cette réponse simple mais puissante de l'alpiniste britannique George Mallory il y a 100 ans, représente aujourd'hui la formule la plus célèbre du monde de l'alpinisme. Pour le spéléologue français Jean Bottazzi, son voyage l'a amené en Chine où il a passé la moitié de sa vie à explorer les grottes précieuses, simplement parce qu'"elles sont là".

Fascination pour « la plus longue grotte de Chine »

À 60 ans, Jean Bottazzi est le vice-président de la Fédération Française de Spéléologie (FFS) et l'initiateur des techniques françaises de spéléologie en Chine. Né dans une famille de spéléologues, il a commencé à explorer les grottes à l'âge de 15 ans. « C’est une passion qui a débuté très tôt, basée sur une grande curiosité et le désir d’aller jusqu’au bout des connaissances », se souvient-il.

En 1986, à l’invitation de l’Institut de géologie et de géophysique chinois, Bottazzi s’est rendu dans les montagnes du Guizhou, une province du Sud-Ouest de la Chine, pour sa première expédition à l'étranger. Malgré les moyens de transport rudimentaires de l'époque, Bottazzi a été impressionné par les paysages karstiques et le potentiel scientifique de la biodiversité locale, surtout le réseau Shuanghedong, ou Shuanghe Dongqun, situé près de la ville de Wenquan, dans le xian de Suiyang, préfecture de Zunyi, également connu sous le nom de « la plus longue grotte de Chine ». Depuis 1991, il dirige une vingtaine d’expéditions spéléologiques dans ce réseau, permettant d'approfondir les connaissances sur la longueur et la profondeur de la grotte.

L'expédition des grottes est un travail qui ne peut se faire dans la précipitation. Shuanghe Dongqun, par exemple, est un système karstique souterrain qui comporte à la fois des grottes aquatiques et sèches, avec une profondeur de plus de 665 mètres, comprenant huit grottes principales sur quatre niveaux et plus de 200 grottes secondaires, avec au moins trois rivières souterraines… En un mot, c'est un vrai « labyrinthe souterrain ». « Je crois que l’exploration implique de s’accommoder de l’inconnu et d’avoir une grande humilité » confie Bottazzi en décrivant le processus d'exploration : « nous ne comprenons pas tout ce que nous voyons, nous devons accepter ce que l'on découvre et ainsi accumuler nos connaissances. »

La spéléologie est également une activité extrêmement risquée. Lorsque l'on s'enfonce dans des grottes souterraines où l'on ne voit rien, la perte de repères, le manque d'oxygène, la rencontre avec des créatures dangereuses, les effondrements ou encore la montée des eaux constituent des dangers qui peuvent être fatals. « La notion de risque est relative à notre méconnaissance et notre incompréhension du monde que l'on découvre », explique Bottazzi qui estime qu'il faut être alerte et prudent « en permanence ». « Le principe est de ne jamais faire de paris mais de prendre le temps de vérifier. Il faut considérer qu’on a le temps de vérifier et qu’une découverte peut toujours attendre la prochaine fois. »

Pour les explorateurs, les découvertes sont des récompenses des efforts investis. « Ce qui est impressionnant dans le monde souterrain et en particulier en Chine dans Shuanghedong, c’est que la réalité dépasse souvent l’imagination. »  Dans le réseau ou dans des cavités proches, Bottazzi et ses compagnons y ont identifié des ossements de panda, de rhinocéros et de stegodon, ils ont découvert d'autres créatures rares telles que des poissons aveugles et des têtards blancs. Les merveilles dont ils ont été témoins, comme les terrasses souterraines et les grottes de fleurs de cristal, ont fourni des informations précieuses pour la recherche géologique sur les grottes.

Témoin du développement rural

Trente-six ans se sont écoulés depuis que Bottazzi est arrivé en Chine pour la première fois. Au cours des années, il a dirigé des équipes d’expédition dans des grottes à travers la Chine, a participé à de nombreuses opérations de secours, notamment le séisme de 2008 au Sichuan. Aujourd'hui, il réside à Guiyang.

Comme l'exploration de grottes, l'intégration dans un pays étranger est un vrai défi. Tout d'abord, la langue est une barrière. Bottazzi a constaté que beaucoup de gens ne parlent pas le mandarin ou parle d’une façon incompréhensible. Cependant, il ne considère pas cela comme un gros problème. « Je n’insiste pas. Après tout, personne n’est tenu de me répondre... du moment que j’arrive à faire comprendre ce que je fais et ce que je cherche, tout s’enchaîne facilement. »

« Les gens sont bienveillants et accueillants, ce qui facilite les choses », explique le spéléologue français en ajoutant : « Je ne pense pas avoir de véritable difficulté d’intégration malgré trois handicaps beaucoup plus importants que la langue elle-même : je ne fume pas, je ne bois pas d’alcool… et je ne mange pas aussi pimenté que les gens d’ici. En fait, les gens du Guizhou sont très tolérants. »

Au cours des trois dernières décennies, Bottazzi a été témoin du développement rapide des zones rurales du Guizhou.  « L’évolution des voies de communication de toutes natures (transport, téléphonie, internet) ont explosé. Ce qui change presque tout. »  Selon lui, ces changements étaient nécessaires pour que les populations rurales aient la chance de suivre le développement de la Chine. Lors de sa première visite en Chine, il a fallu trois jours pour se déplacer de Pékin à Guiyang en train. Maintenant, le trajet se fait en 10 heures. « Aujourd'hui, je profite directement de ces changements. »

Même s'il éprouve de la nostalgie lorsqu'il voit des paysages détériorés par un échangeur routier, il est conscient que « la lutte contre la pauvreté, dans le Guizhou, est un enjeu bien supérieur. Il n’y a pas mille manières pour y arriver et les ressources ne sont pas illimitées. »

Promotion d'un nouveau modèle de tourisme dans les grottes karstiques

Outre les expéditions des grottes karstiques, Bottazzi a également beaucoup contribué à la promotion du tourisme des grottes karstiques. « Les zones karstiques sont souvent les plus pauvres et les moins accessibles d’un territoire. Le tourisme des grottes karstiques est donc l’opportunité de transformer un handicap en atout. »

Selon Bottazzi, faire du tourisme ne s'inscrit pas dans une même démarche que d’aller faire ses courses au supermarché. Il s’agit pour chacun d’explorer, de découvrir et donc d’apprendre et comprendre des horizons inconnus. « Si l'on croit que le touriste est un roi qui demande à se faire recevoir comme un roi et être considéré comme tel, alors le tourisme devient un commerce comme un autre et conduit aux mêmes conséquences : la vente de la planète. » Ce que nous devrions vendre, c'est la connaissance, la compréhension et des expériences inédites afin de tendre vers un développement durable, déclare-t-il.

Aujourd'hui, le spéléologue français tente de développer un tourisme plus écologique, un « tourisme expérientiel » qui a été mise en application à Suiyang Shuanghedong et fait ses preuves commercialement. « La démonstration est faite qu’il existe un public important qui ne souhaite pas visiter un lieu en faisant une queue interminable entre deux barreaux mais qui recherche la découverte et qui sont prêts à s'y engager physiquement. »

Jusqu'à présent, le réseau Shuanghedong a lancé des activités interactives telles que l'exploration des grottes, la via ferrata dans les grottes aquatiques, le traçage hydrogéologique dans la rivière souterraine et le camping dans les grottes, etc. La zone pittoresque, « shier beihou », auquel le réseau Shuanghedong appartient, est devenue un nouveau symbole du tourisme du Guizhou. Cette zone touristique comprend trois grands sites : le parc national géologique de Shuanghe (Suiyang), la zone panoramique de la gorge du Guizhou Qingxi et la faille Youtongxi. En fait, le nom « shier beihou » (derrière le douze) est un surnom donné à la faille Youtongxi, qui signifie que le paysage vaut une note de douze sur dix.

Pour Bottazzi, le meilleur exemple de tourisme intelligent est celui de l’Unesco Global Geopark Network, parce qu'il s’agit de valoriser le développement touristique, l’éducation et la préservation du patrimoine naturel par une même entité locale initiatrice et bénéficiaire de cette entreprise. Il a œuvré à l’accession de Leye-Fengshan Glogal Geopark à ce réseau. Au total, 41 géoparcs chinois font partie du système, dont  le Xinyi Geopark.

De jeunes spéléologues de plus en plus nombreux en Chine

Cette année (2022), Bottazzi a atteint l'âge de la retraite en Chine, mais il est toujours actif sur le front de l'exploration des grottes. « Ce qui me préoccupe, c’est la poursuite des explorations. » Maintenant, un de ses objectifs est d’augmenter qualitativement la connaissance du réseau de Shuanghedong en collaboration avec le Guizhou Institut of Mountain Ressources.

Son autre objectif est de continuer à étendre la taille du réseau de Suiyang Shuanghedong. Grâce aux efforts incessants des équipes au fil des ans, Shuanghedong est déjà devenue « la plus longue grotte d'Asie » ainsi que la « cinquième plus longue grotte du monde » avec plus de 257,4 kilomètres de cheminement cumulé (en 2019). Bottazzi est convaincu que Shuanghedong pourrait rapidement devenir la troisième, puis la seconde des grottes les plus longues du monde. « Le seuil des 400 km pourrait être atteint en quelques années et le potentiel va probablement au-delà de 500 km. »

Cependant, cette tâche colossale ne peut être accomplie par lui seul : « Mon devoir de spéléologue implique que les observations que j’ai pu faire soient conservées, accessibles, comprises et utilisées par mes successeurs. » Il prévoit de concevoir et mettre en place une méthode et une équipe pour réaliser ces objectifs après l'épidémie.

Quant à l'avenir de l'exploration des grottes en Chine, Bottazzi est optimiste. Il souligne que la Chine possède probablement le plus de grottes au monde. « L'avenir de la spéléologie chinoise réside dans le nombre croissant de jeunes Chinois pratiquant et leur grande motivation pour les aspects techniques, particulièrement les sauvetages sur cordes. Par ailleurs, de nombreux de clubs multiactivités offrent des incursions souterraines  ». Selon le spéléologue français, la principale faiblesse en Chine réside dans le manque de coalition entres les différentes entités spécialisées en spéléologie. Il est donc difficile pour les explorateurs chinois de collaborer entre eux. « Si la Chine mettait en place une fédération et regroupait les découvertes, les progrès suivraient rapidement. »

Photos © Jean Bottazzi dans la zone touristique de « shier beihou »

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